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Pierre Coppey joue la mobilité chez Vinci Autoroutes

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 03.12.2012 | Rozenn Le Saint

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Les effectifs se resserrent avec l’automatisation des péages

Crédit photo Rozenn Le Saint

Sous l’égide de Pierre Coppey, Vinci Autoroutes a su anticiper l’automatisation des péages en s’appuyant sur les cessations d’activité anticipées et les reconversions en interne. Mais, sur les fins de carrière, le dialogue social se durcit.

Zéro licenciement, zéro mutation forcée. Depuis 2006 et la privatisation des deux sociétés d’économie mixte Autoroutes du sud de la France (ASF) et Escota, c’est l’exploit réalisé par le groupe Vinci Autoroutes, qui rachetait alors la participation de l’État dans ces deux sociétés. À l’époque, 60 % des transactions étaient automatisées, 93 % le sont aujourd’hui. Les receveurs des guichets au péage sont en voie de disparition. À leur place, ce sont des machines qui distribuent les tickets, enregistrent les paiements et ordonnent la levée des barrières rouge et blanc. Le défi est donc de trouver une reconversion aux salariés occupant un poste en cabine de péage, soit la moitié du personnel de Vinci Autoroutes.

Passé de son poste de DRH du groupe Vinci à la barre de Cofiroute (1 800 salariés), autre filiale de Vinci Autoroutes, en 2007 pour conduire cette mission, Pierre Coppey a mené le personnel de cette société, privée depuis sa création en 1970, sur la voie de la polyvalence. Restait à appliquer la même formule aux anciennes SEM : ASF, Escota et Arcour (respectivement 4 500, 1 200 et une centaine de salariés).

Président de Vinci Autoroutes depuis 2009, Pierre Coppey est connu pour ne rien lâcher. Une détermination dont il fait preuve également à la tête de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes depuis cette année, où il défend les intérêts du lobby autoroutier.

Les représentants des 7 500 salariés (dont 3 000 agents de maîtrise et 950 cadres) du groupe reconnaissent que le P-DG tient son engagement de ne pas licencier, mais ils dénoncent sa main de fer. Avec la fin du dispositif d’accord de cessation anticipée d’activité en avril, Pierre Coppey devra davantage convaincre un personnel vieillissant d’opter pour la mobilité. Une évolution qui risque de ne pas être facile dans un contexte où les négociations se durcissent. Même si le chiffre d’affaires de Vinci Autoroutes, 4,4milliards d’euros en 2011, continue de progresser alors que, en temps de crise, le trafic diminue.

1-Dégraisser sans licencier

« Nous sommes pratiquement arrivés au maximum de l’automatisation ; il restera toujours une faible part de perception manuelle, essentiellement l’été », indique Josiane Costantino, DRH du groupe Vinci Autoroutes, qui a pu observer l’évolution des métiers depuis son arrivée aux ASF en 1987. En revanche, les reconversions, elles, sont loin d’être achevées. L’accord de cessation anticipée d’activité a permis à l’entreprise de se séparer de 637 collaborateurs sans plan de sauvegarde de l’emploi. Mais si on ne dénombre aucun licenciement, les départs à la retraite ne sont pas non plus remplacés.

Résultat, depuis 2006, les effectifs du groupe ont tout de même subi une sacrée cure d’amaigrissement, plus ou moins indolore : 2 120 personnes sont parties. « L’automatisation a l’air d’avoir été plutôt bien anticipée chez Vinci Autoroutes, peut-être davantage que chez son concurrent Eiffage », reconnaît tout de même Laurent Le Floch, secrétaire fédéral chargé du secteur autoroutes à la Fédération des transports FO, qui dispute avec la CGT la première place aux élections professionnelles des ASF. La CGT et la CFDT sont les syndicats les plus représentatifs du groupe avec, respectivement, 24 % et 20 %.

Du côté de la CFDT, on déplore une certaine rigidité de la direction sur la question des effectifs. « Aucun départ de la filière péage n’est remplacé, alors des problèmes de sous-effectifs émergent, comme à la barrière de Vienne, près de Lyon, dénonce Floréal Pinos, délégué syndical central aux ASF. Les embauches sont très rares et concernent presque uniquement des cadres : 24 des 33 réalisées aux ASF en 2011. » Par ailleurs, Bernard Jean, responsable de la branche autoroutes de la Fédération des transports CGT, regrette les économies de personnel qui peuvent avoir des incidences sur la sécurité des salariés : « En cas d’accident, c’est mieux d’intervenir à deux fourgons, or Vinci Autoroutes tend à réduire le convoi de patrouilleurs à une seule personne, avec utilisation des panneaux lumineux informatifs. » Réponse de Josiane Costantino : « Mieux vaut limiter le nombre de salariés mis en danger, et donc envoyer une seule camionnette. »

2-Inciter à la mobilité fonctionnelle

La majeure partie des effectifs de Vinci Autoroutes travaillaient aux péages, la plupart en tant que « receveurs » – appelés à présent « techniciens péage ». Autant de salariés à rediriger, avec l’automatisation, vers des postes de relation clientèle (animation des aires d’autoroute, assistance quand le ticket reste coincé dans la machine, etc.) au sein de la filière péage. Trois mille personnes travaillent encore aux gares de péage. Le trop-plein de salariés se déverse aussi vers les deux autres corps de métier de l’autoroute, à commencer par la viabilité-sécurité.

Pour ceux qui ne veulent pas rallier les troupes des « hommes en jaune », qui viennent au secours des automobilistes en panne ou accidentés, il reste la possibilité de rejoindre les PC administratifs : là-bas, on reçoit les appels et on gère le contenu des messages lumineux : « trafic fluide », « routes verglacées », etc. Des reconversions qui nécessitent des formations de six mois à deux ans (à 80 % en interne) et un budget important. L’entreprise y consacre 4,5 % de sa masse salariale, soit 10 millions d’euros par an. En moyenne, un salarié de Vinci Autoroutes suit vingt-six heures de formation par an.

Depuis 2007, 600 passerelles entre les emplois ont déjà été réalisées. « Cela a nécessité un parcours très individualisé. Nous proposons une opération “vis ma vie” : pendant quelques jours, le salarié s’immerge dans un nouveau métier, puis, si cela lui donne envie de changer, on signe un accord informel dit “passerelle”. Nous déterminons les modules de formation qu’il doit suivre et le confions à un tuteur. Trois mois plus tard, nous réalisons un bilan et, au bout de six mois, le salarié prend sa décision. S’il est d’accord, on le bascule vers le nouveau métier », détaille Josiane Costantino.

Tout est fait pour que la mobilité fonctionnelle soit facilitée. « Dans le cadre du projet de déplacement de l’A9 à Montpellier, deux barrières de péage vont être supprimées. La création d’un plateau d’assistance à la clientèle juste à côté, à Gallargues, a été l’opportunité pour ces salariés des péages de garder leur emploi en changeant de poste », relate Géraldine Sciboz, qui encadre cette équipe. Françoise Jourdan, 52 ans, en fait partie. Elle a suivi une formation pendant six semaines. « Avec l’automatisation, il a fallu prendre le train en marche ! » affirme la téléopératrice, visiblement enthousiasmée par son nouveau métier.

3-Promouvoir la mobilité géographique

Comme dans beaucoup d’entreprises, la mobilité géographique a plus de mal à passer. Seules 200 personnes ont déménagé pour occuper un autre poste… Et, les responsables RH le reconnaissent, la plupart optent pour le Sud. Rares sont ceux qui choisissent Niort ou Orléans comme nouveau lieu de vie. Alors, pour inciter les salariés à faire le pas, un Mobili’tour a été organisé en 2011 au sein des ASF.

Frédéric Gueguen, actuel responsable des relations sociales, était à l’époque chargé du développement des ressources humaines de la filiale. Il a parcouru tout le réseau des ASF, de Nantes à Clermont-Ferrand en passant par Toulouse et Montpellier, à bord d’une voiture floquée « Métier des mobilités ». Il s’est rendu dans 37 sites différents afin de prêcher les changements de métier et de lieu de travail auprès de 2 500 collaborateurs. « On estime que l’idée de mobilité a germé dans l’esprit d’environ 400 personnes grâce à notre présentation des métiers d’avenir directement dans les gares de péage. Nous leur avons présenté les postes à pourvoir : il y en a en permanence entre 60 et 80. Nous les diffusons aussi via les antennes RH locales », explique Frédéric Gueguen.

Ce tour de France a aussi été l’occasion de répondre aux nombreuses interrogations sur les différents statuts au sein du groupe, car l’heure n’est pas à l’uniformisation (voir interview de Pierre Coppey page suivante). Quid des conditions sala riales dans le réseau Cofiroute, qui s’étend de la région parisienne à Angers et Bour ges ? Et de celles d’Escota, dans le sud-est de la France ? « Même si la politique de rémunération n’est pas si éloignée entre les filiales, chacune a ses propres règles de maintien de salaire, de primes, admet Frédéric Gueguen. Nous avons dégagé les points communs pour que les salariés s’y retrouvent. » Car pour l’heure, à son grand regret, la mobilité interfiliales reste peu développée. De même que les passerelles avec les autres métiers du leader de la construction. Cofiroute, Arcour et Escota ont aussi eu droit à leur campagne d’information sur la mobilité, via des forums des métiers.

4-Sauvegarder le dialogue social

En 2007, l’accord de GPEC, pilier de la mobilité, a été unanimement signé dans la principale filiale du groupe, ASF. Pour éviter que les salariés du péage, qui perçoivent des primes pour leur travail en trois-huit, le week-end et les jours fériés, perdent en salaire en changeant pour un poste aux horaires classiques, l’accord prévoit le versement d’une prime compensatrice comprise entre 10 000 et 15 000 euros au moment de la mobilité. En 2010, la donne change. Entre-temps, Pierre Coppey, déjà à la tête de Cofiroute depuis trois ans, est arrivé aux commandes. Cette année-là, les ASF ont connu quatorze jours de grève, un pic, avant de redescendre à quatre et deux jours en 2011 et 2012. « Pour le deuxième accord, nous avons préféré tester un deuxième système, dégressif sur cinq ans : il était déjà mis en place à Cofiroute », explique la DRH. Résultat, les syndicats majoritaires aux ASF, la CGT et FO, qui représentent à eux seuls 44 % des salariés, ont refusé de signer.

Il est un constat sur lequel les représentants des salariés s’accordent : depuis l’arrivée de Pierre Coppey à la tête du groupe, les rapports sociaux sont tendus. « On sent que ça bloque, les négociations se font a minima », assure Floréal Pinos, de la CFDT. Pour sa défense, Pierre Coppey évoque les 40 accords signés depuis 2006. « La conflictualité est en baisse vertigineuse. Nous avons de nombreuses instan ces de négociation. Qu’est-ce que je peux faire de plus ? interroge l’ancien directeur de la communication de Vinci. Le dialogue social est intense, parfois viril, mais, à l’arrivée, des accords sont signés. »

Toutefois, concernant les seniors et la pénibilité, faute d’accord, des plans unilatéraux ont été mis en place. Or, avec une moyenne d’âge de près de 46 ans et un turnover proche de 0 %, les aménagements de fin de carrière sont primordiaux. « La direction fait la sourde oreille. Elle refuse d’admettre qu’il faudrait recruter des jeunes pour rééquilibrer la pyramide des âges », assure Floréal Pinos. Vinci Autorou tes compte seulement 0,98 % d’alternants. Du côté de la CGT, on craint que la direction se contente de faire reposer sa politique seniors sur l’accord de compte-épargne temps, signé en 2011 aux ASF. Selon le délégué syndical central Christian Mimault, les « hommes en jaune », usés par des années de viabilité, n’ont guère d’autres possibilités que d’« être envoyés au nettoyage des toilettes des aires de repos pour leur fin de carrière ».

Les salariés de Vinci Autorou tes peuvent compter sur un actionnariat salarial développé et sur l’intéressement et la participation qui rapportent entre un et demi et deux mois de salaire par an. Amenant la rétribution annuelle moyenne d’un ouvrier autoroutier, intéressement et participation compris, à 35 500 euros. Si les NAO s’annoncent plus dures cette année, l’emploi reste sauf. Et, pour les syndicats, c’est le principal.

Repères

Avec 4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2011, Vinci Autoroutes est le premier opérateur d’autoroutes en concession en Europe. ASF, Cofiroute, Escota et Arcour, ses quatre filiales, couvrent le sud et l’ouest de la France, soit la moitié du réseau national. En tout, l’entreprise emploie 7 500 personnes dans les métiers de la relation clientèle au péage, de la viabilité et de la sécurité.

1956

Création de la société des autoroutes Estérel, Côte d’Azur, Provence et Alpes (Escota), première société concessionnaire d’autoroutes à péage de France.

1993

Première expérience de télépéage aux ASF, à Toulouse.

2000

Mise en service du télépéage Liber-t.

2006

Privatisation du secteur autoroutier. L’État a choisi Vinci comme repreneur des ASF et d’Escota

Les effectifs se resserrent avec l’automatisation des péages
ENTRETIEN AVEC PIERRE COPPEY, PRÉSIDENT DE VINCI AUTOROUTES
“La flexisécurité du type contrat de chantier est bénéfique à l’emploi”

Aujourd’hui, 92 % des transactions au péage sont automatisées. Comment êtes-vous parvenus à ce résultat sans licenciements ni mutations forcées ?

Nous avons été soumis à une révolution technologique. D’autres auraient choisi la solution de facilité consistant à licencier. Nous avons préféré déployer un dispositif de cessation anticipée d’activité qui a permis à plusieurs centaines de collaborateurs de partir dans des conditions favorables. Par ailleurs, nous avons inscrit notre politique RH dans un jeu de contraintes. Nous faisons avec les effectifs que nous avons, dans le cadre d’un marché relativement fermé puisque le potentiel de développement de nos concessions est plutôt faible. Cela nous a conduits à inventer de nouveaux métiers de services pour nos clients et à y amener nos collaborateurs par la formation, par des mutations, de l’adaptation. Nous avons fait de cet engagement de principe une vraie stimulation. Par exemple, nous nous sommes lancé le défi de pourvoir à 100 % en interne le staff de 65 personnes nécessaire pour la barrière de péage de la nouvelle portion d’autoroute que nous ouvrons entre Lyon et Balbigny.

Quelle solution offrez-vous aux salariés qui refusent une mobilité fonctionnelle ou géographique ?

Si un collaborateur occupe un poste sans avenir, c’est le travail du management de l’écouter et de le persuader de bouger. S’il refuse, nous tentons de le convaincre en lui faisant de nouvelles propositions et en lui expliquant qu’il a le droit à l’échec. Si le nouveau poste ne lui convient pas, il peut revenir en arrière.

La moyenne d’âge chez Vinci Autoroutes est de 46 ans. Qu’avez-vous prévu pour accompagner les fins de carrière ?

Nous avons très peu de turn over. Le revers de la médaille, c’est une pyramide des âges vieillissante. Nous avons centré notre accord de compte-épargne temps sur l’accompagnement en fin de carrière. Je vois aussi d’un bon œil le contrat de génération. L’idée d’un lien intergénérationnel est très forte et cela peut être une façon de répondre à la problématique des seniors.

Allez-vous uniformiser les statuts des quatre filiales de Vinci Autoroutes ?

Cela n’aurait aucun intérêt et ce serait une usine à gaz. Vinci Autoroutes est avant tout une marque qui répond aux attentes de la clientèle. Les statuts d’ASF, Cofiroute, Escota et Arcour sont le fruit de l’histoire de chacune des sociétés et il existe une saine émulation entre ces quatre entités.

Selon vous, le coût du travail est-il trop élevé en France ?

Nous n’avons pas automatisé les péages pour une question de coût du travail mais de qualité de service pour les clients et de conditions de travail des salariés. Néanmoins, l’écart de taux de marge, de 10 points, entre les entreprises françaises et allemandes rappelle qu’il faut gagner de l’argent pour pouvoir investir et créer de l’emploi !

Faut-il plus de flexibilité sur le marché du travail ?

Le chômage peut être vécu comme un drame, c’est pourquoi le schéma consistant à durcir les contrats de travail se comprend. Néanmoins, le marché de l’emploi gagnerait en fluidité si nous pouvions gérer avec plus de souplesse les entrées et sorties de contrats. Dans le BTP, nous avons le contrat de chantier, et cette forme de flexisécurité est bénéfique à l’emploi. Je ne comprends pas pourquoi cette formule n’est pas davantage permise.

En 2011, votre rémunération s’est accrue de 17,7 %, cela vous a été reproché. Faut-il mieux encadrer la rémunération des dirigeants ?

C’est mon conseil d’administration qui a décidé cette augmentation. La rémunération des dirigeants est calée sur les objectifs macroéconomiques des entreprises. L’écart des rémunérations est économiquement facile à expliquer ; socialement, non. Et le code Afep-Medef ne règle pas la question.

La hausse du forfait social sur l’épargne salariale est-elle gênante ?

Le principal actionnaire de Vinci est son personnel, qui détient 10 % du capital du groupe. C’est une force ! Je regrette que le gouvernement ait alourdi de façon aussi signi ficative la fiscalité de l’actionnariat salarié et que les salariés s’en soient si peu émus.

Propos recueillis par Rozenn Le Saint et Jean-Paul Coulange

PIERRE COPPEY

49 ans.

1989

Directeur de communication de La Poste.

2001

Directeur de la communication, des ressources humaines et des synergies de Vinci.

2007

P-DG de Cofiroute.

2009

Président de Vinci Autoroutes.

2012

Président de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes.

Auteur

  • Rozenn Le Saint