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Politique sociale

Pour eux, l’herbe est plus verte ailleurs

Politique sociale | publié le : 03.12.2012 | Adeline Farge

Échapper au chômage, booster sa carrière, changer de vie… Les Français sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance à l’étranger.

Jeunes de France, votre salut est ailleurs, barrez-vous ! » En septembre, un journaliste, un rappeur et un communicant appelaient, dans Libération, les forces vives de la nation à fuir un pays sclérosé par une gérontocratie toute-puissante. En mars, l’ouvrage d’Éric Verhaeghe, l’ex-patron de l’Apec, Faut-il quitter la France ? (éd. Jacob Duvernet), dressait lui aussi le portrait peu flatteur d’un Hexagone dominé par la dictature des élites, du diplôme et peu accueillant pour ses jeunes et ses peu qualifiés abonnés à la précarité. Toute l’histoire de Christian, 31 ans, qui prévoit de s’envoler outre-Atlantique, son diplôme de français langue étrangère en poche. Marre des sempiternels CDD et des salaires au rabais. Caroline, elle, déplore qu’on s’arrête à son manque d’expérience. C’est outre-Manche que la jeune femme souhaite tenter sa chance dans le tourisme. Pour renforcer leur employabilité, améliorer leurs revenus, perfectionner leur anglais, changer de cadre de vie ou devenir leur propre patron, les Français sont nombreux à passer les frontières.

Selon le ministère des Affaires étrangères, ils étaient 1,6 million hors de l’Hexagone fin 2011, un chiffre en hausse de 6 % par rapport à 2010. Mais ils seraient en réalité 2millions, beaucoup ne s’inscrivant pas sur les registres des consulats. En tout cas, depuis 2000, la communauté française établie hors de France a bondi de 50 %, d’après l’enquête sur l’expatriation des Français en 2011 réalisée par les Affaires étrangères. Si on ne parle pas encore de fuite massive des cerveaux, à l’image des Grecs ou des Espagnols, les spécialistes de la question constatent un changement dans les profils des candidats au départ. Même si ceux-ci restent en majorité diplômés, les non-qualifiés sont de plus en plus nombreux à considérer que l’herbe est plus verte ailleurs, notamment dans les pays anglo-saxons et en Europe du Nord. Et il n’y a pas que les jeunes qui ne voient plus leur avenir en France : les seniors n’hésitent plus à boucler leurs valises.

Vision étriquée. À deux pas de la Bastille, Pôle emploi international ne désemplit pas et, avec 1 300 bénéficiaires en 2011, ses ateliers de recherche d’emploi sont pris d’assaut. Le conseiller Didier Camensuli égrène les informations essentielles à l’organisation d’un départ : protection sociale, pays et secteurs porteurs, modes d’accès au travail local, conditions du retour… devant 25 candidats attentifs. Parmi eux, Élodie. Cette jeune chef de produit marketing dans la pharmacie regrette la vision étriquée des groupes français. Après son semestre d’études au Danemark et ses débuts dans une entreprise internationale, elle veut mettre les voiles : « En France, on n’avance pas grâce à nos compétences mais à nos relations. Les entreprises n’ont aucune ambition internationale et très peu de postes sont ouverts sur l’étranger. Je veux partir en Allemagne. Là-bas, ils sont tournés vers l’avenir. »

Élodie appartient à la génération Erasmus, qui a cerné qu’une carrière professionnelle se jouait, depuis la fin des années 90, sur un marché du travail devenu mondial. « L’étranger, ce n’est pas loin, c’est juste ailleurs », répète Manuelle Malot, directrice carrière et prospective de l’Edhec. Après Paris, cette école compte plus de diplômés à Londres qu’à Lille ou à Lyon. Près d’un tiers de la promo 2011 a privilégié l’étranger pour lancer sa carrière. Vingt ans auparavant, ils n’étaient que 10 %.

Depuis 1995, écoles de commerce, d’ingénieurs et universités incitent leurs étudiants à suivre un semestre hors de l’Hexagone. À l’Edhec ou l’ESC Toulouse, comme dans la plupart des écoles, l’obtention du diplôme est corrélée à une expérience à l’international. Selon un sondage Galileo sur les ambitions professionnelles des étudiants de grandes écoles, 23 % cherchent « prioritairement » leur premier job à l’étranger. « Leur cursus leur a donné le goût de l’international. Sur le tiers de nos promos qui partent à l’étranger, les deux tiers ne reviendront pas, et ils ne sont pas attendus par les recruteurs, avance Manuelle Malot, auteure du Guide du recrutement international (éd. A2C Médias, 2010). C’est un choix d’un monde plus large que celui de leurs parents. »

Le volontariat international en entreprise (VIE) est souvent le premier pas vers une carrière à l’étranger. Bien que, selon Ubifrance, Agence française pour le développement international des entreprises, qui gère le VIE, environ 60 % d’entre eux reviennent en France à la fin de leur mission, ils sont nombreux à repartir les trois années suivantes. Les jeunes diplômés ont aussi compris qu’une telle expérience valorisait leur CV. À la fin de leur VIE, près de 85 % d’entre eux trouvent un CDI dans les quatre mois, et 60 % sont embauchés dans leur société. Les demandes sont donc en augmentation constante et Ubifrance recense en octobre 2012 46 846 candidatures pour 5 000 placements (+ 5 %). « Le VIE est un accélérateur de carrière. Dans les entreprises à l’étranger, plus petites qu’en France, les jeunes ne vont pas être le monsieur X. Dans certains pays, comme le Brésil, ils vont être mis à l’épreuve. À leur retour, les boîtes leur proposent des boulots avec des salaires supérieurs de 20 % à ceux des jeunes restés en France », note Michel Lodolo, directeur du VIE chez Ubifrance. Après son diplôme d’ingénieur à l’Insa Toulouse et son stage de fin d’études chez Magellium, Rémi Campagne a été chargé dans le cadre de son VIE d’implanter la filiale de cette société d’ingénierie à Oxford. « Comme je dirigeais une équipe, j’ai été forcé de prendre des ini tiatives et d’assumer des responsabilités. Si je n’avais pas fait le VIE, il m’aurait fallu plus de cinq ans pour avoir le même poste », analyse celui qui a remporté le prix du VIE 2012 et qui travaille toujours, en CDI, pour la PME comme ingénieur d’affaires à Paris.

Partir à l’étranger permet de gravir plus vite les échelons, surtout pour les moins qualifiés

Partir à l’étranger permet de gravir plus vite les échelons, surtout pour les moins qualifiés. Muni d’un simple CAP en électrotechnique, Gabriel Hamard, 35 ans, a vécu dix-sept années d’expatriation pour Travaux du Sud-Ouest et Alstom Transport, comme conducteur de travaux, en Algérie, en Arabie saoudite et à Singapour. « À l’étranger, il faut être polyvalent et accepter la flexibilité. Cela oblige à nous former sans cesse », explique celui qui a décroché en 2008 un master de management à l’université de Liverpool. Il s’apprête à partir en Inde pour l’ouverture d’une filiale de la société Geismar, spécialisée dans le matériel de construction et d’entretien des voies ferrées. Cette fois en tant que chargé d’affaires. « En France, si on n’a pas de diplôme, on ne réussit pas. Si je n’étais pas parti, je n’aurais pas pu arriver à ce stade de ma carrière », assure-t-il.

Après avoir abandonné son CAP en arts graphiques, Tiffany, 23 ans, est au chômage depuis deux ans. « J’ai essayé de trouver un job d’étalagiste mais, sans diplôme, ma candidature a été refusée », déplore-t-elle. Après un premier séjour en Irlande cet été, Tiffany s’apprête à faire un stage dans la restauration de mai à juillet à Dublin grâce au programme européen Leonardo da Vinci. L’occasion pour elle de réfléchir à des perspectives de carrière et d’enrichir son anglais, un frein pour beaucoup de non-qualifiés, la langue étant exigée dans certains secteurs comme la restauration, l’accueil ou le tourisme.

Ils sont aussi nombreux à être séduits par le permis vacances-travail permettant de combiner tourisme et emploi. « Avoir franchi le cap de l’international, loin de leurs proches, change l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. Ils gagnent en confiance en eux et en ténacité dans leur recherche d’emploi. Du côté des employeurs, ils ont démontré leur capacité d’adaptation », souligne Aurore Wellhoff, déléguée territoriale en Ile-de-France de l’association Itinéraire international, qui accompagne la mobilité des peu qualifiés jusqu’au bac + 2 et des demandeurs d’emploi de 18 à 30 ans – en 2011, 400 départs ont été effectués. Après une première expérience professionnelle à l’étranger – via un emploi, un stage, un volontariat –, 9 jeunes sur 10 trouvent un emploi ou une formation dans les six mois. Les aspirants au départ ne sont pas seulement cadres mais boulan gers, techniciens, téléprospecteurs, dans la santé, l’industrie du luxe ou l’infographie. « Avant, il y avait un côté élitiste. Aujourd’hui, on reçoit des personnes qu’on ne voyait pas il y a cinq ans, tels des maçons, des routiers, des professionnels du bâtiment ou du bois. Ils font une overdose du chômage et ne voient pas de solutions rapides », note Dominique Girerd, directeur du Club Teli, association d’aide à la mobilité internationale comptant 4 300 adhérents.

Une seconde carrière. « Les demandeurs d’emploi se construisent un double parcours. C’est une stratégie employée à tout âge », poursuit Muriel Fagnoni, directrice de Pôle emploi international. Et une option pour les seniors prêts à relancer leur carrière dans des pays où l’âge n’est plus considéré comme un handicap (voir encadré ci-contre). Les managers de transition sont ainsi de plus en plus nombreux à partir. « Entre 45 et 55 ans, beaucoup recherchent des responsabilités ailleurs avec de meilleures rémunérations », précise Patrick Laredo, président de X-PM, qui réalise une mission sur cinq à l’étranger. À 69 ans, Laurent Viard est parti en juin ouvrir un bureau de X-PM en Russie. « La Russie, c’était une vocation. Là-bas, tout est à construire », relève cet ancien directeur des achats pour Nestlé Russie. À 56 ans, Chantal Lobry a lâché sa maison du Morvan. Professionnelle des ressources humaines, elle a été licenciée à trois reprises avant de trouver un CDD de recruteuse dans la grande distribution. « Quatre mois après le lancement du magasin, le CDI a été attribué à une junior. Un coup fatal. Je ne retrouvais plus d’emploi et je venais d’épuiser mes droits au chômage. Nous étions prêts à partir. » Son mari s’est vu proposer un contrat d’expatriation avec le Programme des Nations unies pour le développement à la Laiterie du Berger au Sénégal. « On a enfin une reconnaissance dans ce qu’on fait et on se sent utiles. » Surtout financières il y a une vingtaine d’années, les motivations relèvent aussi aujourd’hui d’un enrichissement culturel et personnel. Ce qui complique d’autant un éventuel retour au bercail. « Après cinq années à l’étranger, quand ils rentrent au pays, ces Français qui se sont adaptés aux besoins locaux, qui sont devenus polyvalents, peuvent se sentir en décalage par rapport au monde du travail hexagonal où les missions mieux définies sont vécues comme un retour en arrière », note David Goulet, responsable du cabinet de recrutement Hays BTP-Industrie. Depuis douze ans, la société Expat Communication réalise des formations sur le retour des expatriés afin de valoriser leurs expériences et compétences acquises à l’étranger. « Dès le départ, il faut préparer son retour en entretenant son réseau. Personne ne vous attend, note Françoise Cazalis de Fondouce, rédactrice en chef de FemmExpat.com. On les aide à faire un bilan sur leur carrière professionnelle et à se repositionner dans une entreprise française. » Car certains retours peuvent être vécus comme une nouvelle expatriation.

6 %

C’est la hausse du nombre de Français inscrits dans les consulats.

Si l’Europe occidentale est toujours une destination phare avec des pics pour la Suisse (+ 7,3 %), le Royaume-Uni (+ 8,5 %) ou la Belgique (+ 8,1 %), les plus fortes augmentations concernent l’Asie-Océanie avec, pour l’Indonésie, + 22 %, et pour la Chine, + 11,4 %. L’engouement des Français pour le Proche– et le Moyen-Orient (+ 2,9 %) ainsi que pour l’Afrique francophone (+ 3,9 %) reste patent, même s’il faiblit par rapport à 2010.

Source : ministère des Affaires étrangères (Maison des Français de l’étranger).

Fabien Devos

25 ans, ingénieur chez Facebook, aux États-Unis

“Après l’Insa Rennes, j’ai travaillé comme ingénieur dans une agence d’applications pour iPhone à Paris. Très vite, j’ai eu envie de changer d’entreprise et de partir dans un pays anglophone pour apprendre la langue. J’ai rejoint la start-up Lightbox à Londres, spécialisée dans le partage de photos sur mobile. Facebook l’a rachetée par acquisition de talents. On est partis à San Francisco, dans la Silicon Valley, la meilleure école pour lancer sa start-up. Je n’aurais pas pu trouver les mêmes réseaux et opportunités en France. Ici, les méthodes de management sont différentes. Les relations sont plus courtoises, pragmatiques. La hiérarchie est aplatie pour laisser l’initiative aux employés. Dès leur arrivée, les salariés sont encouragés à proposer corrections et nouveautés aux produits. Avec la notoriété de Facebook, cette expérience va accélérer ma carrière.”

Florent Quinti
23 ans, cofondateur d’OléaPark, en Allemagne

“Avec Karl Schaeffler, on a créé OléaPark, qui développe des applications événementielles pour mobiles, pendant nos études à l’École centrale d’électronique. Nos stages ont pu se dérouler dans notre entreprise. On voulait un autre regard sur notre produit. Après un stage d’ingénieur en Norvège et un semestre à Oxford, on a choisi Berlin pour son écosystème. Le nombre de start-up explose, c’est la Silicon Valley de l’Europe. On a avancé plus vite ici en quatre mois qu’en six à Paris. Les soirées avec les professionnels sont plus fréquentes et les investisseurs plus accessibles, même s’ils sont réticents face aux entreprises françaises. Notre siège social est resté en France mais les espaces de coworking sont importants. Les loyers sont deux fois moins chers. Et même si on ne parle pas allemand, on n’a pas de problèmes d’intégration. On ne s’est pas installés en Allemagne mais à Berlin !”

Julien Faliu
34 ans, créateur du site Expat blog

“À l’issue de mon cursus d’ingénieur informatique à Montpellier, je voulais être bilingue. J’avais envie de voyager et de découvrir d’autres choses. En deuxième année d’études, je suis parti à Barcelone, puis j’ai travaillé à la City pour un assureur, avant de repartir à Madrid. En Angleterre, on avance plus au mérite qu’au diplôme. Quand je suis rentré en région parisienne, je suis retombé au bas de l’échelle dans une boîte de 200 personnes. J’avais le goût pour l’international mais ce poste n’avait pas de mission à l’étranger. J’ai donc préféré arrêter. J’ai fini par avoir une opportunité à l’île Maurice dans une start-up Internet. Ce pays m’intéressait pour entreprendre. Le coût de la vie est correct et, avec Internet, on peut travailler à distance. En 2005, j’ai lancé Expat blog. Grâce à mon expérience, je peux répondre aux besoins des expatriés.”

Les seniors accros au Maroc

A 60 ans, Gilbert Nasarre s’est lancé un dernier défi professionnel. Cet ancien directeur de la distribution de la mutuelle niortaise Maif, qu’il a quittée en 2011, a mis le cap sur le Maroc. Depuis mars, il a rejoint l’assureur CNIA Saada en tant que directeur général adjoint chargé du marché des particuliers et des professionnels. Jean-Marie Pontvianne, 59 ans, ne songe pas non plus un seul instant à la retraite : « Je me sens très en forme et il y a tant de choses à faire. » Après avoir vendu ses deux magasins à l’enseigne Mr Bricolage dans le Limousin, il est devenu directeur du développement de Mr Bricolage au Maroc. À son actif, quatre ouvertures de magasins, dont dernièrement celui d’Agadir. Sa mission est désormais achevée et on devrait le retrouver d’ici à janvier au Caire, toujours pour Mr Bricolage.

À l’image de Gilbert Nasarre et de Jean-Marie Pontvianne, de plus en plus de cadres seniors choisissent le Maroc, non pas pour y passer une retraite dorée mais pour poursuivre leur carrière. Selon les données du ministère français des Affaires étrangères, le Maroc comptait fin 2011 44 000 Français. Dans le royaume chérifien, ils constituent la communauté étrangère la plus importante, avant celle des Espagnols. Des chiffres qui, de l’avis général, sont sous-évalués, car de nombreux ressortissants ne prennent pas la peine de se faire connaître auprès des services consulaires. Une chose est sûre : « Loin de la crise qui, en France, touche de plein fouet les quinquas, les cadres expérimentés constituent au Maroc des profils recherchés, surtout par les PME. Non seulement ils sont compétents, mais en plus ils se montrent fidèles. Rien de tel pour rassurer un chef d’entreprise », observe Alexandra Montant, directrice générale adjointe du premier site de recrutement en ligne marocain, ReKrute. com. À la chambre française de commerce et d’industrie du Maroc, l’activité de conseil et d’appui aux entreprises est en pleine effervescence.

En 2011, la CFCIM a piloté une soixantaine de projets de création d’entreprise, dont une bonne part développés par des professionnels seniors. Isabelle Arbona

Béatrice et Stéphane Facon
47 ans, créateurs de la Boulangerie française, au Canada

“Je ne supportais plus les costards-cravates. J’ai fait une grande partie de ma carrière dans les cosmétiques comme directeur de laboratoire pour Caudalie avant de créer ma société. Avec la crise et la morosité ambiante, il a fallu que j’arrête. Pour me reconvertir, il me fallait un métier manuel et j’ai passé un CAP de boulangerie avec un projet d’achat en Ile-de-France. Les banques n’ont pas suivi. Béatrice travaillait pour un groupe français à la Défense. Elle subissait un harcèlement moral. Je suis parti faire un repérage au Canada. En Acadie, les gens n’étaient pas stressés et je voulais que ma fille grandisse dans un univers bilingue. On a entamé les démarches, et quand on a eu le feu vert, on a tout vendu. Ici, c’est plus facile d’avoir des idées d’entreprises, même avec des banques exigeantes. La Boulangerie française va enfin ouvrir ses portes.”

Auteur

  • Adeline Farge