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Politique Sociale

Dépendance : une prestation à revoir de fond en comble

Politique Sociale | DECRYPTAGE | publié le : 01.09.2000 | Anne Fairise

Non seulement l'allocation dépendance créée en 1997 a manqué sa cible, puisque 10 % seulement des personnes concernées en bénéficient, mais elle est terriblement inégalitaire. Si le gouvernement s'apprête à déposer un projet de loi au Parlement, les associations d'aide à domicile ou de maisons de retraite n'en attendent pas de miracles.

Laisser « le père » finir sa vie à l'hôpital ? Hors de question pour ces agriculteurs du Tarn : le retour de Roger à la ferme a fait l'unanimité, malgré les difficultés pressenties. La famille se relaie au chevet du vieil homme, alité en permanence. Elle a choisi de ne pas réclamer l'aide du département pour financer l'intervention d'une aide à domicile. Car demander la prestation spécifique dépendance (PSD), c'est accepter que celle-ci soit récupérée sur donation ou succession. Délicat : le vieil agriculteur a fait don de sa ferme à son fils voici huit ans. C'est l'outil de travail de la famille. « Heureusement, un service de soins infirmiers passe chaque jour. Pour les gestes de la vie quotidienne, la famille assume seule. Elle fait au mieux. Mais, humainement et matériellement, les moyens n'y sont pas. L'épouse est épuisée. Elle avait déjà accompagné ses propres ascendants en fin de vie », explique-t-on à l'association d'aide à domicile, contactée après la sortie de l'hôpital.

Même dilemme pour la famille de Pierre, 79 ans. La dégradation de son état de santé, voici quelques mois, a sonné la fin de l'aide versée jusqu'alors par sa caisse de retraite pour financer l'aide à domicile qui l'accompagnait dans les actes essentiels de la vie quotidienne : se lever, s'habiller, faire ses courses… La famille a été orientée vers le conseil général, chargé, lui, via la PSD, de prendre en charge les personnes âgées les plus dépendantes, qu'elles vivent en maison de retraite ou à domicile. Celles qui se retrouvent confinées totalement ou partiellement au lit, au fauteuil, celles dont l'autonomie mentale ou physique est gravement altérée… Mais, là encore, la perspective d'un recours sur succession a fait reculer la famille de wPierre. Elle préfère financer son maintien à domicile sur ses propres deniers : 2 600 francs chaque mois pour quarante heures d'intervention.

Les cas de Roger et de Pierre n'ont rien d'exceptionnel. Depuis sa mise en place en 1997, la PSD a réussi à faire l'unanimité contre elle. Si le recours sur succession ou donation a détourné beaucoup de « candidats » potentiels, l'attribution de la PSD sous condition de ressources (6 249 francs pour une personne seule) en a exclu bon nombre d'autres parmi les classes moyennes. Conséquence : le nombre de seniors aidés par les départements a reculé de 10 % entre 1996 et 1999, souligne une récente étude du ministère de la Solidarité. Ce qui a, au passage, permis aux conseils généraux de faire de substantielles économies par rapport à ce que leur coûtait le dispositif précédent : pas moins de 1,4 milliard de francs depuis 1997, selon l'Observatoire de l'action sociale.

Mais la PSD n'a pas seulement manqué sa « cible ». Touchant tout juste 123 000 seniors – en majorité des femmes de plus de 75 ans – alors que les personnes âgées dépendantes sont dix fois plus nombreuses, elle a généré de profondes inégalités dans l'Hexagone, chaque conseil général ayant fixé ses propres barèmes. Mieux vaut vieillir dans les départements riches. La PSD délivrée aux seniors hébergés en maison de retraite varie du simple au quadruple, de 30 francs par jour dans les Landes et l'Yonne à 120 francs en Savoie. Le traitement n'est pas meilleur pour les personnes vieillissant à domicile : un quart des départements leur verse plus de 3 800 francs mensuels et un autre quart moins de 2 900 francs.

Petits arrangements avec la loi

Autre point noir, la modicité des montants de la PSD a un impact négatif sur le travail des salariés des associations d'aide à domicile. Certains seniors ont recherché les services les moins onéreux pour s'assurer un maximum d'heures, employant directement des intervenants ou recourant à des associations dites mandataires (qui gèrent pour elles l'aspect administratif sans nécessairement contrôler les intervenants, toujours employés par les personnes âgées). « Avec la PSD, il y a eu un transfert d'activité vers l'emploi de gré à gré ou mandataire, constate Florence Leduc, présidente de la Fédération des associations de services et de soins à domicile (10 000 salariés, 55 000 personnes âgées clientes). Nous assistons à un morcellement des prises en charge et le métier a gagné en pénibilité : les temps d'intervention à domicile ont baissé mais pas la charge de travail. » Outre cette détérioration du métier d'aide à domicile, la Fassad dénonce « le désengagement des caisses de retraite », acteurs majeurs du financement de la dépendance aux côtés des départements. Les caisses qui finançaient de manière facultative des heures d'aide à domicile aux seniors, quel que soit leur degré de dépendance, se sont recentrées sur les « moins dépendants » lors de la mise en place de la PSD tout en revoyant parfois à la baisse le nombre d'heures allouées. « Elles ont limité les interventions à trente heures maximum et n'officient que très ponctuellement au-delà », s'insurge la Fassad.

Temps d'instruction des dossiers souvent long, procédures administratives complexes et, parfois, rupture de prise en charge : les associations d'aide à domicile ont pâti du passage de relais souvent difficile entre les caisses et les départements quand les personnes âgées ont basculé d'un dispositif à l'autre. « Les gens vivent le passage à la PSD comme un risque. Car le montant alloué n'est pas forcément beaucoup plus avantageux que ce qu'elles touchent auprès des caisses de retraite et les procédures sont compliquées », commente une association d'aide à domicile du Tarn. Tant et si bien que l'on s'arrange parfois avec la loi. « Le degré de dépendance peut être sous-estimé pour permettre à la personne de continuer à être prise en charge par les caisses de retraite », explique une association parisienne.

Un sévère livre noir

Ces dysfonctionnements, les associations de personnes âgées, de maisons de retraite et d'aide à domicile les dénoncent depuis longtemps. Dès 1998, une vingtaine d'entre elles, constituées en Comité de vigilance de la PSD, ont publié un sévère livre noir. Autant dire qu'elles attendent avec impatience la réforme promise pour la rentrée par Martine Aubry. Non sans déplorer que les socialistes, pourtant très réservés lors de l'adoption de la PSD en 1997 sous le gouvernement d'Alain Juppé, aient tergiversé aussi longtemps, une fois au pouvoir, avant d'en reconnaître l'échec. Comme a fini par le faire Lionel Jospin, en mars dernier. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité a promis qu'avant de partir pour Lille elle présentera en septembre un texte réformant la PSD. Lequel devrait être discuté à l'automne au Parlement.

Les membres du Comité de vigilance restent circonspects. S'ils ont plutôt bien accueilli le rapport Sueur, qui devrait inspirer la réforme gouvernementale, ils craignent que la loi ne soit pas à la hauteur des enjeux. À la place de la PSD, le député maire d'Orléans propose une prestation égalitaire et élargie, baptisée « aide personnalisée à l'autonomie » (APA), couvrant les personnes âgées fortement et moyennement dépendantes, qui pourrait toucher jusqu'à 900 000 individus. Une prestation plus généreuse, allouée selon une grille croisant niveau de dépendance et de ressources. Mais Jean-Pierre Sueur laisse en suspens la question du recours sur donation ou succession. Enfin, l'État viendrait abonder le dispositif et mettrait en place un fonds de péréquation entre les départements. Coût du dispositif : 12,4 milliards de francs, soit 4,4 milliards de plus qu'aujourd'hui.

Pour beaucoup, le rapport ne va toutefois pas assez loin. « Il ne sort pas de la logique d'assistance, même s'il reprend le terme d'autonomie. Car l'APA est une prestation d'aide sociale attribuée selon les revenus », commente Jean Barucq, sous-directeur au service social de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés (Fehap). Très critiquée également : la répartition des rôles entre les conseils généraux et les caisses de retraite. Car, si l'objectif est de créer une prestation garantie nationalement, la gestion serait laissée au niveau local. Pas question de déposséder les uns ni les autres de leurs prérogatives. Les départements continueraient à prendre en charge les seniors les plus dépendants ; les caisses de retraite se chargeraient toujours des moyennement dépendants, mais verraient l'aide à domicile, qu'elles financent aujourd'hui facultativement, transformée en une prestation légale. « Le rapport Sueur fait le pari du développement du partenariat entre les départements et les caisses, sans tirer aucun enseignement du bilan de la PSD. Or qu'a-t-on vu ? Les conventions passées entre les deux acteurs étaient a minima, réduites à de simples échanges d'informations. En trois ans, il y a rarement eu de traitement commun des dossiers. Il faut arrêter les bricolages et faire un choix réellement structurant entre les conseils généraux et les caisses de retraite », déplore Élisabeth Merle, secrétaire générale de la Fédération nationale des aides à domicile en activités regroupées (Fnadar), qui compte quelque 150 associations.

Une facture qui va s'envoler

Autre écueil du rapport : il vise essentiellement les personnes âgées vivant à domicile. Celles hébergées en maison de retraite relèveront des mesures gouvernementales proposées pour la réforme de la tarification des établissements, laquelle achoppe depuis trois ans. Le rapport Sueur, en proposant des prestations plus avantageuses (pour le plafond de ressources et le montant de la future prestation) que celles envisagées pour les maisons de retraite, a jeté le trouble. S'achemine-t-on vers un traitement différencié de la dépendance ? « Les pouvoirs publics n'ont pas de vision globale », regrette Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs des établissements d'hébergement des personnes âgées (Adehpa).

Autant dire que le Comité de vigilance reste l'arme au poing. « Nous craignons que l'on présente un projet de loi faisant plaisir à tout le monde, gommant les inégalités les plus frappantes sans toucher à l'architecture institutionnelle actuelle », explique Maurice Bonnet, vice-président du Comité national des retraités et des personnes âgées (CNRPA). Reste que la perspective des prochaines élections pourrait bien conduire le gouvernement à retarder l'examen de ce dossier explosif. « Il ne faut pas repousser aux calendes grecques le problème de la dépendance, comme on continue de le faire avec les retraites, prévient Bernard Devy, le président FO de l'Arrco (le régime de retraite complémentaire des salariés). D'autant que le coût va aller croissant. » Démographie oblige. Aujourd'hui 1 million, les plus de 85 ans, si l'on ne s'en tient qu'à eux, seront 2,1 millions en 2020 et… 4,5 millions en 2050.

Pourquoi pas une prise en charge dans le cadre de la solidarité nationale ?

Les membres du Comité de vigilance se sont, depuis longtemps, prononcés en faveur d'une prise en charge de la dépendance dans le cadre de la Sécurité sociale. Cela permettrait de la gérer comme un « risque », au même titre que la maladie ou la famille, mais nécessiterait de créer une cinquième branche, financée par des cotisations. Ils ne sont pas les seuls à réclamer une réforme de cette ampleur. Les syndicats, comme FO, la CFDT ou la CGT, sont également favorables à une telle prise en charge. Certains conseils généraux (Aveyron, Isère, Haute-Vienne ou Val-de-Marne), titillés par la crainte de voir exploser les budgets d'aide sociale, se sont également déclarés, en mars 1999, partisans d'une telle solution.

L'Allemagne a, elle, depuis 1995 franchi le pas et mis en place un régime d'assurance dépendance, sous tutelle de l'assurance maladie. Il est financé par une cotisation frappant les salaires à hauteur de 1,7 %, à la charge de l'employeur et du salarié à parité. Et les retraités sont mis à contribution. Pour éviter aux salariés une perte de leur pouvoir d'achat, un jour férié a été supprimé. 32 milliards de deutschemarks (107 milliards de francs) sont ainsi dépensés pour assurer des soins à 1,8 million de personnes âgées.

Auteur

  • Anne Fairise