logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Des fondations très responsables

Politique sociale | publié le : 31.12.2012 | Anne-Cécile Geoffroy

C’est la crise, et le mécénat prospère. Mais son objet évolue. Il privilégie l’éducation et l’action sociale, qui motivent les salariés et traduisent la responsabilité sociale de l’entreprise.

À ton avis, que peux-tu faire pour que quelque chose de difficile devienne facile ? » Une nuée de mains se lève. « Travailler avec des amis », assurent Fanta, Christopher, Hugo ou Lisa, élèves de sixième 2 au collège Jean-Macé de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Stéphan Blachier acquiesce. Directeur des opérations chez Atos Worldline, il intervient ce jour-là devant des collégiens pour le compte de l’association Énergie Jeunes engagée dans la prévention du décrochage scolaire. Avec lui, Lisa Ghouas, analyste crédit chez HSBC, et Roy Broughton, consultant indépendant. « C’est une vraie bouffée d’oxygène. J’espère pouvoir consacrer une journée par mois à cette action », explique Stéphan Blachier. « Savoir qu’on a pu planter une petite graine dans la tête de ces jeunes pour qu’ils s’accrochent à l’école, c’est le kif ! » ajoute Lisa Ghouas. Les deux professionnels sont ici sur leur temps de travail avec l’accord express de leur employeur. Stéphan Blachier est parvenu jusqu’à ce collège du Val-de-Marne via le programme Well being at work du groupe Atos. Pour Lisa, c’est par la Fondation HSBC, très engagée dans l’éducation.

Car, malgré la crise, les entreprises continuent de faire du mécénat et de créer des fondations. Dans son premier baromètre des Fondations, IMS-Entreprendre pour la cité a comptabilisé la création, ces cinq dernières années, de 225 fonds et fondations d’entreprise et recensé au total 450 structures. L’association Admical dénombre, pour sa part, 40 000 entreprises mécènes en 2011, contre 35 000 en 2010. Les budgets n’ont pas non plus trop souffert. En 2011, les entreprises ont consacré au mécénat 1,9 milliard d’euros, contre 2 milliards en 2009.

Longtemps considérées comme la danseuse du patron, soucieux de laisser son empreinte dans le monde culturel ou sportif, les fondations se détournent de ces thématiques. Désormais, elles investissent dans l’éducation (59 % des fondations selon les données d’IMS), l’action sociale (58 %) et l’insertion professionnelle (52 %). Elles ne sont plus que 28 % à s’intéresser à la culture et 6 % au sport. « Une conséquence de la crise économique, explique Géraldine Guilluy, responsable mécénat et partenariats solidaires chez IMS. Pour fédérer les salariés, et ne pas risquer de voir la fondation contestée en interne, les thématiques comme la solidarité, l’enfance, l’éducation sont privilégiées. »

Remotiver les troupes. Si les entreprises se piquent d’intérêt général, ce n’est pas seulement pour valoriser leur image auprès du grand public. Face au désengagement de leurs salariés, à la perte de sens au travail, elles misent sur leurs fondations pour remotiver les troupes. Parrainage d’un projet associatif par un salarié, bénévolat, congés solidaires, mécénat de compétences… Les formules pour s’investir dans les associations, dans ou hors temps de travail, se multiplient. En octobre dernier, la Fondation RATP a lancé pour la première fois un appel à projets auprès de ses salariés bénévoles dans des associations. « Nous faisions déjà appel aux agents dans le cadre du comité de sélection des projets associatifs. Des cadres de la RATP servent également de mentors à des jeunes boursiers. Avec l’appel à projets, nous franchissons une nouvelle étape. La fondation a une vocation de cohésion interne très forte », souligne Sophie Gillet, chargée de mission. Cet été, la Fondation Sanofi a lancé la plate-forme Be a volunteer dans cinq pays pilotes, dont la France, pour faire remonter les offres de missions d’associations partenaires. De son côté, la Fondation HSBC mobilise plus d’un tiers de ses collaborateurs dans une action de mécénat.

En mal de bénévoles, les associations en redemandent. Pour Philippe Korda, patron de Korda & Partners et fondateur de l’association Énergie Jeunes, la mise à disposition par les fondations de salariés seniors est « une solution gagnant-gagnant. Pour l’entreprise car elle bénéficie d’avantages fiscaux, pour le salarié car les missions sont valorisantes, pour l’association qui peut ainsi maîtriser la qualité de ses prestations ». La Fondation Manpower pour l’emploi met ainsi à disposition d’Énergie Jeunes un salarié du groupe chargé d’élargir le cercle des établissements scolaires partenaires de l’association. Guillaume Bapst, directeur du réseau des épiceries solidaires (Andes), est lui aussi emballé par le mécénat de compétences. « La fondation du laboratoire pharmaceutique Boehringer Ingelheim nous a confié une équipe marketing pour penser notre nouvelle marque de jus de fruits bio. Elle travaille aussi avec nous sur la définition du statut de bénévole et surtout sur leur formation, qui demeure, pour les associations, difficile à professionnaliser. »

Reste que si le mécénat de compétences a le vent en poupe (80 % des entreprises interrogées par l’IMS disent proposer à leurs collaborateurs de s’impliquer), dans les faits, il s’avère plus compliqué à mettre en place. Surtout lorsqu’il s’agit de mettre à disposition d’une association un salarié sur son temps de travail. Chez Manpower, Bernard Nebout, directeur délégué chargé des partenariats à la fondation, se montre très prudent sur le détachement complet de salariés. « On n’en fait pas la promotion en interne. Quand une association a besoin d’une ressource experte, nous regardons si l’organisation dispose de cette compétence. Et cela doit se faire en total accord avec le salarié. » Autant dire que si l’envie est bien là, le mécénat de compétences se développe encore timidement. Chez Orange (100 000 salariés), 80 salariés sont en mécénat de compétences dans des associations. Chez Manpower (4 400 salariés) et Monoprix (2 000 salariés), ce sont 15 salariés des sièges sociaux qui aident ponctuellement des associations.

Les fondations ne veulent plus être de simples distributrices de chèques à des associations

Les fondations n’ont pas seulement pour rôle de réenchanter le monde des salariés. Elles deviennent un outil des politiques de responsabilité sociale des entreprises. Rattachées majoritairement à la direction générale ou à la direction de la communication, elles le sont aussi aux directions des ressources humaines et du développement durable. « La Fondation Monoprix est une prolongation de la démarche de développement durable que l’entreprise a engagée il y a vingt ans, indique Catherine Ranieri, déléguée générale de la fondation créée en 2010 autour du thème de la solidarité de centre-ville. Notre volonté est de faire de l’entreprise un acteur social plus intégré encore dans son environnement. » Avec une dotation de 500 000 euros sur cinq ans, Monoprix soutient cinq à sept projets par an, comme ceux de l’Andes ou du Refuge, qui héberge et accompagne des jeunes victimes d’homophobie et en rupture avec leur famille.

Chez Simply Market (groupe Auchan), la fondation est adossée aux services RSE et communication. Comme à la RATP. « Cela facilite l’action du groupe. Quand on parle d’achat responsable, le service s’appuie sur la connaissance du tissu associatif de la fondation. Plutôt que de faire appel à un broker pour se débarrasser des ordinateurs usagés, la fondation oriente le service achats vers des associations qui les recyclent », explique Sophie Gillet. Dans la logique du « socialement responsable », les fondations ne veulent plus être de simples distributrices de chèques à des associations venues consolider leur budget. « On cherche des partenariats constructifs, note Bernard Nebout, directeur délégué de Manpower, chargé des partenariats. La Fondation Manpower pour l’emploi a constitué un noyau dur d’opérateurs, comme Énergie Jeunes, la Jeune Chambre économique française, l’association Initiadroit, ou l’Association de la fondation étudiante pour la ville. Tous interviennent auprès des jeunes dans les collèges. Cette année, nous allons réunir ces partenaires pour qu’ils se connaissent et construire un projet pédagogique global. »

Une exigence qui convient aux associations. Pour elles, les fondations sont une porte d’entrée dans l’entreprise. « Nous travaillons depuis plus de six ans avec la Fondation Carrefour. Il y a deux ans que nous parvenons à construire des parcours métiers avec l’enseigne, qui s’ouvre à nos salariés en réinsertion », analyse Guillaume Bapst, le patron du réseau Andes.

Les 5 plus gros budgets de fondations dans le domaine du social

Fondation Orange (20 millions d’euros en 2010)

Fondation Total (10,5 millions d’euros en 2011)

Fondation Sanofi Espoir (8,3 millions d’euros en 2011)

Fondation L’Oréal (8,1 millions d’euros en 2011)

Fondation Veolia (7,2 millions d’euros en 2011)

Charles-Benoît Heidsieck Président fondateur de l’association Le Rameau
« Une coconstruction du bien commun »

Depuis quand les entreprises œuvrent-elles dans le champ de l’intérêt général ?

Depuis toujours, en matière de création de richesse ?! Mais en termes d’implication au travers de partenariats, le premier acte de décentralisation marque le début de ce mouvement. Jusqu’alors et depuis l’époque des Lumières, l’État était l’unique détenteur de l’intérêt général. Les collectivités territoriales se sont progressivement retrouvées avec des responsabilités renforcées dans le domaine social, s’appuyant sur le réseau associatif pour mettre en œuvre des politiques publiques. Depuis 2010, les financements publics sont en baisse. Les collectivités ne compensent plus le désengagement de l’État. Aujourd’hui, 49 % du financement des associations sont publics. Le reste vient des cotisations des membres (environ 10 %), des revenus d’activité (28 %) et des financements privés (10 %). Au travers du mécénat, la contribution des entreprises pèse environ 2 milliards d’euros. Les fondations d’entreprise représentent près de 100 millions d’euros.

Quel est le rôle d’une fondation ?

La fondation est devenue un outil de gestion de la relation de l’entreprise avec son écosystème. C’est également un outil de dialogue avec ses parties prenantes, une façon de capter les signaux faibles qu’envoie la société. Les entreprises, PME et grands groupes sont prêts à s’engager sur le champ de l’intérêt général. Et ce n’est pas seulement pour eux une question d’image, c’est aussi un levier d’innovation. Depuis la fin des années 90 et l’apogée des politiques de qualité qui ont centré l’entreprise sur elle-même, celles-ci sont percutées par leur environnement extérieur.

Les clients, les salariés, les territoires leur demandent des engagements en termes de responsabilité sociale. Les partenariats associatifs en sont l’une des réponses. Via les fondations, les entreprises peuvent contribuer à la coconstruction du bien commun.

Le mécénat de compétences est-il l’expression de cette coconstruction ?

Oui. Le mécénat de compétences en est à ses débuts car l’implication des salariés est essentielle. Stratégiquement et opérationnellement, il est très complexe à mettre en place car cela perturbe les organisations. Mais il sera à l’origine d’un nouveau modèle de conception de l’intérêt général, qui reste encore à construire. Propos recueillis par A.-C. G.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy