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Des open spaces plus cosy

Dossier | publié le : 02.02.2013 | Éric Béal, Sabine Germain

Remisés, les halls de gare sans confidentialité ! Fractionnés en petites unités, dotés d’espaces collaboratifs, de pièces récréatives et de services communs, les nouveaux lieux de travail ouverts sont aménagés avec soin pour chouchouter des collaborateurs que l’on veut s’attacher.

Ecocitoyens, les salariés de Groupama Logistique ! Installés à la Défense, ils travaillent désormais dans des bureaux « Éco-Logic ». Au-delà de la qualité de l’acoustique, de la gestion de l’énergie et du tri des déchets, ce concept inclut un réaménagement de l’espace qui a fait gagner 1 000 mètres carrés sur la surface utilisée antérieurement. Ce qui permet à l’entreprise d’espérer un retour sur investissement en quatre ans. La rénovation des locaux défraîchis a conduit les 153 collaborateurs de ce département, chargé de la logistique immobilière et des services généraux du groupe mutualiste, à modifier leurs habitudes de travail : 90 % des espaces de travail ont été transformés en open space, avec des bureaux en face à face ou décalés, en dépit de la diversité des métiers exercés (courrier, standard, comptabilité, archives ou gestion technique des immeubles). La surface des postes de travail a été réduite grâce à la suppression des bureaux d’angle et à leur remplacement par des plateaux droits équipés de supports mobiles et de bras pour l’ordinateur, l’écran plat et le téléphone. Le classique caisson à roulettes a été équipé d’un coussin pour le visiteur éventuel, lequel n’est pas supposé s’éterniser.

Les locaux de Groupama Logistique illustrent bien les nouvelles tendances en matière d’aménagement des espaces de travail. Adoptés par plus de 60 % des entreprises françaises, selon Actineo (l’Observatoire de la qualité de vie au bureau), les bureaux ouverts sont devenus la norme. Ces espaces décloisonnés sont appréciés pour leur grande souplesse d’utilisation et parce qu’ils sont censés favoriser la communication, la créativité et le travail en commun. En revanche, les « halls de gare » bruyants et sans âme apparus en France au cours des années 80 et 90 n’ont plus la cote.

Le succès (plus de 60 000 exemplaires vendus) du livre L’open space m’a tuer, d’Alexandre des Isnards et Thomas Zuber (éd. Hachette), l’a bien montré. Publié en 2008, ce livre dénonce les problèmes de concentration liés au bruit, le manque de confidentialité ou la surveillance de la hiérarchie et des collègues engendrés par les espaces décloisonnés. Cette dégradation des conditions de travail a favorisé une hausse de l’absentéisme et une baisse de la productivité qui ne sont pas passées inaperçues des DRH. « Depuis quelques années, les directions se rendent compte que cette formule n’est pas la panacée et qu’elle doit être appliquée avec prudence et au cas par cas, note Céline Tixier, consultante en gestion RH et aménagement des espaces de travail. Cependant, elles ne reviendront pas sur leur objectif de rationalisation de l’espace sous la pression des prix de l’immobilier. La surface utile moyenne par salarié est passée de 20 mètres carrés dans les années 90 à 12 mètres carrés aujourd’hui. Certaines entreprises vont même en deçà de 10 », précise l’auteure de Repenser votre espace de travail ! L’aménagement comme outil de management (éd. Ellipses, 2011).

Parmi les « trucs » proposés par les consultants spécialisés pour réduire le bruit ambiant, il y a les espaces pé riphériques. Les salariés de Groupama Logistique disposent de salles de réunion et de zones informelles équipées de banquettes installées au milieu du plateau. Des Éco-Phone destinés à s’isoler pour recevoir une communication téléphonique confidentielle. Un local à archives, créé à proximité des bureaux, complète les armoires basses. Le reste a été envoyé au centre d’archivage interne. À charge pour les services facturation et comptabilité de garder uniquement leurs dossiers en cours à proximité. « C’est une réaction au côté dogmatique de l’open space, estime François Bures, directeur marketing de Kinnarps, le premier fabricant européen de mobilier de bureau. On a multiplié les espaces pour les réunions créatives et les bulles permettant de s’isoler afin de se concentrer. Les lieux de détente ont été réinventés pour favoriser les pauses loin du poste de travail. »

Sièges en osier, troncs d’arbre et gazon au sol.

De quoi révolutionner l’organisation interne chez certains. Voyages-SNCF, une filiale du groupe SNCF, s’est installé au Cnit de la Défense en janvier 2010. Les 1 650 salariés évoluent dans 21 600 mètres carrés aménagés comme « une ville dans la ville », avec une rue centrale, des carrefours, des passerelles et des terrasses. Chaque département a gardé son identité et occupe un quartier. Mais les espaces communs – zones de confort, points photocopieuses, salles de réunion – sont mutualisés pour favoriser les échanges informels ; 27 boxes modulables sont répartis sur les espaces ouverts. Ils peuvent accueillir quatre ou cinq personnes. Partout, des équipements Wi-Fi sont disponibles. L’espace détente fait parfois l’objet d’un traitement particulier. Au siège social de Coca-Cola Entreprise, les salariés bénéficient d’un espace détente de 40 mètres carrés, avec bois naturel et sièges en osier, troncs d’arbre et gazon au sol, des balancelles et même une cabane en guise de coin massage. « Auparavant, l’espace cafétéria était considéré comme le lieu des potins où les salariés ne travaillaient pas, commente Alain d’Iribarne, sociologue et président du conseil scientifique d’Actineo. Il a été réhabilité depuis que les directions se sont rendu compte que l’échange est aussi un temps productif. »

Autre solution proposée par les aménageurs, le cloisonnement des espaces ouverts en plus petites unités. « Les relations avec les collègues ou la hiérarchie constituent le premier problème de l’open space car le bureau est un lieu de vie autant qu’un lieu de travail où les salariés doivent vivre en harmonie, en relation avec des logiques identitaires individuelles et collectives. Or, en France, le bureau est pour chacun un territoire, ce qui rend particulièrement difficile la réalisation de ces harmonies », explique Alain d’Iribarne.

Plus question de proposer un grand bureau ouvert où tous les salariés sont invités à se mélanger. Divisés en sous-ensembles, les espaces de travail ont un effectif réduit et sont séparés par des cloisons à mi-hauteur. Objectif, recréer un lien étroit entre salariés d’un même département afin de favoriser une organisation du travail collaborative. Au siège de Microsoft, à Issy-les-Moulineaux, le bâtiment est divisé en trois ailes presque entièrement occupées par Microsoft. Chaque aile contient 13 quartiers qui comptent une quinzaine de collaborateurs chacun. Les postes de travail sont regroupés en pôles de quatre à six, selon la sédentarité ou le nomadisme des salariés. « Les bureaux à trois ou quatre personnes maximum correspondent à un collectif vivable, approuve Bertrand Artigny, spécialiste de l’organisation du travail chez Secafi. Le niveau sonore peut être gérable et les relations de travail sont de qualité. Au-delà, ça devient compliqué. »

Les grands groupes investissent aussi dans le design des espaces de travail dans l’espoir d’améliorer leur attractivité. Installé à Issy-les-Moulineaux, Microsoft France a choisi la formule « campus » pour son siège français. Avec jardin, réel et virtuel, minéral et végétal, dans le bâtiment. Les nouvelles technologies sont omniprésentes. Écrans LCD disséminés un peu partout, auditoriums, salles de réunion équipées pour la visioconférence… Des matériaux et des couleurs différenciés ont été utilisés pour décorer les espaces suivant leur utilisation. Les salariés disposent également d’une conciergerie et d’un espace de détente, avec tables de jardin, Xbox 360 et baby-foot. Objectif : « favoriser l’efficacité et le travail collaboratif ». « Les grandes entreprises font preuve d’une volonté de sortir de l’ambiance corporate et osent des aménagements originaux », indique François Bures, directeur marketing de Kinnarps.

Aux Pays-Bas, Vodaphone a réaménagé ses bureaux disséminés dans tout le pays. Rassemblés dans trois immeubles situés dans des régions différentes, les nouveaux locaux combinent grands espaces, tables ouvertes et cafétérias dotées de terrasse, qui permettent aux salariés nomades – les plus nombreux – de s’installer sans devoir réserver à l’avance, en fonction du lieu de leur dernier rendez-vous. Une dissociation du lien entre le lieu de travail et le collaborateur très appréciée des équipes, qui a permis de réduire le turnover. « Mais attention, précise Benjamin Girard, porte-parole de Steelcase en France, cette formule ne convient pas à toutes les entreprises. L’espace de travail doit s’adapter aux métiers et à l’organisation interne. » Le spécialiste américain du mobilier de bureau, qui a pris l’habitude d’observer la façon de travailler de ses clients, propose des innovations pour favoriser la collaboration des sédentaires. Son bureau « C : scape » peut accueillir une deuxième personne grâce à un pied recourbé, « car la plupart des collaborations se font à deux ». Son système « Media : scape » équipe une salle de réunion et permet à chaque participant autour de la table de brancher son ordinateur portable pour partager un document avec ses collègues, grâce à un écran géant. Plus symptomatique de l’évolution de la réflexion sur les espaces de travail, les sièges « i2i » sont équipés d’un dossier souple et d’une assise indépendante permettant à la personne d’adopter des poses différentes. « De cette façon, les participants à une réunion informelle qui s’éternise peuvent prendre leurs aises », note Benjamin Girard. « Les entreprises françaises commencent à être influencées par la culture scandinave, ajoute François Bures. Elles s’adressent à des architectes et décorateurs qui proposent des ambiances semblables à celles de l’univers de la maison. »

C’est la nouvelle tendance au « cocooning », la recherche de confort pour le salarié dont toutes les enquêtes montrent que le bien-être est l’une des raisons principales de la fidélité. Cette idée directrice a beaucoup influencé Emmanuel Mignot, président de Teletech International, un spécialiste du centre d’appels lauréat des trophées Arseg de l’environnement de travail (voir interview ci-contre). Le 24 mai 2012, il a inauguré à Dijon un bâtiment de 8 000 mètres carrés qui devrait accueillir quelque 600 conseillers dans quatre ans. Si les espaces de travail bénéficient d’une acoustique qui réduit le niveau sonore, ils sont aussi décorés suivant des thèmes différents (high-tech, embarcadère et bateau, bois et rivière, club anglais…) pour créer un grand choix d’ambiances de travail. De plus, un équipement à la disposition des conseillers leur permet de travailler où bon leur semble dans et autour du bâtiment. De quoi combattre la monotonie et la fatigue liées à cette fonction.

Reste que de l’avis de François Delatouche, président de l’Association des responsables de services généraux (Arseg), peu d’entreprises réfléchissent à leur organisation de travail et à leur mode de management avant d’aménager leurs locaux en bureaux ouverts. « Tout dépend de l’attention que la direction porte aux conditions de travail des collaborateurs. J’ai visité des PME de l’informatique qui avaient adopté des plateaux nus avec des bureaux en enfilade. Une vraie caricature », indique l’ancien directeur des services généraux de Bouygues Telecom. De quoi justifier l’analyse des impacts sur la santé des salariés, dévolue au CHSCT.

Salariés ayant le sentiment que l’entreprise n’accorde pas assez d’importance à l’espace de travail : 27 % chez ceux disposant d’un bureau individuel 37 % chez ceux disposant d’un bureau collectif (petit open space de deux à quatre postes) 47 % chez ceux qui travaillent en bureau paysager (grand open space)

Enquête Actineo, mai 2011.

86 % des salariés travaillant dans un bureau estiment que l’espace de travail a un impact important sur leur bien-être

80 % sur leur efficacité

72 % sur leur motivation

Enquête Actineo, mai 2011.

Emmanuel Mignot Président de Teletech International
“Faire beau pour changer la logique de notre métier”

Quelle est la réflexion qui vous a conduit à investir dans ce centre d’appels particulier ?

Nous avons voulu « faire beau », pour changer la logique de notre métier. Il fallait réinventer l’espace de travail pour créer un effet choc. En investissant dans un bâtiment de qualité, nous voulions attirer de bons collaborateurs et augmenter la qualité de nos prestations. Nous pensons que ces espaces de travail valorisent l’image de notre métier et fidélisent nos meilleurs conseillers.

L’organisation du travail a-t-elle été modifiée ?

Nous avons tout changé, jusqu’au vocabulaire interne. Il n’y a plus de superviseurs, mais des pilotes chargés de faire progresser leurs collaborateurs. Le contrôle du travail est collectif. Les conseillers gèrent leurs pauses eux-mêmes. Nous avons également développé le bean bag.

C’est un sac avec casque à infrarouge et tablette ou PC qui permet aux conseillers de s’installer n’importe où pour travailler, dans et aux abords du bâtiment.

Vous avez ouvert en juin dernier, les résultats sont-ils à la hauteur de vos espérances ?

Nos conseillers ont tous été recrutés avec la méthode des aptitudes relationnelles de Pôle emploi. Les conseillers bénéficient de cinq mois et demi de formation à la gestion du travail en équipe, à l’empathie, à la gestion du stress, au maniement de l’humour en toutes circonstances. Et ça marche. J’ai une équipe formidable qui prend des initiatives en analysant la qualité de service rendu.

Les 8 000 mètres carrés sont-ils tous dédiés à votre activité de centre d’appels ?

Non. Lorsque le bâtiment sera entièrement aménagé, 1 500 mètres carrés seront réservés à un « espace pirate », un lieu dédié aux projets personnels de nos collaborateurs. Nous avons déjà des projets de potager, de leçons de cuisine, de bricolage ou encore d’exposition d’art. Nos clients demandent souvent des horaires précis d’intervention. L’idée est de permettre aux conseillers de vaquer à leurs occupations entre deux missions, sans les obliger à rentrer chez eux. En échange de leur disponibilité, nos collaborateurs gagnent en autogestion et en qualité de vie au travail.

Auteur

  • Éric Béal, Sabine Germain