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Vie des entreprises

À Vallourec, Philippe Crouzet met de la flexibilité dans les tuyaux

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 02.11.2012 | Rozenn Le Saint

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Répartition du chiffre d’affaires 2011 par zones géographiques

Crédit photo Rozenn Le Saint

Soumis à des marchés fluctuants, le leader du tube en acier pour le transport d’énergie fait de sa réactivité une priorité. Soucieux d’assurer la relève et d’accompagner les seniors, il préserve un dialogue de qualité.

Recours massif à l’intérim, utilisation des comptes épargne-temps et du chômage partiel : les fluctuations du marché mondial de l’énergie obligent Vallourec, le leader de la fabrication de tubes en acier transportant du pétrole ou du gaz, à s’adapter. En un an, son cours de Bourse a dévissé de 60 %. Pour rassurer actionnaires et salariés, Philippe Crouzet, le président du di rectoire, étiqueté patron de gauche et engagé au sein de l’Association pour la réinsertion économique et sociale, rappelle à l’envi que 73 % du chiffre d’affaires est réalisé hors d’Europe. « Avant, nous servions le monde entier à partir de la France et de l’Allemagne. Ce modèle est obsolète à cause des coûts de transport et de logistique importants, des délais raccourcis par les clients et des exigences de production locale des autres États. Pour être compétitifs, nous devions être présents sur ces marchés cibles. » Résultat, alors que l’entreprise n’avait pas construit d’usine depuis les années 70, elle a investi des millions d’euros dans de nouveaux sites aux États-Unis et au Brésil.

De quoi interpeller les salariés de l’aciérie – historique – de Saint-Saulve, dans le nord de la France, qui est à l’arrêt environ cinq jours par mois cette année. Pour autant, ils ont foi dans l’entreprise, dont le nom provient de trois villes : Valenciennes, Louvroil et Recquignies. Avec Déville-lès-Rouen, en Seine-Maritime, Montbard, en Côte-d’Or, et le siège de Boulogne-Billancourt, Vallourec compte 5 000 salariés en France. Autant qu’en Allemagne, où le groupe a pris racine dans la région de Düsseldorf. La comparaison des deux modèles de gestion sociale est tentante, et Philippe Crouzet ne cache pas qu’il s’inspire autant qu’il peut de l’exemple allemand.

1– Assurer la flexibilité. Les dirigeants de Vallourec ont eu le nez creux. Depuis 2007, juste avant la dégringolade, ils ont lâché le secteur automobile pour se concentrer sur celui, plus porteur mais tout aussi instable, de l’énergie. Le pétrole et le gaz, les marchés les plus rentables, représentent aujourd’hui 60 % du chiffre d’affaires de la mar que orange. Revers de la médaille, l’entreprise doit se montrer encore plus réactive aux fluctuations du marché. « La flexibilité fait partie de notre ADN et nous savons quels leviers actionner », assure François Curie, DRH du groupe, dont les usines européennes fonctionnent à 80 %, pour laisser une marge d’adaptation.

En France, le groupe mise avant tout sur le recours aux CDD et à l’intérim (ils sont 1 000, soit 20 % des effectifs français) dans les périodes de pics d’activité, réduits à néant pendant les creux. Ainsi, nul besoin de licencier. En revanche, cette politique n’est pas sans conséquences dans les usines. « Certains postes clés, comme celui d’opérateur ou de contrôleur au laminoir, requièrent des formations de trois à neuf mois. Cela ne vaut pas le coup de former des jeunes qui ne restent pas. Résultat, nous manquons de personnel sur ces postes », alerte Ali Kassen, délégué central CFDT, la deuxième organisation syndicale de l’entreprise avec une représentativité d’environ 30 %, derrière la CGT, qui culmine à plus de 40 %.

En période basse, les ma nagers jouent aussi sur les 27 jours de récupération par an « épargnés » par les salariés dans les comptes épargne-temps (la pose d’un tiers de ces congés étant décidée par l’employeur). Lorsque cela ne suffit pas, Vallourec a recours au chômage partiel. Les salariés ne se plaignent pas du système de compensation de l’activité partielle longue durée, au moins égale à 75 % de la rémunération brute.

En cas de pic de demande, le prêt de main-d’œuvre d’un site à un autre est organisé, même si cela reste exceptionnel. Depuis le 16 août dernier et la suppression des avantages fiscaux et sociaux sur les heures supplémentaires, les ouvriers ne se bousculent pas au portillon pour travailler le week-end. Or l’activité de rattrapage du samedi est un pilier de la flexibilité de la maison. « En septembre, quatre lignes n’ont pas tourné à la tuberie le samedi faute de volontaires pour faire des heures supplémentaires, témoigne Clément Des Robert, DRH du site de Saint-Saulve. Nous travaillons à résoudre le problème, en essayant de pré venir un peu plus à l’avance, le mercredi pour le samedi, pour que les salariés puissent mieux organiser leur vie personnelle. »

2– Accompagner la fin de carrière. La qualité du dialogue social est une marque de fabrique de Vallourec. « Nous œuvrons à ce que les accords principaux soient signés par tous les syndicats, et c’est très souvent le cas », assure Denis Husson, directeur des affaires sociales du groupe. Exception faite de l’accord seniors de 2009, que la CGT a refusé de parapher. L’accompagnement de fin de carrière reste d’ailleurs le seul sujet qui aboutit à un dialogue de sourds entre la direction et les représentants des salariés. Pourtant, avec une moyenne d’âge de 42 ans sur le site de Saint-Saulve, par exemple, l’enjeu est de taille. Le turnover atteint seulement 1 %, et nombreux sont les salariés qui n’ont connu d’autre employeur que Vallourec. Ils ont accompagné le développement de l’entreprise à pousser des tubes ou à parcourir des kilomètres dans les gigantesques usines et ont l’impression d’« avoir fait leur temps ».

« Les ouvriers qui sont restés trente ans dans l’usine, comme moi, et qui travaillent encore de nuit n’attendent qu’une chose : atteindre l’âge de la retraite », témoigne Philippe Burette, délégué CGT du site de Saint-Saulve. Même discours du côté de la CFDT. À 58 ans, dont trente-neuf passés à Déville-lès-Rouen, Ali Kassen comprend les salariés qui n’attendent rien d’autre qu’un départ anticipé. « Nous ne pouvons pas créer un régime spécial de retraite anticipée, ce serait une sorte de retraite chapeau généralisée à l’ensemble de l’entreprise, cela représenterait des sommes colossales », assure Philippe Crouzet.

Reste le contrat de génération et la perspective de devenir tuteur. Mais, sur ce point, partenaires sociaux et direction s’accordent : tous les seniors ne sont pas faits pour former à un métier et, en tout état de cause, il n’y a pas de poste de tuteur pour chacun (voir page 28). « Les seniors managers ont généralement les qualités pour devenir de bons tuteurs, estime le président du directoire. Les ouvriers qui ne sont pas faits pour devenir tuteurs peuvent être d’excellents experts en maintenance, en sécurité ou en qualité, du fait de leur connaissance profonde du métier. Nous devons moins sous-traiter certaines fonctions que nous avons eu tendance à externaliser. »

Faire tourner les postes, privilégier les seniors pour les fonctions de contrôle en cabine, moins pénibles, éviter de les faire travailler de nuit restent les pistes, déjà explorées, que l’entreprise compte poursuivre lors des négociations de l’accord pénibilité, qui doit être signé d’ici à la fin de l’année, et de celui sur les seniors, au programme des négociations en 2013.

3– Mettre l’accent sur l’alternance. Chaque année, entre 150 et 180 salariés occupant une fonction très spécialisée partent à la retraite. Lors de la vague de départs qui va déferler sur Vallourec au cours des prochaines années, la question de leur remplacement va se poser de manière aiguë. « Une partie de nos métiers, très spécifiques, s’apprend seulement à l’usine, assure Clément Des Robert, DRH du site de Saint-Saulve. On ne peut pas demander l’impossible aux établissements d’enseignement. Un lycée professionnel est dans l’incapacité de disposer d’un laminoir. » Conclusion : la meilleure solution reste l’alternance.

En 2011, Vallourec a signé l’engagement national pour accueillir 4 % d’apprentis dans ses rangs. À la fin de l’année dernière, il formait 80 alternants, soit 50 % de plus que fin 2010. À l’horizon 2015, l’entreprise aimerait atteindre le nombre de 250 alternants, soit autant qu’en Allemagne, avec un taux d’embauche espéré de 80 %. « Nous souhaitons accueillir des alternants dans des filières qui embauchent aujourd’hui. Nous avons besoin d’électromé caniciens pour la maintenance, de tourneurs ou de lamineurs ? », énumère Jérôme Gosselin, DRH France. Pour attirer les meilleurs candidats, l’an dernier, Vallourec s’est associé à un organisme de formation afin de diplômer 12 électromécaniciens. Il envisage de créer des for mations similaires pour, en priorité, les métiers de la maintenance et de maçons fumistes, mais aussi de lamineurs ou d’opérateurs sur commande.

4– S’appuyer sur la Val lourec university. Ces projets intègrent la Vallourec university, le centre de formation de l’entreprise créé en 2011, qui englobe tous les modules d’apprentissage. Mais, pour l’heure, cette université d’entreprise concerne surtout les cadres. Elle cen tralise le budget dédié à la formation, qui atteint 4,3 % de la masse salariale. Une réalisation qui ne fait pas l’unanimité. « J’y suis totalement opposé. À l’usine, nous avons besoin de personnes qui poussent des tubes avant tout. Pas tant de celles qui ont de la matière grise, affirme, catégorique, Ali Kassen, de la CFDT. Nous aurions préféré que la direction mette le paquet en créant un vrai centre d’apprentissage comme il en existe en Allemagne plutôt qu’elle donne la priorité à l’évolution des cadres, qui représentent une minorité dans l’entreprise. »

La mise en avant d’un « mini-MBA ? », du « développement d’un spirit management commun mondial au niveau du groupe », d’un « lieu d’excellence », défendus par Anne von Ritter, responsable de la Vallourec university, ne l’inspire guère. Au programme : modules de sécurité (qui mangent 40 % du plan formation de cette entreprise industrielle), relations avec la clientèle, management sur fond d’analyse des retours d’expérience des cadres. Et, bien sûr, apprentissage des langues dans un groupe de plus en plus tourné vers l’international.

5– Intéresser les salariés à la performance. Pour stimuler la motivation des troupes, Vallourec a ouvert en 2008 son capital à ses salariés : 73 % d’entre eux possèdent des actions du groupe, constituant actuellement 5 % du capital. Mais alors qu’en septembre 2008 l’action valait 88 euros, aujourd’hui elle a chuté à environ 32 euros. « Cette année, nous lançons un nouveau plan d’actionnariat salarié portant sur 3,6 millions d’actions nouvelles, représentant 2,96 % du capital. La souscription est moins chère », positive Philippe Crouzet. En bon coureur de fond, ce marathonien a la patience pour lui et parie sur le nouveau souffle de Vallourec qui, selon lui, ne saurait tarder, une fois passés les lourds investissements réalisés outre-Atlantique.

En 2011, intéressement et participation ont représenté une enveloppe de 43 millions d’euros. Aussi, Philippe Crouzet – marié à Sylvie Hubac, la di rectrice de cabinet de François Hollande – se dit-il « extrêmement surpris du matraquage fiscal que viennent de subir l’intéressement et la partici pation, s’agissant en plus d’un gouvernement qui affiche un attachement spécifique aux bas salaires… Or ce sont les premiers pénalisés ». Sinon, en matière de rémunération, Vallourec reste dans la moyenne de la métallurgie. Le salaire moyen d’un ouvrier est de 2 180 euros brut par mois (hors primes de contrainte, par ticipation et intéressement). DRH et syndicats ont entamé les NAO 2012 dans un climat serein. Comme hors de portée des tensions du marché de l’énergie.

Repères

Avec 5,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2011, Vallourec est leader mondial des tubes premium, principalement destinés à transporter le pétrole, le gaz et l’énergie électrique. L’entreprise, cotée au CAC 40, emploie 22 200 collaborateurs dans le monde, dont 5 000 en France. Elle est implantée dans plus de 20 pays.

1931

Naissance de Vallourec.

1957

Introduction du groupe à la Bourse de Paris.

2005

Prend le contrôle total de Mannesmann Tubes.

2006

Entrée au CAC 40.

2007

Annonce de la création d’un nouveau site de production au Brésil.

2010

Annonce de la construction d’une nouvelle tuberie aux États-Unis.

Répartition du chiffre d’affaires 2011 par zones géographiques
ENTRETIEN AVEC PHILIPPE CROUZET, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE VALLOUREC
“En cas de restructuration, le système français est très bloquant”

L’activité cyclique du marché de l’énergie exige de votre groupe qu’il soit flexible. Est-ce possible en France ?

Nous disposons des outils nécessaires pour nous adapter aux fluctuations à court terme du marché, tels que les comptes épargne-temps, le recours à l’intérim ou le prêt de main-d’œuvre entre sites. On peut critiquer certains de ces outils de flexibilité au nom de la précarité qu’ils créent pour les salariés concernés. Mais, en réalité, c’est bien parmi nos intérimaires que nous pouvons faire des embauches durables, pour remplacer les départs à la retraite par exemple. La France a sans doute des progrès à faire sur les contrats de mission et de projet, qui manquent dans certains secteurs comme l’ingénierie. Enfin et surtout, dans tous les secteurs, en cas de restructuration, le système français est très bloquant : nous sommes obligés de procéder en deux temps et d’évaluer d’abord la situation économique sans avoir, sous peine de délit d’entrave, le droit de dire quoi que ce soit sur le cœur du sujet qui préoccupe les salariés, comme les sites qui vont être touchés et les solutions envisagées pour atténuer l’impact du plan. En Allemagne, tous les éléments sont mis sur la table dès le début, ce qui permet de réduire l’inquiétude et d’engager une négociation utile.

Vallourec emploie autant de salariés outre-Rhin qu’en France. Enviez-vous le modèle allemand ?

Durant les dix dernières années, on a pu mesurer la perte de compétitivité de la France par rapport à l’Allemagne, principalement en raison de l’évolution inverse des charges sociales dans les deux pays. Le modèle allemand est admi rable dans sa tradition de négociation. Le dispositif de chômage partiel mis en place lors de la crise de 2009 en Allemagne a certes été coûteux, mais il s’est révélé très efficace car l’accent a été mis sur le maintien des compétences avec une implication forte des partenaires sociaux. Tout a été négocié avec eux alors qu’en France il faut déposer des dossiers auprès de chacune des administrations locales où se trouvent les usines concernées.

Vous avez créé en Allemagne un centre d’apprentissage. Qu’est-ce qui vous empêche de le faire en France ?

La législation ! Par exemple, nous ne pouvons pas, de fait, accueillir des jeunes de moins de 18 ans en apprentissage en usine. En Allemagne, à partir du moment où les précautions sont prises pour ce qui est de la sécurité et que cela se fait en cogestion avec les organisations syndicales, c’est possible. En France, la politique d’apprentissage est une po litique du nombre à l’entrée, qui n’a pas de sens. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas combien d’apprentis j’ai dans mon entreprise, mais combien sont embauchés à l’issue de la formation ! Or le taux d’embauche, et donc de succès, est très faible : 20 % en France contre plus de 90 % en Allemagne.

Que pensez-vous du projet de contrat de génération ?

Ce n’est pas un mauvais concept, nous le mettons déjà en œuvre en Allemagne. Mais l’expérience montre que ce n’est pas si simple que cela. Un ouvrier en fin de carrière n’est pas forcément un bon tuteur, et il y a un fossé de trois générations entre lui et le jeune qui entre en apprentissage. Organiser le tutorat sera compliqué, spécialement pour les PME. Plus l’entreprise est grande, plus c’est facile à mettre en place, parce qu’on peut mener des formations au tutorat.

En assemblée générale, vous avez été interpellé par un actionnaire sur votre rémunération variable. Faut-il une loi sur la rémunération des dirigeants ?

Ma part variable reflète les résultats de l’entreprise, elle sera donc moindre dans la période d’investissements lourds que Vallourec traverse. S’agissant des entreprises publiques, l’État est dans son rôle d’actionnaire en légiférant ; pas pour les entreprises privées, où la rémunération relève de la responsabilité du conseil d’administration, qui doit lui-même rendre des comptes aux actionnaires. Le code Afep-Medef en matière de rémunérations est très précis, même s’il ne prévoit pas de sanctions. Une manière de le rendre perfectible serait de créer un groupe de personnalités indépendantes qui pourraient se saisir de cas où les situations semblent anormales et demander des explications.

Propos recueillis par Rozenn Le Saint et Jean-Paul Coulange

PHILIPPE CROUZET

55 ans.

1981

Diplômé de l’ENA, il intègre le Conseil d’État.

1986

Directeur de plan à Saint-Gobain.

2000

Directeur général adjoint chargé des finances à Saint-Gobain.

2008

Rejoint le conseil de surveillance de Vallourec.

2009

Président du directoire de Vallourec et membre du conseil d’administration d’EDF.

Auteur

  • Rozenn Le Saint