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Le casse-tête de l’aménagement des postes

Dossier | publié le : 02.02.2013 | S. G.

Le bureau des télétravailleurs reste un lieu privé, leur domicile, dont les employeurs n’approchent qu’avec prudence. Mais l’émergence d’un contentieux sur la santé et la sécurité au travail pourrait changer la donne.

Le télétravail est officiellement entré dans le Code du travail le 22 mars 2012 : les articles L. 1222-9 à L. 1222-11 en livrent la définition, les modalités de mise en œuvre et de réversibilité, les obligations de l’employeur… Mais ils restent très discrets sur un sujet pourtant essentiel : l’aménagement de l’espace de travail du télétravailleur. Tout juste est-il mentionné que l’employeur doit prendre en charge les « coûts matériels, logiciels, abonnements, communications, outils et maintenance en relation avec l’exercice du télétravail ».

L’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, qui a largement inspiré la rédaction du Code du travail, est à peine plus disert : « Il évoque essentiellement la question de la conformité des installations électriques, explique Yves Lasfargue, directeur de l’Observatoire des conditions de travail et de l’ergostressie (Obergo). C’est pourquoi la plupart des entreprises conditionnent l’exercice du télétravail à la réalisation d’un diagnostic de sécurité. » Si les installations électriques sont inadaptées, elles acceptent parfois de cofinancer les travaux de mise en conformité. Mais, dans la plupart des cas, les incursions dans le domicile du télétravailleur s’arrêtent là. « Les employeurs ont peur de s’immiscer dans la sphère privée de leurs salariés, commente Frantz Gault, directeur du pôle conseil télétravail du cabinet LBMG Worklabs. Les partenaires sociaux sont très vigilants sur ce point. »

L’accord télétravail signé par Capgemini en juillet 2011 (après un an d’expérimentation) prévoit ainsi que les 440 télétravailleurs recensés à ce jour doivent faire réaliser un diagnostic de sécurité électrique financé par l’entreprise. « Si l’installation est conforme, nous établissons un avenant “télétravail” à leur contrat de travail, explique Marc Veyron, directeur des affaires sociales. Si l’installation n’est pas conforme (ce qui peut arriver dans les immeubles anciens, à Paris notamment), nous pouvons prendre en charge une partie des travaux de mise en conformité. »

Ergonomie du poste. Très stricte sur la question de la sécurité électrique, l’entreprise aborde l’aménagement de l’espace de travail avec circonspection : « Nous équipons les télétravailleurs d’un ordinateur portable, d’une connexion Internet et d’un casque pour la voix sur IP, détaille Marc Veyron. Nous leur demandons également de suivre le module d’e-learning que nous avons élaboré avec un médecin du travail. Il y est question d’aménagement et d’ergonomie du poste de travail, de gestion des horaires, d’hygiène de vie… » Une démarche pas forcément appréciée par les partenaires sociaux, qui ont toutefois fini par admettre que l’entreprise avait raison de sensibiliser les télétravailleurs : l’expérience prouve en effet qu’ils ont tendance à travailler plus longtemps et plus intensément chez eux qu’au bureau. Chez Axa France, les 155 salariés participant à l’expérimentation qui devrait déboucher sur un accord de télétravail courant 2013 ont été sensibilisés à la nécessité d’aménager un espace dédié dans leur logement : « Mais nous avons décidé de leur faire confiance et de ne pas demander de descriptif précis ou de photo, explique Carole Bienarrivé, responsable du développement des SIRH et du projet télétravail. Nous partons du principe que pour bénéficier du télétravail, un collaborateur doit être autonome et avoir une relation de confiance avec son manager. » Autonomie et confiance sont en effet deux des facteurs clés de la réussite du télétravail.

La Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) en est parfaitement consciente. Elle a toutefois pris le parti d’avoir une approche « très organisée » du télétravail, note Caroline Wagner, directrice adjointe des ressources humaines et pilote du projet télétravail, qui concerne à ce jour 45 salariés (essentiellement des non-cadres). « Nous voulons nous assurer de la conformité du domicile du télétravailleur avec cette nouvelle organisation. » Avec trois critères principaux : disposer d’au moins 6 mètres carrés d’espace de travail (« Nous ne sommes pas à 1 mètre carré près, mais nous ne voulons pas que nos salariés travaillent sur un coin de la table de la cuisine ») ; la pièce doit avoir un ouvrant sur l’extérieur (« Ni cave, ni grenier ») ; et, enfin, les installations électriques doivent être conformes aux normes de sécurité (« Nous finançons le diagnostic mais pas les travaux »). Sur 65 candidats, la Cnav en a retenu 45 (parmi lesquels huit ont procédé à des travaux pour mettre leur installation électrique en conformité) : « Nous avons beaucoup communiqué en amont sur les conditions à remplir pour éviter de décevoir des salariés qui auraient pu être intéressés », indique Caroline Wagner. La Cnav ne se contente pas de fournir l’équipement informatique : son service infrastructure livre également un bureau et une chaise ergonomique au domicile du télétravailleur. « Si le bureau du salarié est conforme aux normes requises, il peut le garder. Mais pour la chaise, nous sommes intransigeants. Nous avons beaucoup travaillé sur l’ergonomie des postes de travail. Pour les télétravailleurs aussi bien que pour les salariés de nos agences. »

Dix-huit mois après le lancement de cette expérimentation, Caroline Wagner est convaincue que cette intransigeance est justifiée : « Notre priorité est de garantir l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle des télétravailleurs. Les salariés ont eux-mêmes confirmé que cela les aidait à bien faire la séparation entre les deux. Les partenaires sociaux et les instances représentatives du personnel ont été associés à la démarche. » Les médecins du travail se sont ainsi rendus au domicile de deux salariés pour s’assurer qu’ils travaillent dans de bonnes conditions de santé et de sécurité. « Le CHSCT était à la fois très demandeur… mais aussi conscient qu’il s’agit d’une intrusion dans leur vie privée. » L’irruption de l’entreprise dans la sphère privée de ses salariés semble embarrasser tout le monde. Capgemini a proposé aux télétravailleurs qui le souhaitent de recevoir la visite d’un médecin du travail ou du CHSCT. « Personne ne l’a encore demandé », note Marc Veyron. De plus, à la demande des partenaires sociaux, les salariés participant à une visioconférence sont invités à désactiver leur caméra quand ils travaillent chez eux. Pour que leur vie privée reste vraiment privée.

Responsabilité de l’employeur. Ce tabou pourrait bien finir par tomber un jour. « Légalement, l’employeur ne peut avoir accès au domicile du télétravailleur, souligne Nicole Turbé-Suétens, experte en télétravail et leader du réseau Distance Expert. Mais ses responsabilités en matière de santé et de sécurité au travail subsistent. » Autrement dit, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’entreprise est tenue pour responsable, y compris si les troubles musculo-squelettiques ou le burn-out trouvent leur source au domicile du télétravailleur. Or le télétravail génère des risques non négligeables. La Carsat Nord-Picardie vient de publier le « Guide d’aide à l’évaluation des risques », qui recense tous les dangers. Les risques « classiques » : travail sur écran, risque électrique, paramètres physiques, stress lié aux objectifs, violence externe (de clients difficiles, par exemple), etc. Et les risques liés au télétravail lui-même : isolement social et professionnel, burn out lié à la difficulté de séparer vies personnelle et professionnelle, matériel inadapté (lenteur du système informatique, pannes à répétition), rejet des collègues qui jugent le télétravailleur privilégié, désocialisation et conduites addictives…

« À mesure que le télétravail se démocratise, les risques de contentieux augmentent », prévient Yves Lasfargue, qui met en garde les entreprises contre ce qu’il appelle le « télétravail au noir », c’est-à-dire le télétravail non formalisé par un accord d’entreprise et un avenant au contrat de travail. « Que se passe-t-il en cas d’accident du travail ? La formalisation est une forme de sécurisation. » Notamment pour les employeurs, qui ont jusqu’à présent l’impression d’accorder une faveur à leurs salariés en leur permettant de travailler chez eux. « Le jour où le télétravail se généralisera à la demande des employeurs, la situation sera très différente », poursuit Yves Lasfargue, exemple à l’appui : « H-P, qui prévoit de fermer certaines agences, encourage clairement le télétravail. » Son accord est donc plus généreux que la moyenne : l’entreprise alloue des compensations financières pouvant aller jusqu’à 1 500 euros de prime incitative à l’installation, auxquels peuvent s’ajouter jusqu’à 1 000 euros pour l’acquisition de matériel (bureau, fauteuil ergonomique, diagnostic électrique, téléphone et casque adapté, imprimante, rehausseur d’écran ou écran plat, clavier, souris, webcam…), 40 euros par mois pour la connexion Internet, 90 euros par mois pour l’électricité et le chauffage.

Qui est demandeur ? Ces compensations financières sont modulées en fonction de la durée du télétravail : compter 36 euros par mois de chauffage et d’électricité pour deux jours hebdomadaires de télétravail, 54 euros pour trois jours, 72 euros pour quatre jours et même 90 euros pour quatre jours dès lors que le télétravail est décidé dans le cadre d’un projet de fermeture d’agence. Car le versement de ces sommes dépend aussi d’un critère essentiel : qui est demandeur ? H-P ne verse de compensations financières que si le télétravail se met en place à sa demande. En revanche, les salariés qui se portent volontaires doivent se contenter d’une prise en charge minimale : 40 euros par mois pour la connexion téléphonique et Internet.

La décision rendue le 7 avril 2010 par la chambre sociale de la Cour de cassation ne dit pas autre chose : Nestlé Waters a été condamné à verser une indemnité à l’un de ses télétravailleurs au titre de « l’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles ». La Cour précise toutefois que si l’employeur doit verser une indemnité pour cette « sujétion particulière », c’est parce qu’il a lui-même demandé au salarié de télétravailler. Là encore, tout est question de rapport de force.

Inégaux face au télétravail

Sur le principe, les jeunes salariés sont très demandeurs de télétravail, observe Frantz Gault, directeur du pôle conseil télétravail du cabinet LBMG Worklabs. Mais dans les faits, ils sont nettement moins preneurs. » Difficile, en effet, de travailler chez soi quand on vit dans un studio ! C’est pourquoi la plupart des entreprises rechignent à donner des consignes trop précises en matière d’aménagement de l’espace de travail. « Si elles exigent que le télétravailleur dispose d’une pièce indépendante, elles créent une forme d’iniquité dans l’accès au télétravail », commente Frantz Gault. « Elles risquent également de se voir demander de financer les aménagements », ajoute Yves Lasfargue, directeur de l’Observatoire des conditions de travail et de l’ergostressie (Obergo). Elles se contentent donc souvent de formuler deux exigences (une connexion Internet ADSL et une bonne couverture téléphonique), mais de simples recommandations quant à l’aménagement de l’espace de travail.

Auteur

  • S. G.