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Politique sociale

À Calais, surnager avec le “CSP”

Politique sociale | publié le : 02.11.2012 | Anne Fairise

Dans un territoire plombé par un chômage à 16,8 %, triste record national, le contrat de sécurisation professionnelle proposé à tout licencié économique fait office, plus qu’ailleurs, de bouée de sauvetage. Reportage.

Vue exceptionnelle à 360° », le prospectus n’a pas menti. Du haut de ses 75 mètres, le beffroi en briques rouges de la mairie de Calais offre une vue imprenable sur le territoire côtier à un vol de papillon de l’Angleterre, 38 kilomètres à peine. Et une plongée terrible dans la morosité ambiante. Au loin La Manche et le terminal car-ferry du premier « port passagers » français, où n’accostent plus les navires SeaFrance. La compagnie a mis la clé sous la porte en janvier après avoir supprimé 1 600 emplois en quatre ans.

Là, tout près de nous La Cité internationale de la dentelle, inaugurée en 2009 au moment où l’activité ayant fait la gloire de la cité (elle a compté jusqu’à 40 000 ouvriers) connaissait une énième convulsion. Depuis, les effectifs ont encore fondu de moitié, à 700 salariés à peine. Plus au nord, sous le toit des « 4B », le centre commercial censé revitaliser le centre-ville, près d’une boutique sur trois a baissé le rideau. Un tiers des licenciements actuels provient du commerce. La faute au pouvoir d’achat local, en berne, et aux Anglais, qui ont déserté même les magasins plus luxueux de la Cité de l’Europe, près de la gare TGV et d’Eurotunnel.

Aussi personne ici n’a-t-il été surpris d’apprendre, au sortir de l’été, que le Calaisis détenait le triste record du plus haut taux de chômage français, 16,8 %, presque deux fois plus que la moyenne nationale. En 2009 déjà, il a été l’un des premiers retenus pour expérimenter un accompagnement renforcé des licenciés économiques. « Plutôt que de détérioration brutale, il faut parler d’un déclin continu qui prend des proportions inquiétantes », commente Valérie Caille, la directrice territoriale déléguée de Pôle emploi pour le littoral, assaillie dès la publication des chiffres du chômage par TF1 et la presse nationale.

Sinistrose. « Si nous n’avions rien fait, la situation serait pire encore », soupire Natacha Bouchart, maire UMP, élue avec les voix socialistes en 2008, après trente-sept ans de gestion communiste. Elle n’a pas la partie facile : l’emploi était la priorité affichée de la campagne municipale. Création d’un fonds d’appui industriel et à l’artisanat, achat de centaines d’hectares pour faire émerger une zone logistique (1 000 emplois annoncés) et un parc d’attractions (1 500 projetés), la Communauté d’agglomération Cap Calaisis mouille la chemise. « Nous remettons le développement économique au cœur de l’action d’un territoire qui a vécu trop longtemps replié sur lui-même », renchérit Philippe Blet, son président et premier adjoint socialiste, vent debout contre « le fatalisme qui imprègne les murs et les esprits ». Reste que le temps du politique n’est pas celui des licenciés économiques. « Il nous faudrait de gros volumes d’embauches, et tout de suite, pour lutter contre la sinistrose ambiante », souffle un conseiller à Pôle emploi.

100 % du salaire antérieur, suivi individualisé, formation : les termes du contrat séduisent

Dans ce contexte, devenir un « CSPiste » prend des allures de sauvetage. Une allocation égale à 100 % du salaire net antérieur, un accompagnement individualisé, un accès facilité à la formation : les termes du contrat de sécurisation professionnelle proposé à chaque licencié économique*, à Calais comme partout dans l’Hexagone depuis septembre 2011, pour faciliter « le retour rapide à l’emploi durable » séduisent. Même si le taux d’adhésion – 80 % – est ici de 13 points inférieur à la moyenne du Nord-Pas-de-Calais. Mais les désistements parmi les 454 CSPistes du Calaisis (pour moitié des SeaFrance) se comptent sur les doigts d’une main, « et les absences, très rares, sont toujours justifiées », précise Vincent Combe, conseiller à Pôle emploi. « Aucune perte de salaire, une indemnisation dès l’inscription, pas de paperasse car le liquidateur judiciaire s’est occupé de tout. Je n’ai pas hésité une seconde », explique Joanne Marie, ex-responsable d’une boutique vendant des chocolats. Même si elle a dû abandonner son indemnité de préavis de licenciement, comme l’exige ce dispositif conçu par les partenaires sociaux et l’État.

La sécurité financière et l’accompagnement individualisé par des conseillers ne suivant ici pas plus de 60 CSPistes (contre près de 200 dans une agence Pôle emploi classique) offrent un avantage. « Cela doit permettre aux licenciés de transformer cette transition professionnelle en opportunité, pour revalider leur projet professionnel au regard des métiers porteurs du territoire, le modifier le cas échéant, monter surtout en compétences », résume Gaëtan Delacre, directeur adjoint de l’agence calaisienne spécialisée dans l’accompagnement renforcé. Il n’a pas fallu le répéter à Stéphanie Bart, 43 ans dont vingt-deux chez SeaFrance, tenaillée par l’envie de devenir traductrice d’anglais. Depuis neuf mois, elle enchaîne remises à niveau et certifications, consciente que les places sont chères. Damien Gouffe apprécie le suivi, lui qui a sombré dans un abîme de perplexité depuis son licenciement. « Je suis arrivé un peu perdu », concède ce presque quadra qui n’avait jamais rédigé de CV. Pour quoi faire Avant même de passer son bac, il avait décroché un CDI comme steward chez SeaFrance.

Le transport, secteur de reconversion. En neuf mois, il aura tiré un trait définitif sur le maritime après trois mois de contrat chez LD Lines, autre compagnie transmanche, à nettoyer les sanitaires. Il en est revenu « comme assommé » : « Repartir tout au bas de l’échelle, je ne peux pas. » Écartant les pistes soufflées par l’entourage, plombier chauffagiste, agent immobilier, commerçant, il a retravaillé son orientation via un bilan de compétences. Et son projet a pris forme : ce sera conducteur d’autocar interurbain. Comme beaucoup. Les métiers du transport sont le premier secteur de reconversion des CSPistes du Calaisis, pour deux tiers des hommes, devant ceux du bâtiment. Révélateur, la durée moyenne de formation (trois cent cinquante heures) est 40 % supérieure à ce qui se pratique dans la région, selon Opcalia. « Lorsque l’adhérent au CSP n’envisage pas de mobilité géographique, nous travaillons la mobilité professionnelle », note Nicolas Didisse, conseiller à Pôle emploi, qui compte 60 % de reconversions chez les CSPistes qu’il accompagne.

L’accès à la formation est facilité, par leur statut de stagiaire de la formation et le financement des Opca. « Ils accèdent à un éventail plus large de formations que les demandeurs d’emploi, qui sont limités aux organismes conventionnés par Pôle emploi et le conseil régional. » Mieux, Opcalia et Agefos PME financent les formations jusqu’à six mois après le terme du CSP. « Après un licenciement, le temps pour se remettre en selle peut être très long : définir son projet, le valider, trouver la formation adéquate…, certains adhérents ont vite fait d’arriver presque au bout de l’année de CSP », constate Éric Dehay, délégué d’Agefos PME pour le Pas-de-Calais.

Quant au « retour rapide à l’emploi durable » attendu, il va falloir s’armer de patience pour en juger, très peu de parcours CSP s’étant achevés. Le casse-tête des conseillers de Pôle emploi reste ici entier, car l’herbe n’est pas plus verte dans le Boulonnais, à 30 kilomètres au nord (14,1 % de chômage), ni dans le Dunkerquois, plus loin (12,6 %). Les critiques sur les conditions trop restrictives du CSP ont tôt fait d’émerger. « Il nous empêche de travailler. Impossible d’accepter de missions de moins de quinze jours, sous peine de sortir du dispositif ! Pourtant, il faut saisir toutes les occasions pour mettre un pied dans l’entreprise et se faire connaître », maugrée Joanne Marie, qui a refusé plusieurs contrats courts pour les soldes, les périodes de vacances…, alors même qu’elle souhaite rester dans le commerce. Face à l’incompréhension des gérants de boutique et à la rumeur qui commençait à galoper (« on a vite fait d’être traitée de paresseuse »), elle est même allée s’expliquer, formulaire Pôle emploi sous le bras. « La réalité du monde du travail, c’est malheureusement l’entrée par l’emploi précaire, reconnaît Pascal Catto, responsable de l’union régionale CFDT. Mais les partenaires sociaux l’ont pris en compte et ont déjà modifié les conditions de retour à l’emploi en cours de CSP. Initialement, les missions de moins d’un mois ne pouvaient être acceptées. »

Au ministère du Travail, Philippe Dole, ex-directeur du Travail du Nord qui suit le déploiement du CSP, se veut confiant un an après le lancement du dispositif. « Selon de premiers résultats partiels, 50 à 60 % des adhérents retrouvent un emploi durable. Dans les bassins d’emploi sinistrés, il faut simplement plus de temps pour y arriver. » De quoi donner du baume au cœur des CSPistes du Calaisis. Même si, ici, tout le monde a conscience que la présence massive d’ex-SeaFrance ne facilitera pas la tâche. « Beaucoup n’ont pas entamé de réflexion sur leur projet. Ils ont attendu jusqu’à l’été que leurs ex-collègues créent la nouvelle compagnie transmanche MyFerryLink. Ils espèrent qu’ils feront partie des prochains embauchés », souffle un Calaisien. De quoi peser sur les résultats dans ce territoire qui voit passer chaque jour des millions de passagers et de marchandises sans réussir, encore, à les capter au profit de l’emploi local.

* Dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, ou bien en redressement ou liquidation judiciaire sans conditions d’effectif.

La formation, clé du CSP

Les Opca financeurs exigent une mise en situation de travail pour confirmer les projets professionnels des CSPistes, surtout lors des reconversions, et des tests validant l’acquisition des savoirs de base avant toute entrée en formation. « Il faut vérifier que les adhérents n’ont pas perdu les mécanismes d’apprentissage de base », souligne Olivier Marty, directeur régional d’Opcalia. Certaines reconversions tiennent du grand saut. Comme pour ce tulliste, 50 ans révolus, qui se prépare à passer des ateliers de fabrication de dentelle à conduite d’engins de chantier, avec un salaire diminué d’un tiers. Néanmoins revenu ravi de ses semaines de mise en situation de travail aux Carrières du Boulonnais, pendant lesquelles il n’a subi aucune perte de revenu, grâce au CSP.

Ce n’est pas le seul avantage du dispositif, qui favorise les « diagnostics partagés » en renforçant les liens entre les acteurs de l’emploi. « Depuis la mise en place de l’accompagnement renforcé des transitions professionnelles, le sous-préfet nous invite à la cellule de veille économique qu’il organise. Cela nous permet de connaître les projets d’implantation d’entreprises en amont et d’identifier les métiers porteurs », précise Valérie Caille, directrice territoriale déléguée de Pôle emploi. Même satisfaction chez les partenaires sociaux, membres désormais du service public de l’emploi local, qui élabore les priorités d’actions par bassin d’emploi.

Auteur

  • Anne Fairise