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Vie des entreprises

Dominique Maillard négocie le virage de RTE

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 02.02.2013 | Nicolas Lagrange, Jean-Paul Coulange

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Le profil des salariés

Crédit photo Nicolas Lagrange, Jean-Paul Coulange

Dans le giron d’EDF jusqu’en 2005, RTE s’est émancipé sous la conduite de Dominique Maillard. Le Réseau de transport d’électricité améliore son management, s’ouvre sur l’extérieur, se réorganise… mais ses relations sociales se tendent.

Année électrique en perspective chez RTE. Partie intégrante d’EDF jusqu’en 2005, devenu filiale à 100 %, avec un statut de société anonyme à capitaux publics, la législation européenne exigeant une sépa ration juridique entre les activités de production et de transport d’électricité et la neutralité de RTE à l’égard des producteurs, le Réseau de transport d’électricité vit aujourd’hui la première grande transformation de sa jeune existence. Baptisé RTE 2, le projet de réorganisation qui va largement occuper l’année prévoit de structurer l’entreprise en quatre filières métiers (développement de l’ingénierie, maintenance, exploitation et clients marché) en lieu et place de ses 14 établissements régionaux. Actuellement en phase d’information-consultation, ce projet est vigoureusement combattu par la puissante CGT, majoritaire dans l’entreprise publique.

Aux manettes du changement, Dominique Maillard, un X-Mines de 62 ans, est devenu président du directoire de RTE en 2007, après une carrière presque totalement consacrée à l’énergie. Adepte du compromis, moins dirigiste que son prédécesseur, André Merlin, premier président de RTE, il va pouvoir mettre à l’épreuve son goût pour la négociation. En 2010, après cinq années de politique contractuelle intense pour renégocier tous les accords d’entreprise hérités d’EDF, Dominique Maillard décide de faire entrer le DRH, Pascal Magnien, au comité exécutif, de le nommer directeur général adjoint et de lui confier la présidence du CCE afin de re donner toute sa légitimité à la fonction RH. Aujourd’hui, le défi que doit relever le tandem est de taille : professionnaliser le management, décloisonner l’entreprise, améliorer les perspectives de carrière, sans pour autant remettre en cause le très fort attachement des 8 800 salariés à leur métier et au service public. Ce qui constitue à la fois une contrainte et un atout majeur.

1-Professionnaliser le management.

Axe fort de la trans formation de l’entreprise, l’amélioration du management est considérée par l’équipe de direction comme une priorité pour réussir RTE 2. Un projet qui modifie les structures et nécessite de manager autrement. « Il y a une réelle proximité entre salariés et managers. Il y a environ un manager pour dix personnes. Mais la culture est encore très top down », estime Isabelle Hennebique, directrice de Transport électricité Nord Est. « C’est le chantier principal, considère Guy Marchetti, délégué syndical central CFDT, deuxième syndicat de l’entreprise. Il faut commencer par le haut. On a un top management “militaro-industriel” et des managers intermédiaires peu responsabilisés. Quand un dirigeant du comité exé cutif effectue une visite, tout s’arrête dans les unités. Pas une tête qui dépasse. »

L’encadrement est considéré comme insuffisamment à l’écoute par la direction générale et nourri par une abondance de procédures. « Au comex, il y a parfois encore du déni sur ces sujets. D’où des efforts de sensibilisation au plus haut niveau sur l’ouverture aux autres. Pour l’ensemble de l’encadrement, explique le DRH, nous avons élaboré une charte de l’identité managériale qui indique notamment que le manager doit accorder plus d’importance à sa contribution qu’à son positionnement dans l’organisation. »

Un séminaire d’intégration spécifique, baptisé Starter, a été mis en place à destination des cadres recrutés en externe. Durant trois jours, dans le Vexin, ils découvrent l’entreprise et rencontrent les dirigeants. « Il faut aussi des actes symboliques, affirme Dominique Maillard. C’est pourquoi j’ai arrêté la pro cédure de certification ISO 9001, renouvelée tous les dix-huit mois, car je constatais une dérive revenant à privilégier la procédure à sa finalité. Il faut prendre du recul sur la procédure quand la sécurité n’est pas en jeu. » Le président du directoire a également décidé d’intégrer prochainement des critères sociaux dans l’évaluation des managers, autour de l’aptitude à la coopération.

2-Diversifier les recrutements.

Entreprise un brin consanguine, RTE entend élargir son recrutement au monde universitaire et met en place une promotion d’ingénieurs via l’apprentissage. « On a une histoire très marquée par la culture technique, avec des ingénieurs qui ont tendance à développer les mêmes comportements. Ce qui favorise un fonctionnement en vase clos et des relations descendantes. Il faut ouvrir l’entreprise », assure le DRH, Pascal Magnien, lui-même ingénieur et ancien directeur opérationnel. « Dans les fonctions support, nous avons recruté des économistes, fiscalistes, so ciologues, psychologues », ajoute-t-il. En outre, un quart des nouveaux venus ont au moins cinq ans d’expérience.

« De nombreux agents n’ont connu qu’EDF puis RTE, avec parfois plusieurs générations d’une même famille travaillant dans l’entreprise, relève Stéphanie Hugault, chargée d’affaires RH de RTE Nord Est. Nous encourageons aujourd’hui plus de diversité des profils et des expériences. » Pour faciliter l’intégration dans cet univers technique, où jargon et sigles prospèrent, RTE dispose de deux outils : un système de parrainage et une découverte de deux jours des différents métiers.

L’effectif total de l’entreprise est en légère baisse, mais la pyramide des âges favorise cette diversification des recrutements : près de la moitié des collaborateurs partiront en retraite dans les dix ans. Le nombre de femmes progresse lentement (27 % des recrutements pour près de 20 % de l’effectif). « La confusion des rapports soumis aux élus ne permet pas une analyse sérieuse sur l’égalité professionnelle », déplore David Ortal, secrétaire CGT du CCE. En revanche, l’intégration de salariés handicapés, autre source de diversité, fait l’unanimité. L’objectif d’atteindre 5 % de l’effectif d’ici à 2015 est ambitieux, mais RTE s’est donné les moyens avec un correspondant handicap et un groupe opérationnel doté d’un budget dans chaque région. Stéphanie Martin, assistante de direction malentendante, bénéficie par exemple d’un bureau avec isolation phonique, à Lomme (Nord). « Je travaille aujourd’hui dans des conditions optimales. L’entreprise a su s’adapter pour faire du sur-mesure », dit-elle. Une appréciation partagée par Mohammed Moumeni, technicien d’exploitation installé dans le même bâtiment. Son handicap a été expliqué aux autres salariés et passe aujourd’hui au second plan.

3-Développer les perspectives de carrière.

Huit salariés de RTE sur dix sont fiers d’appartenir à RTE, selon le baromètre social interne de 2012. « L’entretien du réseau électrique est essentiel, ce n’est pas répétitif parce qu’on travaille sur plusieurs centaines de matériels différents », témoigne Yannick Hiraux, technicien de maintenance à Valenciennes. Comme la plupart des salariés, il est très attaché à son métier et fier d’appartenir à RTE, même si l’entreprise est peu connue du grand public. « Je dis que je travaille pour EDF-RTE, même si ce n’est plus la même maison. »

« RTE est plus homogène qu’EDF en termes de métiers et offre de belles perspectives de carrière », juge Christian Aucourt, directeur de Système électrique Nord Est. Le groupe mise beaucoup sur la formation, dont le budget atteint 8,6 % de la masse salariale. « On suit des stages de secourisme, on apprend de meilleures postures pour le port de charges, notamment, et on peut se former régulièrement chez les fabricants de matériels », détaille Loïc Demarest, technicien de maintenance à Valenciennes.

La possibilité de travailler 32 heures payées 33, voire 34 est aussi très appréciée. « Avant, dans le privé, j’étais au forfait jours, avec des heures tardives. Chez RTE, lorsqu’une réunion qui doit se terminer à 17 heures se prolonge, les managers demandent si cela ne gêne personne », note Gwenaëlle Guillas, une jeune ingénieure qui sera bientôt envoyée à Lomme, dans une des huit tours de contrôle du réseau électrique, après six mois de formation.

Pourtant, le baromètre social interne, qui a recueilli 60 % de réponses, a révélé un problème de motivation chez 30 % des salariés. En cause, notamment, le manque d’autonomie, qui renvoie à la problématique du management, mais aussi la difficulté à se projeter individuellement. « Nous avions jusque-là 2 800 libellés d’emplois, détaillés très précisément, ce qui rendait impossible toute GPEC. Grâce à un accord signé par trois syndicats sur quatre en juillet 2011, nous devrions arriver à environ 300, avec des possibilités d’évolution accrues au sein des métiers », précise Jean Tierrie, RRH de RTE Nord Est. Un accord qui devrait prendre tout son sens dans le cadre des filières métiers de RTE 2, selon la direction, mais qui est rejeté par la CGT : « Trop de polyvalence et des frontières désormais plus floues entre maîtrise et encadrement », dénonce Jean-Louis Maury, délégué syndical central.

La DRH a également mis en place un système d’autoévaluation des compétences des salariés. Les managers donnent ensuite leur appréciation et mènent un second entretien, sur les perspectives de carrière, épaulés en amont par des conseillers carrière. « À terme, l’entretien professionnel devra être conduit par une autre personne », avance le DRH, Pascal Magnien.

Une prime individuelle de performance annuelle, d’un montant très variable, est attribuée à près de 90 % des salariés : un système très critiqué par les organisations syndicales et souvent mal vu par les salariés, plus réceptifs à la notion de travail d’équipe.

4-Préserver le dialogue social.

Depuis les élections de 2010, qui ont vu la CGT passer au-dessous de la barre des 50 % (47 % des voix ) et perdre son droit d’opposition, le dialogue social a changé de nature. La DRH recherche moins le paraphe de son interlocuteur syndical et ce dernier multiplie les contentieux judiciaires. Avec un succès certain, puisque la CGT a obtenu que pour tout projet transversal la cinquantaine de CHSCT du groupe soit consultée avant la saisie du CE.

Un comité santé-sécurité, sorte de CHSCT central non encadré par la loi, a aussi été créé au niveau national. En outre, un accord garantit aux représentants du personnel une progression de carrière normale et facilite les détachements à mi-temps ou à plein temps. Cela n’empêche pas le fossé de se creuser entre CGT et direction. « La DRH choisit ses partenaires, stigmatise la CGT, ne répond pas aux résolutions du CCE et ne respecte pas tous ses engagements », s’indigne David Ortal, secrétaire CGT du CCE. L’organisation syndicale est vent debout contre le projet RTE 2, qui « verticalise » l’entreprise avec les nouvelles filières métiers envisagées. Selon elle, les responsables régionaux seront sans réel pouvoir et les responsables RH soumis aux patrons des filières métiers.

Mais la conséquence indirecte de RTE 2 est aussi de ramener le nombre d’établissements de 16 à 4 ou 5 et de faire fondre le nombre de représentants du personnel dans des proportions très importantes. Il faut dire que l’opérateur public en est bien pourvu : près de 900 salariés (plus de 10 % de l’effectif), parmi lesquels 117 sont détachés à plein temps, détiennent 1 353 man dats. « RTE 2 peut être acceptable si la direction conserve un échelon régional pour le dialogue social », estime Guy Marchetti, de la CFDT. Dominique Maillard pourrait faire quelques concessions, mais il entend mener son projet à terme cette année. En évitant de créer de nouveaux cloisonnements, cette fois entre les filières métiers…

Repères

100 000 kilomètres de lignes à haute et très haute tension : RTE exploite, entretient et développe le plus gros réseau électrique en Europe, les autoroutes et les nationales de l’électricité en quelque sorte. ERDF prend en charge de son côté les lignes à basse et moyenne tension. Avec ses 8 800 salariés, RTE réalise près de 4,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires (2011) et dégage 266 millions d’euros de résultat net.

2000

RTE, le Réseau de transport d’électricité, est créé au sein d’EDF.

2005

RTE est séparé juridiquement d’EDF et devient une société anonyme à capitaux publics, baptisée RTE EDF Transport, filiale à 100 % du groupe EDF.

2011

RTE EDF Transport devient RTE.

Le profil des salariés
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE MAILLARD, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE RTE
“Nous devons redonner de l’autonomie aux salariés”

RTE devrait investir environ 15 milliards d’euros d’ici à 2020. Quelles seront les conséquences sur l’emploi ?

D’ici à 2020, nous devons passer de 1,4 à 2 milliards d’euros par an d’investissements pour adapter le réseau aux nouveaux moyens de production, éolien et photovoltaïque notamment. Mais je ne perçois pas de tendance lourde à la hausse ou à la baisse des ef fectifs. Il n’y a pas d’effet strictement proportionnel entre investissements et emploi interne. Dans le développement et l’ingénierie, les recrutements devraient augmenter. En matière de maintenance des réseaux, il y aura des mouvements dans les deux sens. Nous devrons probablement réinternaliser certaines activités. A contrario, il est parfois préférable, sur certains travaux bien spécifiques, de laisser opérer les entreprises prestataires.

Quelle est aujourd’hui la priorité de la politique sociale de RTE ?

Le lieu de travail doit être un lieu d’épanouissement et non de souffrance. Les relations sociales doivent être empreintes d’humanité. Une très forte majorité de salariés sont fiers d’appartenir à RTE, mais près de 30 % assurent qu’ils ne sont pas motivés. C’est trop pour une entreprise de notre taille, de surcroît dans un secteur protégé. Il faut trouver des leviers permettant d’améliorer la motivation des salariés. Nous devons leur redonner de l’autonomie, aux cadres en particulier. Ce qui passe par une sensibilisation importante du management. Il faut concilier la nécessité d’une rigueur absolue, dans un environnement où la sécurité prime, et le besoin de créativité. Nous devons aussi éviter d’être dans une relation top down, et favoriser la transversalité.

RTE est souvent vu comme une entreprise élitiste, avec une culture très technique. Est-ce un handicap ?

RTE a une image de maison d’ingénieurs, on n’en rougit pas, mais on ne souhaite pas n’être que cela, d’où nos efforts pour recruter dans d’autres filières, pour rechercher parfois des profils non techniques pour des postes de managers. Nous favorisons aussi les passerelles entre métiers pour empêcher le cloisonnement.

Les grandes écoles forment-elles suffisamment aux RH ?

Les RH et la communication sont trop rarement étudiées dans les grandes écoles. Un ingénieur ne doit pas seulement être capable de résoudre des équations complexes, il doit pouvoir expliquer, partager ses informations. C’est un interprète qui doit savoir traduire son expertise.

Le dialogue avec la CGT est tendu. Un compromis sur votre projet de réorganisation RTE 2 est-il possible ?

Tout processus de transformation est porteur de tensions. Et les élections professionnelles cette année peuvent compliquer la donne. Nous avons une situation favorable, un monopole protecteur, nous faisons des bénéfices, et certains se demandent pourquoi nous souhaitons organiser l’entreprise différemment, par filières de métiers. Mais la responsabilité de la direction est de faire évoluer RTE pour qu’il soit plus réactif aux demandes de ses clients. À mes yeux, c’est la vraie définition du service public.

Faut-il discuter avec les représentants du personnel de sujets telles la valeur ajoutée ou la rémunération des dirigeants ?

C’est l’État qui fixe les tarifs de l’électricité et le taux de dividendes. C’est le comité de rémunération de RTE qui fait des propositions sur les salaires des dirigeants, mais c’est l’État qui tranche. Nous avons donc une situation très spécifique. Pour autant, pourquoi ne pas avoir un débat sur la construction de la valeur ajoutée et sa répartition ? Les représentants des salariés demandent à être au comité de rémunération. Compte tenu du rôle de l’État, je ne sais pas si cela changerait grand-chose, mais je n’y vois pas d’inconvénient.

Faut-il faire preuve de patriotisme économique quand on est dirigeant d’entreprise ?

Nos fournisseurs font référence au coût du travail et craignent que nous soyons tentés par des matériels asiatiques moins chers. Ce n’est pas notre choix. En contrepartie, nous leur demandons d’évoluer. La préférence française a un sens si les industriels améliorent la qualité de leurs produits sans se reposer sur leurs acquis. Sinon, nous devrons aller voir ailleurs.

DOMINIQUE MAILLARD

62 ans.

1991

Directeur du gaz, de l’électricité et du charbon au ministère de l’Industrie.

1995

Directeur de l’économie, de la stratégie et des investissements à la SNCF.

1998

Directeur de l’énergie et des matières premières au ministère délégué à l’Industrie.

2007

Président du directoire de RTE.

Auteur

  • Nicolas Lagrange, Jean-Paul Coulange