Boucler d’ici à fin janvier un accord de compétitivité revoyant les conditions d’emploi des 45 000 salariés de Renault, du temps de travail aux politiques salariales et de mobilité intersites : la feuille de route de Jean Agulhon, DRH France, tient de la haute voltige. Et met à l’épreuve son caractère de sportif endurci, adepte du triathlon après avoir été amateur de rugby. D’autant que la firme au losange a mis les négociateurs sous haute pression, conditionnant à « un accord global »… son engagement de « ne pas fermer d’usine » ! « Négocier en un temps court permet d’aller à l’essentiel. Tout l’enjeu est de ne laisser aucune organisation syndicale au bord de la route », commente le quadra, réputé fin stratège. Pour que les participants soient « sur un pied d’égalité », il a fait précéder les négociations de discussions « sur les éléments constitutifs de la performance, les écarts entre les sites industriels français et européens de Renault ». Et réactivé le dispositif de communication interne mobilisé en cas de force majeure : « Dans les vingt-quatre heures suivant chaque séance de négociation, l’ensemble du personnel doit connaître le contenu des propositions. » Un coup double. « Cela met les organisations face à leurs responsabilités et conditionne les salariés », maugrée un militant. De quoi expliquer l’échec des débrayages organisés mi-décembre par la CGT. L’accord de compétitivité, signé par les syndicats espagnols de Renault, a refroidi aussi les troupes.

Jean Agulhon préfère évoquer le réalisme français. « Les négociations se sont engagées sans effet de surprise : le sujet de la compétitivité est en débat depuis deux, trois ans dans l’entreprise », précise ce négociateur de l’accord de GPEC de 2011 et cheville ouvrière, avec Gérard Leclercq, le DRH groupe, de l’accord de crise en 2009. Cela lui vaut d’être apprécié des syndicats. « Il est ouvert, réfléchi, prêt à expérimenter », lâche un cédétiste. « On a de la chance de négocier avec un homme de cette envergure. Les syndicats arrivent à faire un bout de chemin avec lui sans y perdre leur âme », renchérit la CFE-CGC, première organisation. La conduite du changement, c’est la passion de ce fils de proviseur, qui l’a expérimentée dans les déménagements. Né au Maroc, écolier en Normandie, étudiant à Montpellier. Entré chez Renault avec un DESS de droit et pratique des relations du travail, il n’a qu’un objectif : « Faire du droit le moins longtemps possible pour passer à la GRH. » Sa première expérience dans une usine orléanaise, où il seconde le chef du personnel, est fondatrice. Jugeant la décision de fermeture du site mauvaise, il bascule vers la qualité totale. Du PSE à l’innovation, le revirement est complet. Au point que ce mordu de sociologie devient consultant pour promouvoir des techniques canadiennes de conduite du changement. Mais Renault le rattrape. À 34 ans, le voilà aux manettes des RH de l’usine de Cléon (5 000 personnes). À 39 ans, il est appelé par Michel de Virville, alors DRH, qui lui confie celles de la fonction RH puis du manufacturing.

Plus loin du terrain, Jean Agulhon n’en oublie pas l’importance. Capable de convaincre un Carlos Ghosn, perplexe devant la différence de compétitivité entre les usines Nissan et Renault, d’envoyer des sociologues décortiquer l’identité de l’ex-Régie. « Il a des convictions fortes sur la nécessité de faire prévaloir le sens au travail sur les techniques d’organisation », souffle un consultant. Pas facile, à l’heure où la quête de compétitivité redessine les conditions d’emploi. « On peut travailler de concert performance économique et cohésion sociale. Le pire service à rendre aux salariés serait, au contraire, de ne pas aborder la compétitivité », répond Jean Agulhon à ceux qui regrettent que Renault ne soit plus un laboratoire social.

DRH France de Renault depuis 2007.

1989

Entre chez Renault comme juriste social.

1997-2000

Consultant chez DO Conseil sur la conduite de changement.

2000-2005

DRH de l’usine de Cléon.

2006

DRH du manufacturing.