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La hausse du forfait social assomme les entreprises

Dossier | publié le : 03.12.2012 | Valérie Devillechabrolle

Intéressement, PEE, épargne retraite… L’augmentation de la contribution sociale sur ces dispositifs a pris les entreprises de court. Elles hésitent à dénoncer leurs accords, mais vont réduire leur abondement. Les salariés vont en pâtir.

Coup de massue, coup de bambou, coup de tonnerre… Les entreprises et leurs prestataires ne manquent pas d’expressions imagées pour décrire le choc provoqué par la hausse de 8 à 20 % du forfait social appliqué aux dispositifs d’épargne salariale et de retraite, votée au cœur de l’été dans le cadre de la loi de finances rectificative. « Les employeurs ne s’attendaient pas à une augmentation aussi brutale ni aussi rapide surtout, avec une entrée en vigueur dès le 1er août », témoigne Pascale Ernst, avocate associée au cabinet Fidal. Rapportée aux quelque 11 milliards d’euros de flux d’épargne salariale (hors actionnariat salarié) et aux 4,8 milliards d’euros de cotisation d’épargne retraite collective recensés en 2011 – selon les dernières statistiques de la FFSA diffusées fin septembre –, la hausse représente un prélèvement supplémentaire de 1,9 milliard d’euros en année pleine. « C’est vraiment beaucoup dans un environnement récessif », estime Henri Alline, président du Club de l’épargne salariale.

La majorité font leurs comptes. Mis à part celles qui, à l’instar de Dassault Aviation, ont immédiatement sauté sur l’occasion pour lancer la procédure de dénonciation de leur accord de participation dérogatoire, l’immense majorité des entreprises sont encore en train de faire leurs comptes. « Jusqu’à présent, elles ont pris en charge les hausses successives de 2 % par an, mais là, elles sont obligées de réfléchir à la façon d’encaisser le choc », indique Pierre Schereck, directeur de l’épargne salariale et de l’investissement socialement responsable d’Amundi, le leader du secteur. « Elles vont notamment essayer de travailler à budget constant, au risque de reporter une partie de la charge sur les salariés, voire de grignoter celui dévolu aux augmentations salariales », ajoute Philippe Burger, du cabinet Deloitte. Sachant qu’elles ne pourront pas échapper au forfait social sur la participation réglementaire obligatoire versée au printemps 2013, leur marge de manœuvre sur les dispositifs eux-mêmes ne joue en réalité que sur les mécanismes facultatifs : intéressement, participation dérogatoire, abondement aux plans d’épargne d’entreprise (PEE) ou de retraite collective (Perco) et régime d’épargne retraite à cotisation ou prestations définies.

Si la tentation est forte, ces velléités de dénonciation sont aussi contrecarrées par plusieurs facteurs. D’abord, beaucoup d’entreprises venaient de boucler en 2012 la négociation de leur accord triennal d’intéressement et vont hésiter avant de le remettre en chantier. « Cela irait à rebours de notre objectif qui était d’en distribuer le maximum sous cette forme aux salariés, et les organisations syndicales ne le comprendraient pas », souligne le responsable rémunérations et avantages sociaux d’une grande banque. A fortiori dans les entreprises qui recourent à l’intéressement pour compenser des grilles salariales inférieures au marché. « Dénoncer ces accords, de surcroît en période de disette salariale, risque d’alourdir encore plus le climat social », pointe Henri Alline. Les barèmes d’abondement sont a contrario davantage susceptibles de passer à la moulinette. Pas tant ceux dévolus au Perco, que les entreprises vont tenter de maintenir, voire d’encourager, pour accroître les versements volontaires, que ceux liés au PEE, qui ne relèvent pas d’une association directe des salariés au résultat.

La hausse du forfait social peut surtout freiner la mise en place de nouveaux dispositifs, en particulier dans les PME. Au risque d’« aller à l’encontre de leur démocratisation », déplore Pierre Schereck, en regrettant que « le gouvernement n’ait pas modulé les taux applicables en fonction de la durée de détention ». Et il en est de même en matière d’épargne retraite, où les patrons de PME sont tentés de jeter l’éponge. Souvent, ils s’étaient laissé convaincre, au tournant des années 2000, par la mise en place d’un régime à cotisation, voire à prestations définies, pour eux-mêmes et leurs quelques cadres dirigeants. « Lassés par la complexité des mises en conformité successives, l’alourdissement à répétition des taxes sur les régimes chapeaux, notamment, et le formalisme de plus en plus tatillon qui ont entouré leur mise en œuvre ces dernières années, certains se demandent s’ils n’ont pas intérêt à sortir de ces contrats pour revenir à du sursalaire non exonéré », observe Pascale Ernst, du cabinet Fidal.

Signe qui ne trompe pas, le montant total des cotisations aux régimes de retraite d’entreprise (hors Perco) a, indépendamment du forfait social, déjà chuté depuis 2009 de 40 %. « C’est tout le pacte social de l’épargne retraite d’entreprise, construit par la loi Fillon de 2003, qui est en train d’être remis en cause », estime cette avocate. Mais gare au retour de bâton ! Car si les entreprises se désengagent, les ménages se retrouveront alors seuls face à la baisse annoncée des taux de remplacement des régimes de retraite par répartition.

Les retraites supplémentaires rattrapées par les catégories objectives

Sale temps pour l’assurance retraite collective. Car la hausse du forfait social s’ajoute à l’incertitude provoquée par la publication, le 9 janvier, du décret définissant les catégories objectives de cadres couverts par un régime d’épargne retraite éligible aux exonérations de charges. Censé mettre un terme à plusieurs années de revirements successifs de la part de l’administration de la Sécurité sociale, ce décret a de facto placé nombre d’entreprises en porte à faux, en ne reconnaissant plus explicitement la catégorie des cadres dirigeants ou celles assises sur une grille de rémunération interne. C’est oublier que « beaucoup de ces régimes de retraite à cotisation définie avaient été mis en place au profit de cadres au forfait en contrepartie de leur non-éligibilité aux jours de RTT », rappelle Philippe Burger, du cabinet Deloitte. Un compromis que ce décret fait voler en éclats en plaçant les entreprises soucieuses de rester dans les clous devant l’alternative suivante : « Soit elles augmentent le nombre de bénéficiaires de 130 à 1 500, soit elles le réduisent de 130 à 15, ce qui ne répond plus du tout à leur problématique », ajoute ce consultant. Sur fond de multiplication des redressements Urssaf concernant notamment les régimes réservés aux mandataires sociaux, ces grandes entreprises espèrent maintenant que la circulaire promise par la direction de la Sécurité sociale assouplira cette conception rigoureuse. Un espoir qui risque toutefois d’être de courte durée sachant que la CGT et la CFE-CGC viennent, à leur tour, de déposer un recours au Conseil d’État à l’encontre de ce décret, estimant que celui-ci laissait au contraire trop de marge aux employeurs pour la définition des catégories…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle