logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

La méthode Blair pour remettre les chômeurs au travail

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.09.2000 | Katia Quénelle

Depuis trois ans, le service public de l'emploi s'est métamorphosé outre-Manche. Les chômeurs sont devenus des clients, bénéficiant de l'appui individuel d'un conseiller. Formation, soutien psychologique : tout est mis en œuvre pour qu'ils retrouvent un emploi. Mais gare s'ils refusent de coopérer ! Ce dispositif personnalisé a inspiré le « Pare » du Medef et de la CFDT.

Coincé entre un fast-food et un magasin de vêtements pour femmes, le local situé à Camden, l'un des quartiers les plus populaires de la capitale britannique, ressemble à n'importe quelle autre boutique londonienne. Une multitude d'annonces rédigées à la main couvrent les vitrines. Et, à l'intérieur, il règne une atmosphère d'agence de voyages les jours de soldes. Il s'agit pourtant d'un job centre, une agence pour l'emploi. Rien à voir avec les ANPE que l'on trouve de l'autre côté du channel. Ici, les demandeurs d'emploi sont des clients et le directeur de l'agence, un business manager : le job centre fonctionne comme un véritable marché de l'emploi où les conseillers font se rencontrer l'offre et la demande.

La seule différence avec les agences de placement ou de travail temporaire, c'est que les clients des job centres touchent une allocation de chômage, la précieuse jobseeker's allowance,que les responsables du job centre peuvent, s'ils le veulent, faire suspendre en cas de refus d'un emploi. Mais pour Marc Maguire, un jeune conseiller emploi, ancien chômeur, « cela ne sert à rien de forcer les demandeurs d'emploi à accepter n'importe quel travail ». « Ils se font mettre rapidement à la porte et reviennent au job centre. Il vaut mieux les écouter, les mettre en confiance, les faire parler de leurs problèmes afin d'identifier les obstacles qui les empêchent de rester durablement chez un employeur. Par exemple, j'ai découvert un jour qu'une femme au chômage depuis trois ans était dyslexique. Elle avait eu honte de nous en parler. »

Ils sont environ 2 500 par an à venir s'enregistrer à Camden. Invariablement, le directeur, Michael Morley, les ramène vite à la réalité. « Je vois tous les jours des jeunes qui voudraient travailler dans les start-ups mais qui n'ont même pas leur bac. Le rôle des conseillers du job centre est de les convaincre de commencer à grimper l'escalier par les marches du bas. » De toute manière, Camden est un quartier de passage, près des gares d'Euston et de King's Cross, et les nombreux étrangers provenant de toute la Grande-Bretagne qui fréquentent le centre génèrent un grand nombre d'offres d'emploi dans les services. Les postes de caissiers, de vendeurs ou de chauffeurs forment la majorité des 300 offres recensées en moyenne chaque mois.

90 « clients » par conseiller

À l'instar de Marc Maguire, le centre de Camden a pu embaucher une équipe entière de nouveaux conseillers, dans le cadre du New Deal, le projet phare du gouvernement de Tony Blair lancé en avril 1998. Ce programme a permis la modernisation des job centres. Initialement destiné aux jeunes chômeurs de 18-24 ans, il a été rapidement étendu aux personnes de plus de 25 ans à la recherche d'un emploi depuis plus de deux ans. Puis, en 1999, aux plus de 50 ans au chômage depuis plus de six mois. Chaque chômeur quel qu'il soit doit bénéficier de l'aide d'un conseiller qui le suit tout au long de son parcours.

C'est le cas de Gerald, 45 ans, au chômage depuis sept ans. Aujourd'hui, il rencontre Marc Maguire pour la première fois. « Ne me placez pas en formation, demande-t-il. Je ne suis pas fait pour rester dans un bureau, je suis plutôt bricoleur. » Mais le conseiller n'en tient pas compte. Gerald aura droit à une semaine d'entraînement intensif pour apprendre à passer des entretiens d'embauche et à répondre aux appels des employeurs. Au beau milieu de la conversation surgit un jeune homme d'une vingtaine d'années. Amicalement mais respectueusement, il vient saluer le conseiller. Il souhaite avoir des échos de son dernier entretien d'embauche. « Très bien, Julien ! Le DRH m'a dit que tu étais le meilleur candidat pour ce poste », répond Marc Maguire. « Mon travail consiste aussi à placer les chômeurs, explique-t-il. Appeler les entreprises, leur proposer des candidats, fixer des rendez-vous, vérifier que les gens peuvent s'y rendre, qu'ils ont des vêtements propres et de l'argent pour payer le transport… Après l'entretien, je recontacte l'entreprise pour savoir comment cela s'est passé et donne des nouvelles aux candidats. »

Marc Maguire compte près de 90 « clients ». Il se consacre essentiellement aux chômeurs qui traversent la période du gateway (voir encadré page suivante), la première étape du New Deal, pendant laquelle le service de l'emploi identifie les difficultés de chaque chômeur et suggère des solutions pour les surmonter. « Mon rôle est d'encourager les chômeurs à sortir du régime d'assistance et de leur faire comprendre qu'un emploi, même mal rémunéré, peut être plus avantageux que l'allocation chômage. » Un discours qui épouse, point pour point, celui de Tony Blair. Depuis trois ans, le gouvernement britannique a en effet transformé le système d'allocations afin d'encourager les chômeurs à chercher un emploi plutôt qu'à vivre uniquement des aides de l'État. Les indemnités peuvent être supprimées si le bénéficiaire ne met pas de bonne volonté à chercher un emploi. Il peut aussi être contraint d'accepter un travail, même si celui-ci ne correspond pas à ses aspirations. Un équilibre entre droits et devoirs dont s'est inspiré le « Pare » préconisé par le Medef et la CFDT

Un ingénieur recyclé chez McDo

« Cette logique pose un véritable problème, estime Nease Mac Erlean, spécialiste des questions d'emploi à l'hebdomadaire The Observer,réputé à gauche. Supposons que vous soyez ingénieur et que votre entreprise fasse faillite. Vous perdez votre travail et touchez les indemnités de chômage tout en cherchant à vous reclasser, de préférence en fonction de vos compétences. Mais si, au bout de quelques mois, vous ne trouvez pas de poste d'ingénieur, le job centre va vous dire que vous ne pouvez plus continuer à chercher dans ce domaine, et qu'en revanche il y a un poste disponible dans un McDonald's. Soit vous acceptez l'offre, soit vous perdez vos indemnités ! »

Pour mieux prendre en compte les situations d'exclusion et d'extrême pauvreté, les job centres, notamment dans le cadre du New Deal, ont pris une dimension plus sociale. Le gouvernement s'est appuyé sur des public-private partnerships(PPP), un mécanisme de cofinancement public-privé des projets publics. Depuis trois ans, 120 projets ont été mis en place dans les domaines de l'éducation, de la santé et de la construction. Les job centres peuvent externaliser une partie de leurs services en lançant un appel d'offres auprès d'organismes bénévoles, associatifs et privés.

Celui de Camden travaille avec une quarantaine d'organisations caritatives qui assurent des aides psychologiques, médicales et juridiques. Il délègue aussi la charge des cours d'anglais et d'autres formations, ainsi que les services de crèche et de baby-sitting. Cette forme de sous-traitance fonctionne également pour la recherche d'emploi proprement dite. Les agences publiques et privées ne sont en effet pas concurrentes en Grande-Bretagne. Ainsi, dans le cadre de ces PPP, le gouvernement n'hésite pas à faire appel au privé pour assurer le placement des chômeurs.

À Hackney, le job centre s'est associé à Reed Personnel Services, l'une des plus importantes agences de recrutement. Reed s'est installé il y a deux ans et demi dans cet autre quartier pauvre de Londres, dans le cadre du New Deal. « Semaine du 26 juin au 2 juillet : 38 personnes reçues, 26 placées », peut-on lire sur une pancarte punaisée au mur. Un bon résultat obtenu par le privé. Mais, pour le service public de l'emploi, il ne s'agit pas pour autant de perdre le contrôle sur le reclassement. Des rapports lui sont remis quotidiennement.

Séparé du job centre, le local de Reed accueille lui aussi les chômeurs. Une dizaine de jeunes tapotent sur les claviers d'ordinateurs installés dans la cafétéria du bâtiment. Deux d'entre eux discutent avec les conseillers, habillés pratiquement comme leurs « clients ». « Nous faisons tout pour qu'il n'y ait pas de distance avec eux », souligne Daniella, 26 ans, l'une des conseillères. Reed prend en charge tous les chômeurs inscrits au job centre de Hackney. Mais l'agence n'est pas chargée, bien sûr, d'attribuer ou de supprimer les allocations chômage. « Les personnes qui viennent nous voir sont plus décontractées », insiste Daniella.

Des DRH dans les job centres

À son tour, Reed sous-traite une partie de son activité. « Nous avons près de 30 bénévoles et autant de collèges privés qui assurent l'évaluation des qualifications des chômeurs et leur formation », indique Dayo Ogunmuywa, directeur adjoint de l'agence Reed. L'association Mentoring Plus apporte, par exemple, une aide psychologique aux chômeurs de longue durée sous forme de discussions informelles dans un lieu choisi par le demandeur d'emploi. Bien souvent, les interlocuteurs ont le même âge et appartiennent aux mêmes communautés ethniques. Quant aux clients qui ont besoin d'une aide juridique ou médicale, ils peuvent rencontrer des avocats et des médecins, envoyés par la National Association of Citizens Advice Bureau, une association qui vient chaque semaine à l'agence.

Une fois ce genre de problèmes résolus commence le travail de réinsertion professionnelle. « Nous faisons venir des DRH de grandes entreprises comme Marks & Spencer pour faire passer à nos clients des entretiens en blanc. Nous les enregistrons et analysons leurs réactions au cours de réunions de groupe », explique Daniella. Durant cette étape, les chômeurs voient leur conseiller personnel pratiquement tous les jours. Ce n'est qu'ensuite qu'ils sont pris en charge par un conseiller en recrutement. Chez Reed, à la différence des job centres, les deux services sont séparés. « J'épluche les petites annonces, je consulte les pages jaunes et j'appelle directement les entreprises, indique Lee Courington, conseiller en recrutement. Parfois, il faut les convaincre de revoir leurs exigences à la baisse. J'ai dû expliquer à un employeur qui cherchait un candidat de 28 ans ayant une expérience de six ans pour conduire une camionnette que j'avais un candidat idéal : un jeune homme de 24 ans avec seulement deux ans de permis. »

À l'écoute des entreprises

Reed reste cependant dépendant des services publics de l'emploi. « Il m'arrive d'attendre une semaine avant de recevoir des informations confidentielles sur une personne au chômage. Dans le privé, nous vivons à un autre rythme », poursuit le conseiller. En s'associant avec des agences privées, les job centres se sont rapprochés des entreprises. « Pendant des années, les job centres ont eu la réputation de se concentrer sur le créneau de la main-d'œuvre bon marché et peu qualifiée, rappelle Richard Exell, spécialiste de l'emploi au Trade Union Congress, la puissante centrale des syndicats britanniques. Ils faisaient un travail unidirectionnel – trouver des emplois pour les chômeurs. Désormais, ils prennent davantage en compte les besoins des employeurs. » Le service de l'emploi a même ouvert des job centres spécialisés – à proximité de Soho par exemple, en plein centre de Londres, il en existe un dédié aux services.

Le New Deal a largement contribué à rapprocher le service de l'emploi des employeurs. Les entreprises qui acceptent de prendre des chômeurs en formation peuvent bénéficier d'une subvention de l'ordre de 65 livres par semaine pour un stagiaire à plein temps et de 45 livres pour un mi-temps. Si le chômeur reste six mois, l'employeur touche près de 400 livres. Une entreprise particulièrement coopérative peut recevoir 1 500 livres par stagiaire. Une aide destinée à procurer un emploi durable – treize semaines dans la terminologie britannique – aux chômeurs. « Un objectif difficile à atteindre, reconnaît Lee Courington. Mais, pour les chômeurs qui reviennent chez nous avant, ce n'est pas un échec pour autant. Ils se sont plongés dans la vie active, ont acquis une expérience et se sont brûlé parfois les doigts. Mais se sont confrontés à la réalité. »

Le New Deal, ça marche !

Selon les statistiques du CBI, la principale organisation patronale britannique, 50 % des jeunes qui ont trouvé un emploi entre 1998 et 2000 l'ont obtenu grâce au New Deal. Lancé officiellement en avril 1998, ce programme se découpe en trois phases.

– La première est le « gateway » (littéralement la porte d'entrée). Elle dure quatre mois pendant lesquels le demandeur d'emploi rencontre un conseiller personnel pour discuter de ses capacités, rédiger son CV, améliorer ses techniques de recherche d'emploi et résoudre des problèmes personnels. Ces rencontres sont obligatoires. Les allocations chômage peuvent être suspendues pendant deux semaines dès le premier rendez-vous manqué, pendant un mois la deuxième fois et pendant six mois la troisième.

– La deuxième période dure six mois, durant lesquels les demandeurs d'emploi doivent choisir parmi quatre options : un emploi rémunéré incluant une journée de formation hebdomadaire dans une entreprise privée qui reçoit une subvention de près de 650 francs par semaine pendant les six premiers mois ; un emploi de six mois dans le secteur de l'environnement prévoyant également une journée par semaine de formation ; un emploi de six mois dans le secteur associatif ; ou une formation à temps plein d'une durée maximale d'un an. Dans le premier cas, le demandeur d'emploi touche un salaire et ne perçoit plus ses allocations chômage. Dans les autres, soit il est payé, soit il reçoit l'allocation avec un bonus. Enfin, dans le cas d'une formation, les chômeurs touchent une somme équivalente aux allocations chômage.

– Ultime étape, le « follow through » dure encore six mois, pendant lesquels le chômeur qui n'a toujours pas trouvé de travail est éligible à d'autres programmes gouvernementaux.

Auteur

  • Katia Quénelle