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Vie des entreprises

Des agences d’intérim à demeure

Vie des entreprises | Reportage | publié le : 03.12.2012 | Éric Béal

« Implant » ou agence sur site, la formule a ses adeptes. Elle simplifie la gestion des besoins et la GRH des intérimaires mais bride la concurrence.

Les deux bureaux sont perchés sur une mezzanine située dans le hall principal, au-dessus des machines-outils. Sorte d’araignée géante au pied de laquelle une noria de gros scarabées jaunes, les Fenwick, transporte des pièces détachées ou des caisses de rétroviseurs assemblés. On accède à la mezzanine par un escalier de fer qui donne sur un palier avec une vue d’ensemble sur les lignes de production. SMR Automotive Systems France SA est installé à Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne) et produit des rétroviseurs extérieurs pour les deux grands constructeurs automobiles français. Le premier bureau est occupé par les superviseurs de ligne. Ces managers ont la haute main sur les lignes de production. Le second bénéficie d’une certaine extraterritorialité. C’est là que Nathalie Edom, la « responsable de compte » RIS, officie tous les jours de la semaine à partir de 8 h 30.

Gestion simplifiée. En réalité, la responsable de l’agence Randstad Inhouse Services (RIS), ouverte en août 2010 au sein du site francilien de SMR, reste peu dans ses locaux. Dès son arrivée, elle exécute un tour de l’usine pour rencontrer « ses » intérimaires. « L’équipe du matin est en poste depuis 5 heures tapantes, explique la jeune femme. Je prends le temps de discuter avec les intérimaires présents et de répondre à leurs questions sur l’activité prévue la semaine suivante. À cette occasion, je reçois les deman des éventuelles d’avance sur salaire ou autres problèmes administratifs. Je refais mon petit tour vers 13 heures, après la mise en route de leurs collègues intégrés dans l’équipe de l’après-midi. »

Vers 9 h 30, Nathalie Edom retrouve ses interlocuteurs des ressources humaines à la machine à café située à l’entrée du hall de production. « C’est une règle informelle que j’apprécie beaucoup, indique la responsable RIS. Je prends plaisir à retrouver des « collègues ». C’est aussi l’occasion de me tenir au courant des dernières informations sur la production et des besoins en intérimaires pour les semaines suivantes. » Cette proximité est la grande force de ces bureaux d’intérim installés chez le client. « Une agence intégrée simplifie la gestion des intérimaires », précise Sébastien Hélaine, directeur général de cette filiale du groupe Randstad. « Le responsable du compte gère les effectifs intérimaires et il est responsable de leur sécurité. À force de travailler sur place, il finit par bien connaître le fonctionnement du site et peut anticiper les besoins futurs en main-d’œuvre. Sa présence soulage la DRH locale d’une partie de sa charge de travail. » Évidemment, la prestation est un peu plus chère.

Randstad a importé en 2001 cette formule imaginée aux Pays-Bas. Elle présente l’avantage de limiter les risques d’erreur de facturation. Au-delà de 80 intérimaires sur un même site, le contrôle des relevés d’heures travaillées à distance devient compliqué et les possibilités de cafouillage se multiplient. « Avec une agence sur site, ce travail est simplifié », conclut ainsi le directeur général de RIS.

À Dammarie-les-Lys, Nathalie Edom établit ses relevés d’heures en accord avec les superviseurs le lundi. Elle les envoie à la DRH sous forme de tableaux de bord le mardi. Nombre d’intérimai res en poste, nombre d’heures travaillées, services concernés, préfacturation…, le suivi est facilité par la proximité de la responsable de compte avec les chefs des équipes de production et les employés. « En cas de doute, je peux m’adresser à l’intérimaire et confronter mes informations à celles des superviseurs. C’est également moi qui établis les con trats de travail et convoque les personnes pour la signature. » Tous les jeudis, en fin de matinée, se tient la réunion forecast avec les superviseurs, pour établir le planning des besoins de la semaine suivante.

Quelque 120 agences RIS sont aujourd’hui implantées en France. Une quinzaine sont en sommeil à cause de la crise. Elles seront réactivées dès que le besoin s’en fera sentir. Malgré le contexte économique défavorable, Randstad a de solides ambitions pour RIS. « Aujourd’hui, nous réalisons 400 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les agences in situ. Ce qui représente une part non négligeable du chiffre d’affaires total du groupe en France. À terme, nous estimons pouvoir multiplier par près de trois ce volume d’activité », précise Sébastien Hélaine.

L’ouverture d’une agence sur site se déroule en deux phases chez RIS. Un « lanceur de compte » se charge de la mise en place. « En général, c’est un responsable de compte expérimenté. Il n’a pas de liens avec les agences classiques des environs et doit recruter ses intérimaires à partir de zéro », explique Patrice Marmouget, directeur de clientèle Ile-de-France Nord. Après s’être concerté avec le client pour définir les compétences souhaitées, son premier travail consiste à faire le tour des partenaires locaux pour présenter son client et Randstad : Pôle emploi, missions locales, plan local pour l’insertion et l’emploi, maison de l’emploi, etc. Objectif : constituer un fichier de personnes employables rapidement.

En enchaînant les postes, les intérimaires développent leur polyvalence et leur savoir-faire

Deux mois après l’ouverture, le futur responsable de compte commence son parcours d’intégration pour pouvoir prendre le relais cinq semaines plus tard. Avant de travailler à SMR, Nathalie Edom n’avait aucune expérience dans l’intérim, juste un parcours dans des départements de ressour ces humaines.

Pour autant, le spécialiste néerlandais de l’intérim n’est pas le seul à proposer des formules d’agences intégrées. Chez Adecco ou Start People, on les appelle plus généralement des « implants ». Adecco les propose depuis une dizaine d’années. « Dans notre modèle économique, il faut une soixantaine d’équivalents temps plein (ETP) tout au long de l’année pour pouvoir ouvrir un implant. Ce qui signifie de 200 à 300 intérimaires suivant le turnover », indique Vincent Punelle, DGO d’Adecco France. Le réseau Adecco aurait une centaine d’implants en activité en France, qui généreraient 5 % de son chiffre d’affaires total. Quant au réseau Start People, il revendique une vingtaine d’implants représentant quel que 8 % de son activité.

Implant ou agence intégrée, la différence est subtile mais significative. Start People ne compte que deux implants « à temps plein », dans lesquels le responsable est constamment présent sur le site. Ailleurs, il ne vient sur place que deux ou trois jours par semaine. Ces « implants à temps partiel » sont aussi nombreux chez Adecco. Autre différence, l’implant est souvent rattaché à une agence classique de centre-ville. « On dédie une personne de l’agence à un client. Elle a accès au sourcing de l’agence pour ses recrutements et module sa présence sur le site en fonction du nombre d’intérimaires employés », précise Benoît Retailleau, directeur commercial de Start People.

Pour autant, malgré ces différences de fonctionnement, les deux formules ont des résultats similaires. « À nombre d’ETP équivalent, un implant compte moins d’intérimaires qu’une agence classique, car les relations de proximité de son responsable avec les agents de maîtrise, la DRH et les salariés lui permettent d’anticiper les besoins et de pouvoir faire des propositions aux intérimaires déjà en poste, dont la mission tire à sa fin », explique Vincent Punelle. Alors, les salariés en intérim enchaînent les missions sur place. En naviguant d’un poste à l’autre, ils développent leur polyvalence et leur savoir-faire professionnel. Avec un CAP de mécanique, Adrien Zidoum, 20 ans, passe sans arrêt d’une mission à l’autre depuis un an et un mois chez SMR.

En lieu et place de CDI ? Présentée comme une caractéristique positive par les réseaux d’intérim, cette multiplication des contrats n’est pas vue d’un très bon œil par les syndicats. Plus ça va, estiment-ils, plus des activités qui pourraient être assurées par des CDI sont prises en charge par des intérimaires. Aux yeux de Gilles Mapelli, délégué syndical CGT chez Valeo à Angers, « c’est aussi un moyen de mettre les salariés sous pression : par exemple, les intérimaires n’ont pas intérêt à refuser les heures supplémentaires ».

Toutes les directions ne sont pas convaincues de l’intérêt de la formule. Ainsi, chez SEB : « Nous avons été sollicités pour un implant, mais nous avons refusé. Nous préférons maintenir une certaine compétition entre plusieurs fournisseurs », précise Dominique Gallopin, le DRH France. À sa décharge, un implant constitue un redoutable concurrent pour les agences classiques. À moins d’une volonté farouche de la part du client, il finit souvent par gérer la totalité des intérimaires du site. Comme chez SMR.

Marc Depinois DRH France de Renault Trucks ?*
“Les intérimaires ne sont pas une pièce rapportée”

Pourquoi avoir fait venir deux agences d’intérim dans vos murs ?

Nous avons cherché un dispositif permettant d’améliorer la gestion des ressources humaines pour les intérimaires. Sur le recrutement notamment. Les intérimaires doivent se sentir accueillis. Ils ne sont pas une pièce rapportée dans l’entreprise. Par ailleurs, la présence d’un interlocuteur sur place pour chacune des enseignes d’intérim permet une gestion des questions administratives et du décompte des heures travaillées plus rapide.

Sont-ce là les seuls avantages de la formule ?

Non. Les responsables d’agence jouent leur rôle d’employeurs. Ils financent la formation des nouveaux recrutés à nos sessions internes sur la sécurité et assurent un lien quotidien entre la DRH et les intérimaires en poste. Le résultat sur les statistiques d’accidents du travail a été spectaculaire. En 2008, le taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt était supérieur à 100 (sur 1 000) pour les intérimaires. Il est de 16 en 2012 et, en 2018, nous espérons rattraper le taux des permanents, qui varie de 9 à 10 chaque année.

D’autres points positifs ?

Je voulais être sûr de bénéficier d’une recherche élargie de candidatures, sans attendre que les candidats potentiels visitent une agence en centre-ville. L’équipe RIS en particulier a développé des partenariats avec Pôle emploi et les missions locales. Elle organise des visites de l’usine pour les conseillers de Pôle emploi. Grâce à cela, nous bénéficions d’un plus grand choix de gens motivés et expérimentés et nous connaissons moins d’échecs d’incorporation des nouveaux intérimaires.

* Installé à Bourg-en-Bresse, Renault Trucks emploie 1 800 personnes, dont 400 intérimaires. Le site recrute une dizaine de nouveaux intérimaires chaque semaine. Il abrite une agence Adéquat et une agence RIS depuis juin 2011.

Auteur

  • Éric Béal

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