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Enquête

Un lot de consolation pour les intérimaires

Enquête | publié le : 03.12.2012 | Anne Fairise

Depuis que Toyota s’est séparé de 490 intérimaires fin juin, le Valenciennois est devenu le 32e bassin d’emploi de l’Hexagone à offrir un suivi renforcé aux salariés précaires. Sans succès.

Lorsque, fin juin, Cédric Strbik a appris la fin de sa mission de dix-huit mois chez Toyota, à Onnaing, aux portes de Valenciennes (Nord), un mois avant le terme de son contrat, l’agent de production sur ligne n’a pas été pris au dépourvu. « La force de l’habitude », lâche le jeune trentenaire qui n’a connu que l’intérim, hormis les trois années où il a monté une SARL de vente et de location de sono, balayée par la crise de 2009 : « Si on n’a pas toujours une longueur d’avance, on est morts. J’attends personne pour rebondir. » Lui avait déjà repéré la formation lui permettant d’« en finir avec les missions de dépannage » : un BTS de management dans la vente. Quelques semaines après l’avoir intégrée, début octobre, il avait déjà trouvé, fidèle à sa maxime, deux des trois entreprises où il ferait ses stages : Auchan et Carrefour.

Voilà un nom qui ne devrait plus figurer sur la liste des 490 intérimaires de Toyota transmise au début de l’été à l’agence Pôle emploi de Valenciennes chargée, in extremis, de leur proposer un accompagnement renforcé dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), avec pour but le retour à l’emploi durable. Le rattachement du Valenciennois à l’expérimentation nationale, menée dans 31 bassins d’emploi depuis mars, s’est fait au forceps. « Il y avait urgence pour ce territoire où la filière automobile est fortement touchée par la crise », plaide Pascal Catto, secrétaire général de l’union régionale CFDT Nord-Pas-de-Calais, qui a fait le siège du préfet de région et du comité de pilotage national du CSP dès le printemps et l’annonce d’une baisse de cadence chez le constructeur.

Pas question de manquer la sortie des ateliers Toyota de cette population réputée volatile. La moitié à peine habite le Valenciennois, les autres étant disséminés dans toute la région, jusqu’en Picardie et en Belgique pour une poignée d’entre eux. « Il fallait agir très vite, pour pouvoir les avertir », renchérit Thomas Mercier, de la CFDT Toyota, qui a relayé sur les chaînes l’info d’une possible nouvelle prise en charge… Puisque rien, alors, n’était acté officiellement et ne pouvait être annoncé dans la cellule d’accueil, mise sur pied chez le constructeur trois jours durant fin juin, avec trois agences d’intérim et Pôle emploi. Comme à chaque fois que les ruptures de contrat se font par centaines. « En quinze minutes, les salariés in térimaires en fin de contrat pouvaient obtenir tous les documents nécessaires pour monter leur dossier, l’objectif étant qu’ils soient indemnisés sans difficulté le mois suivant », souligne Sebastien Peter, responsable du recrutement chez Toyota.

Rien d’une sinécure pour l’agence spécialisée de Pôle emploi à Valenciennes, qui s’est lancée dans un long travail de repérage. Première complexité du dispositif : c’est le lieu d’habitation de l’intérimaire qui crée son éligibilité au CSP, et non pas le lieu d’implantation de l’entreprise. En clair, seuls 75 à 80 % des ex-Toyota entraient dans le cadre. Pour peu qu’ils aient suf fisamment travaillé, quatre mois au minimum, pour avoir des droits ouverts à l’assurance chômage, seconde condition. « Nous avons dû trier les personnes éligibles selon leur bassin d’habitation. Mais peu répondent aux convocations et se présentent aux réunions d’information collective. Nous dépensons une énergie folle pour les contacter », souffle Pascal Hélart, responsable de l’équipe « accompagnement renforcé ».

Fin octobre, sur les 421 ex-intérimaires de Toyota ayant reçu une lettre de convocation dans le Valenciennois et les deux autres bassins d’emploi attenants, Douai et la Sambre-Avesnois, 56 avaient opté pour le CSP : 13 % à peine ! Les réunions se multiplient entre Pôle emploi et les agences d’intérim, accusées de traîner la patte pour orienter les intérimaires intéressés. « L’esprit du dispo sitif, c’est de créer une synergie entre Pôle emploi et les agences de travail temporaire. Pour l’instant, ça ne prend pas », déplore Pascal Hélart.L’exemple de la Sambre-Avesnois, à quelques kilomètres, entrée dans l’expé rimentation avant le Valenciennois, est parlant : « En sept mois, les entreprises de travail temporaire n’ont adressé que six intérimaires, dont un n’était pas éligible au CSP, faute d’avoir des droits suffisants à l’assurance chômage. Et les autres n’étaient pas intéressés », précise Pascal Hélart.

Côté indemnisation, le CSP “version précaires” est à mille lieues du CSP “version licenciés économiques”

Défaut de coordination entre les acteurs ? Accompagnement trop contraignant pour des intérimaires trop autonomes ? Dispositif mal ficelé ? Les interrogations se multiplient. « Les intérimaires privilégient leurs finances et leur quotidien plutôt que la mise en place de parcours professionnels. Comme la décrue de l’activité n’est pas aussi virulente qu’en 2009, même dans l’automobile, ils trouvent encore des missions courtes », tranche Pierre Lombard, président régional du Prisme. Pas facile, en effet, de réfléchir à son projet sans savoir de quoi on vivra demain.

Le CSP « version précaires » est à mille lieues du CSP « version licenciés économiques » : intérimaires et fins de CDD ne bénéficient pas d’un maintien pendant un an de leur salaire net, seulement d’un accompagnement renforcé pendant un an (un contact par semaine avec un conseiller de Pôle emploi) et d’un accès facilité à la formation. « Certains se sentent floués : ils ont entendu parler du CSP pour les licenciés économiques, qui n’a rien à voir avec ce qu’on leur propose. Ils restent demandeurs d’emploi, avec une allocation à 57 % du brut antérieur. Et quand leurs droits sont épuisés, ils se retrouvent aux minima sociaux », lâche un conseiller de Pôle emploi. Raide. D’autant que « Pôle emploi déconseille, pendant les quatre premières semaines, dédiées au projet professionnel, de reprendre des missions », commente un spécialiste de l’orientation.

Autant dire qu’il faut vraiment avoir à cœur de revoir son projet ou de se former pour adhérer au CSP. Changement d’appartement pour réduire son loyer, forfait téléphonique porté au minimum, comme le montant de toutes ses charges, assurances comprises : Amélie Warrand, ex-intérimaire de Toyota au contrôle qualité, se serre la ceinture pour pouvoir suivre une école d’infirmières, trois ans durant. Ses différentes missions ne lui donnent droit qu’à 932 euros net par mois… pendant un an. « J’ai vraiment pensé à retravailler plutôt que de retourner à l’école », soupire l’ex-secrétaire médicale, 22 ans, qui compte sur les aides régionales et vient d’accepter un contrat à temps partiel comme téléconseillère pour prolonger ses droits, en attendant de passer le concours d’infirmière, au printemps. Même dilemme pour Nabil Djaoui, 29 ans, intérimaire pendant six mois chez Toyota. Mais l’envie de revenir à son métier initial, électricien, a été la plus forte : « J’ai besoin de refaire toutes les habili tations. Le CSP m’en offre la possibilité. À 950 euros net par mois, ce sera difficile, mais c’est ponctuel. » Pas plus de trois, quatre mois, espère-t-il, le temps de passer les examens.

Centré sur la personne. Tout le monde en convient, l’idée du dispositif, pourtant, est bonne : profiter de la décrue de l’emploi précaire pour former ceux qui y sont enfermés, afin de leur permettre de monter en compétences ou de rebondir vers des métiers porteurs. « Habituellement, les formations proposées aux intérimaires sont déterminées par le besoin de l’entreprise cliente de l’agence d’intérim. Voilà un dispositif centré sur le projet de la personne, même s’il doit être mis en lien avec les métiers porteurs », note Céline Rattez, conseillère en région Nord-Pas-de-Calais au Fonds d’assurance formation du travail temporaire. C’est tout l’intérêt, et la difficulté, du CSP. Beaucoup d’in térimaires n’ont jamais eu l’occasion de bâtir un projet professionnel, les missions qu’ilstrouvaient s’en chargeant pour eux. Changer de perspective n’est pas facile.

« J’aime bien le secteur de l’automobile, je vois pas bien ce que je pourrais faire d’autre », reconnaît Laëtitia Pecqueur, qui a accompli deux missions de dix-huit mois chez Toyota, comme cariste. Elle ne souhaite qu’une chose : « Qu’ils me rappellent pour une troisième mission, comme promis », et a déjà prévu d’aller faire « un petit coucou » le 12 décembre, une fois son délai de carence terminé. En attendant, cette mère célibataire, qui n’a pas adhéré au CSP, se serre elle aussi la ceinture pour tenir avec son allocation chômage : « 1 043 euros les mois à 31 jours. »

Auteur

  • Anne Fairise