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Retraites : revoilà la réforme !

Dossier | publié le : 03.12.2012 | Valérie Devillechabrolle

Le gouvernement a fixé le calendrier : fin 2013, une nouvelle loi devrait réformer le régime de retraite des Français. Pas de passage en force, mais une concertation qui s’annonce délicate dans un contexte de comptes dégradés.

Suspense ! En attendant la publication, ce mois-ci, des nouvelles projections financières du Conseil d’orientation des retraites, les acteurs de la future réforme des retraites annoncée pour 2013 retiennent leur souffle. Lors de la conférence sociale de juillet, le Premier ministre en a certes précisé le calendrier – une concertation au printemps 2013 sur la base des « pistes de réforme dressées préalablement par une commission ad hoc » en vue d’une loi en fin d’année – et esquissé les grands principes : pérennité, solidarité, équité et simplification. Sur l’ampleur des efforts nécessaires pour garantir la pérennité financière des régimes, nul ne se fait trop d’illusions. Car, si la réforme des bornes d’âge de 2010 remplit son œuvre – elle devrait faire économiser 1,8 milliard d’euros en 2012 au seul régime général des salariés –, plusieurs facteurs pèsent, en revanche, sur l’équilibre des comptes : le coup de frein sur la croissance de la masse salariale, ramenée de + 3,4 % en 2011 à + 2,3 % en 2013 ; les progrès de l’espérance de vie moyenne à 60 ans qui a encore augmenté d’un an depuis 2005 pour atteindre près de vingt-cinq ans en 2011 ; l’accélération dès 2011 du nombre de liquidations anticipées, du fait des anticipations de départ des fonctionnaires parents de trois enfants et du succès des nouvelles modalités ouvertes par le décret de juillet dernier. Témoin de cette dégradation accélérée des comptes, les régimes de retraite complémentaire : malgré les mesures d’économies adoptées en mars 2011, le déficit de l’Agirc-Arrco se serait ainsi creusé de 2 milliards d’euros supplémentaires en 2012 par rapport aux prévisions de 2010. Au point d’obliger les partenaires sociaux à rouvrir la négociation avec trois ans d’avance sur le calendrier initial pour adopter un nouveau train d’économies.

Sur le fond, la nouvelle majorité se garde bien de dévoiler ses batteries : « Qu’il s’agisse des modalités de départ en retraite ou du financement des régimes, le gouvernement continue à surfer sur l’ambiguïté », note Philippe Pihet, président (FO) de l’Arrco. Pas question en effet de réitérer le passage en force de Nicolas Sarkozy en prenant d’entrée de jeu les syndicats à rebrousse-poil sur les bornes d’âge ou la durée d’assurance. Or, à côté des centrales résolument hostiles à tout report supplémentaire, telles la CGT et FO, les autres posent leurs conditions. « La remise à plat des droits à pension est un préalable indispensable pour s’assurer que les efforts demandés soient mis à profit pour corriger les injustices du système », prévient Jean-Louis Malys (CFDT), partisan d’une harmonisation entre les régimes publics et privés, de base et complémentaires. « La réforme devra maintenir la contributivité des régimes pour garantir aux jeunes générations qu’elles ne cotisent pas à fonds perdus », lui rétorque Danièle Karniewicz (CFE-CGC).

Au chapitre des inégalités, les derniers travaux du COR de cet automne ont plutôt apporté de l’eau au moulin cédétiste, en montrant que les règles de calcul en vigueur avaient tendance à amplifier les disparités de parcours professionnels au détriment des carrières les plus courtes et les plus précaires. Qu’il s’agisse du mode de calcul du salaire de référence sur les vingt-cinq meilleures années ou de la règle des 200 heures au smic nécessaires afin de valider un trimestre. Pour y remédier, les pistes d’un salaire de référence calculé sur toute la carrière, voire d’un régime universel en points, refont surface. « Cela présenterait l’avantage de rendre plus lisible le lien entre cotisation et droits à pension et de résoudre la question des polypensionnés », plaide Denis Nunez, le directeur retraite de la MSA, rappelant que 36 % des salariés agricoles occasionnels cotisent actuellement sans générer de droits, faute d’une rémunération suffisante. A contrario, une telle réforme impliquerait la disparition du mode de calcul sur les six derniers mois d’activité du secteur public, un casus belli pour la CGT et les syndicats de fonctionnaires. « Accréditer l’idée d’un mécanisme basé sur l’acquisition individuelle de droits risque de se faire au mépris des solidarités inhérentes à tout système de retraite », se méfie Philippe Pihet. Certes, mais « faire de la solidarité à coût constant, autrement dit en la faisant financer par les cadres, revient à partager la misère », tranche Danièle Karniewicz.

Chômeurs âgés et travailleurs usés. S’agissant de la solidarité, en dehors de l’éternelle question des moindres pensions des femmes, dont le niveau tend toutefois à s’améliorer au fil des générations, celles des chômeurs âgés et des travailleurs usés par des métiers pénibles, mal réglées par la réforme de 2010, focalisent l’attention. Car si le taux d’emploi des 55-64 ans s’améliore lentement (41,5 % en 2011), celui des demandeurs d’emploi âgés de plus de 50 ans a explosé ces dix-huit derniers mois : + 26 %. « Le rétablissement de l’allocation emploi retraite supprimée par l’ancien gouvernement et destinée aux chômeurs âgés en fin de droits sans pouvoir liquider leur retraite est devenu une urgence », estime Éric Aubin (CGT). De même, le dispositif de départ en retraite anticipée pour métier pénible ne satisfait personne. Outre ses conditions restrictives (à peine 3 300 départs avaient été validés au 1er octobre par la Cnav depuis sa création et malgré les assouplissements intervenus cet été), « la médicalisation du système n’est pas la solution », reconnaît Denis Nunez, de la MSA, qui attend maintenant de voir comment la promesse de François Hollande d’en passer par de « vrais critères de pénibilité » sera mise en œuvre. Avec le risque que « le coût de ces mesures de justice sociale excède celui des difficiles économies réalisées par ailleurs sur les bornes d’âge ou la durée d’assurance », remarque un observateur averti, en rappelant le précédent des carrières longues de 2003 qui s’étaient finalement soldées par une… avancée de l’âge moyen de liquidation.

Autre sujet politiquement sensible susceptible de remonter à la surface, les règles de la compensation démographique, aujourd’hui à bout de souffle. Destinés à corriger les écarts entre régimes salariés et non salariés, ces transferts, évalués à 8 milliards d’euros par an, cristallisent le mécontentement des principaux bailleurs (Cnav, CNRACL), également en déficit. « Il n’y a pas de raison de voir les salariés compenser le manque de contributivité de certains régimes bénéficiaires », estime un syndicaliste, faisant allusion aux professions agricoles et indépendantes. « Ne serait-il pas opportun de basculer la charge des régimes en voie d’extinction, comme celui des mines, à la solidarité nationale ? » s’interrogeait le COR dans son rapport de 2011. À ce propos, le patronat mise sur les travaux du nouveau Haut Conseil du financement de la protection sociale pour distinguer les prestations relevant de cotisations sociales de celles qui devraient être financées par l’impôt. Une façon aussi de fourbir de nouvelles armes lorsque la question des ressources dévolues aux régimes viendra en débat.

En revanche, nul n’est chaud pour aborder une éventuelle réforme de l’architecture des régimes. « Un régime unique ne veut pas dire universel », souligne Denis Nunez, de la MSA. Patronat et syndicats n’ont pas l’intention non plus de lâcher le manche de l’Agirc-Arrco à l’État. « Avec l’ouverture, le 22 novembre, de la négociation de mesures conservatoires, les partenaires sociaux font la preuve de leur légitimité à gérer les régimes de retraite complémentaire », estime Jean-François Pilliard, du Medef. Ce qui n’empêche pas de les « arrimer au régime général », plaide Philippe Pihet, le président de l’Arrco.

Enfin, à ce stade, ces tours de chauffe font encore l’impasse sur la contribution, au moins temporaire, des retraités à la réforme. Suggéré depuis plusieurs années par la Cour des comptes, le tabou d’une revalorisation inférieure à l’inflation, voire d’un gel en euros courants de leurs prestations, pourrait bien être brisé à cette occasion. D’autant qu’avec 14,4 % de points de PIB consacrés au financement des retraites, la France se situait, en 2009, dans le trio de tête des pays européens les plus généreux à l’égard de leurs aînés.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle