logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Promesses et pièges du contrat de génération

Politique sociale | publié le : 02.11.2012 | Nicolas Grange

Associer jeunes et seniors dans l’emploi, un projet séduisant mais pas toujours pertinent. Et, sur le chômage, le nouveau contrat de génération devrait avoir un impact réduit.

Ils ont choisi de devenir maçons coffreurs ou conducteurs d’engins dans le groupe de travaux publics NGE (6 000 salariés), ils ont moins de 26 ans et sont peu, voire pas qualifiés. Leur sésame : une formation en alternance de six mois et un tuteur très présent. Gestes techniques, consignes de sécurité, valeurs de l’entreprise…, les nouvelles recrues bénéficient d’un accompagnement renforcé. « Il y a quinze ans, seulement 25 % des jeunes signaient un CDI à l’issue de leur contrat en alternance, souligne Bruno Pavie, DRH de NGE. Aujourd’hui, grâce aux tuteurs, on est à 85 %. »

Des tuteurs volontaires, formés durant quatre jours et particulièrement valorisés. Ils ont leur charte, la « tuteur attitude », leur publication, arborent le badge « tuteur NGE » et sont conviés tous les deux ans à un séminaire dans un lieu prestigieux. Sur les 250 tuteurs que compte l’entreprise, la moitié a plus de 50 ans. Le dispositif jeunes-seniors de NGE, un contrat de génération avant l’heure « C’est un très bon dispositif, même si les seniors ne sont pas toujours de bons tuteurs », explique Bernard Masingue, consultant, partenaire d’Entreprise & Personnel. « Le tuteur doit être capable d’aider le jeune à apprendre son métier mais aussi de mettre en perspective ses évolutions probables. D’ailleurs, la majorité des tuteurs enentreprise sont d’âge médian », ajoute l’ancien directeur de la formation de Veolia Environnement, auteur en 2009 du rapport « Seniors tuteurs : comment faire mieux ? ».

C’est le cas chez Snecma (groupe Safran), où la majorité des tuteurs ont entre 35 et 55 ans. Durant un à trois ans, plus de 600 tuteurs accompagnent les jeunes en alternance, lesquels représentent 5,7 % de l’effectif… Depuis 2007, le motoriste aéronautique mise beaucoup sur le tutorat. Mais cette pratique est moins développée dans les PME, même si elle est souvent mentionnée dans les accords (ou plans d’actions) seniors. Or le document d’orientation du gouvernement est explicite, c’est bien sur une relation triangulaire que repose le contrat de génération pour les PME de moins de 300 salariés : une entreprise, un jeune embauché en CDI et un senior tuteur maintenu en emploi. Toutefois, l’accord que viennent de conclure les partenaires sociaux, le 19 octobre, permet une mise en place moins mécanique dans les entreprises de 50 à 299 salariés, via une négociation obligatoire. Mais, quelles que soient les modalités d’application pour les petites ou moyennes entreprises – deux tiers des emplois –, le gouvernement leur réserve des aides financières substantielles pour embaucher.

À l’exception de FO, promoteur en 2009 d’un dispositif assez voisin (l’allocation intergénérationnelle), les organisations syndicales et patronales ont d’abord fait preuve de scepticisme vis-à-vis du contrat de génération, avant de participer activement à la démarche. Un revirement dicté par l’urgence à agir face à la flambée du chômage. « D’une entreprise à l’autre, la mise en place ne sera pas forcément évidente en pratique, affirme Benoît Roger-Vasselin, le négociateur du Medef, mais nous devions tout faire pour que ça puisse marcher. Dans les PME, il fallait impérativement que les modalités soient simples. »

Les syndicats, eux, souhaitent que toutes les PME définissent avec précision le contenu du nouveau poste, les compétences à acquérir, les missions du senior tuteur (qui pourra être le chef d’entreprise dans les petites structures). « Le rôle de l’administration sera déterminant, analyse Laurent Berger, négociateur de la CFDT. Elle devra se montrer exigeante sur les engagements pris par les PME dans leur dossier de demande d’aides, afin de limiter les effets d’aubaine. » Or une entreprise qui embauchera un jeune en 2013, et maintiendra un senior en emploi, ne prendrait-elle pas la même décision sans le contrat de génération Par ailleurs, les PME risquent de proposer moins de contrats en alternance.

Les grandes entreprises devront prendre des initiatives portant sur la transmission des compétences, mais pourront choisir les modalités

Effets d’aubaine. C’est Martine Aubry qui, la première, avait pointé les effets d’aubaine face à François Hollande, durant la primaire socialiste. Même si, dans l’intervalle, le dispositif a été sensiblement amendé, tout comme son coût prévisionnel, passé de plus de 8 milliards d’euros à près de 2 milliards aujourd’hui. Le contrat de génération est désormais plutôt bien calibré, juge Mathieu Plane, coauteur d’une étude de l’OFCE publiée cet été. « Par rapport au projet initial (allégements de charges pour toutes les entreprises proportionnels aux salaires du jeune et du senior), le dispositif cible cette fois les PME et les moins qualifiés, indique l’économiste, dont l’étude va être actualisée dans quelques semaines. Mais les effets d’aubaine pourraient tout de même avoisiner 80 % des contrats, ce qui n’est pas surprenant pour des contrats aidés dans le secteur marchand. » Soit « seulement » 100 000 emplois nouveaux en cinq ans sur les 500 000 contrats envisagés. Un peu plus si le gouvernement valide les nouveaux seuils d’âge, élargis par les partenaires sociaux – jusqu’à 29 ans pour les jeunes et à partir de 55 ans pour les seniors, dans certains cas. « Ce dispositif ne constitue pas une mesure choc », ajoute Mathieu Plane, même s’il lui reconnaît plusieurs vertus : « 100 000 emplois créés, ce ne serait pas négligeable, et les aides financières s’ajouteront aux allégements de charges sur les bas salaires, maintenus intégralement, avec un effet positif sur le coût du travail et les marges des entreprises. »

Dans les entreprises de 300 salariés et plus, le gouvernement brandit la menace d’un malus pour créer des emplois. Celles qui n’auront pas, avant octobre 2013, d’accord intergénérationnel ou de plan d’action validé par la Direction régionale du travail s’exposeront à une double peine : pénalité de 1 % de la masse salariale et remise en cause partielle des allégements de charges sur les bas salaires. Pour autant, « le schéma retenu est assez souple, relève Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH. Nous avons alerté les pouvoirs publics sur le danger de contrats trop rigides (une entreprise, un jeune, un senior) et nous sommes satisfaits d’avoir été entendus. » Résultat : les grandes entreprises devront prendre des initiatives sur la transmission des compétences mais pourront en choisir les modalités. « Le tutorat peut être une solution, mais pas forcément entre un jeune et un senior, abonde Denis Brochier, fondateur et consultant de Média. T, spécialiste du développement de la fonction tutorale. L’important est de créer du lien social entre les différentes générations dans l’entreprise et d’aider les jeunes à comprendre les codes, les jeux de pouvoir. »

Imerys Terre cuite, une entreprise de 1 500 salariés qui fabrique des tuiles et des briques pour les professionnels du bâtiment, a imaginé depuis 2006 une solution pour s’affranchir du tutorat classique, le TSE, « transfert du savoir de l’expérience ». Un opérateur très spécialisé (dans les fours de cuisson, par exemple) part à la retraite et l’entreprise fait alors appel à un salarié volontaire exerçant un autre métier (RH, comptabilité…) pour favoriser l’acquisition et la conservation de ses compétences. Ce « facilitateur » interroge le futur retraité sur ses pratiques en présence d’un jeune en alternance, destiné à occuper le poste, et formalise le savoir-faire recueilli. « Un dispositif pas facile à mettre en œuvre, mais valorisant pour les participants et intéressant pour l’entreprise, affirme le DRH, Olivier Orjas. On part avec l’objectif de transférer une compétence, et on en découvre toujours plusieurs. » Autre modalité envisageable pour faciliter l’intégration des jeunes : le parrainage par un ou plusieurs salariés. Ou encore le tutorat croisé, le senior apportant son expertise du métier et un jeune ses connaissances des nouvelles technologies. Cette pratique, autrefois chère à Laurence Parisot, n’est plus mise en avant par le Medef, parce qu’elle se révèle souvent inapplicable.

« Le tutorat n’est qu’une des formes de transmission. Il faut penser les échanges sans a priori sur les âges dans le cadre d’un collectif de travail en profitant de l’arrivée de nouvelles recrues pour s’interroger sur l’organisation du travail, discuter des pratiques existantes et éventuellement les améliorer », insiste Annie Jolivet, chercheuse au Centre d’études de l’emploi. Pour Stéphane Lardy, le négociateur de FO, « l’essentiel n’est pas de fournir une boîte à outils, mais de fixer des principes et des engagements, les modalités pratiques devant être négociées dans chaque entreprise ».

Stéréotypes liés à l’âge. Difficulté supplémentaire : les accords contrat de génération vont se substituer aux accords seniors, alors que ces derniers couvrent beaucoup plus de domaines. « Il ne s’agit pas d’avoir des accords seniors défensifs et d’ajouter un volet jeunes. Plutôt de mettre en place des plans intergénérationnels d’embauche de jeunes sur plusieurs années, avec un volet seniors, ce qui devrait trouver sa place dans l’accord de GPEC », assure Jean-Christophe Sciberras. « Il faut impliquer les managers dans le dispositif, ce qui a rarement été le cas pour les accords seniors. Le sentiment de la communauté RH, c’est que la mise en œuvre des contrats de génération pourrait s’avérer redoutable, note Rodolphe Delacroix, consultant senior chez Towers Watson, l’auteur de Si senior ! travailler plus longtemps en entreprise, c’est possible (Lignes de repères 2012), même si ce dispositif permet enfin de ne plus opposer jeunes et seniors. » À défaut de créer massivement des emplois, le contrat de génération contribuera peut-être à faire bouger les mentalités dans les entreprises…

4 000 euros par an

C’est le montant du soutien financier de l’État pour les PME de moins de 300 salariés ayant recours au contrat de génération : 2 000 euros par an pendant trois ans pour l’embauche d’un jeune en CDI et 2 000 euros par an pour le maintien en emploi d’un senior jusqu’à sa retraite.

Nicolas Flamant DRH de Spie Batignolles
« Rompre avec les mesures d’âge, très segmentées »

Quels sont les enjeux du contrat de génération ?

Un enjeu de cohésion sociale, d’emploi, de transmission des savoirs, avec en plus le défi de l’articulation avec les accords seniors. L’État et les partenaires sociaux doivent s’attacher à donner du sens au dispositif, à en expliquer les bénéfices et à le mettre en cohérence avec l’autre grand chantier, sur la sécurisation de l’emploi.

À quoi devrait-il ressembler ?

Il ne doit surtout pas être un contrat systématique entre les deux bouts de la pyramide des âges. Il doit d’abord s’inscrire dans une coopération intergénérationnelle plus large au sein des équipes. Tout ce que les seniors ont appris n’est pas forcément à transmettre et les seniors ne sont pas forcément les meilleurs tuteurs. Et pas de relation à sens unique. Les jeunes n’ont pas tout à apprendre des tuteurs, ils apportent aussi leurs remarques, leur vécu.

Quels efforts ont à faire les entreprises ?

On a déjà beaucoup d’outils, via la GPEC notamment, sur l’intégration des jeunes, la transmission des savoirs, la gestion des âges… Il me semble essentiel de travailler sur les représentations culturelles à l’égard des jeunes, qui ont peu évolué, alors que celles relatives aux seniors commencent à bouger. De ce point de vue, ce contrat entre générations permettrait de rompre avec les mesures d’âge, très segmentées, qui renforcent les a priori culturels sur les classes d’âge.

Auteur

  • Nicolas Grange