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Enquête

La grande distribution en hypertension

Enquête | publié le : 02.11.2012 | Emmanuelle Souffi

Pouvoir d’achat en berne, nouvelles attentes des clients… Le premier employeur de France aborde une cure d’amaigrissement sans précédent sur fond de conditions de travail et d’emploi déjà difficiles. Passage en revue des maux qui empoisonnent la vie des salariés.

Les grands rectangles plantés au cœur de nos zones commerciales tels des Lego ont perdu de leur superbe. Depuis près de dix ans, les familles qui passaient leurs week-ends à naviguer dans ces temples de la consommation font demi-tour. Retour au centre-ville. Un comble pour les géants de la distribution qu’on avait accusés de tuer le petit commerce ! En 2011, la fréquentation des hypermarchés Carrefour a chuté de 3,5 %. Quant à Casino, ses Géant ont vu leur chiffre d’affaires reculer de 1,8 % entre les premiers trimestres 2011 et 2012. Dans le même temps, les petites surfaces alimentaires de proximité ont poussé comme des champignons. Rien qu’à Paris, entre 2000 et 2010, on en compte 70 % de plus ! Carrefour Market, Monoprix, Franprix, A 2 pas… Les mastodontes font des petits pour coller aux nouvelles exigences de la clientèle. L’essence coûte de plus en plus cher. Le portefeuille désenfle à vue d’œil. On veut manger sain et varié, et sans perdre son temps dans les allées d’un supermarché. Bref, les modes de consommation ne sont plus ceux des Trente Glorieuses. « Ce qui est attaqué, c’est le caractère massif de la grande distribution. Hier, l’abondant faisait moderne. Aujourd’hui, c’est l’authentique, le terroir », commente Philippe Moati, économiste et coprésident de l’Observatoire société et consommation.

Avec la pression des enseignes de hard-discount, les leaders du secteur ont dû revoir leur modèle en catastrophe. Car ils n’ont pas vu le vent tourner. Au pas de course, Carrefour, Auchan, Casino, Intermarché… entament des plans de transformation pour réenchanter leurs magasins. Drives, supérettes bio, épiceries… Ils partent à la reconquête du client, emmenant avec eux des salariés un brin déboussolés par ces revirements stratégiques. « La pression ne fait qu’augmenter, constate amèrement Claudette Montoya, déléguée syndicale nationale de Carrefour. Il n’y a plus de métier chez nous, aucune reconnaissance des compétences. “Les bras”, comme on nous appelle, redoutent l’avenir. »

Baisses d’effectifs. Le premier secteur de l’Hexagone en termes d’emploi (634 000 salariés) subit une cure d’amaigrissement sans précédent. Avec une baisse de 5 % par an, concurrencés par l’e-commerce, les vendeurs d’électroménager, hi-fi et téléphonie ont du souci à se faire. Auchan va supprimer 1 600 postes via la GPEC tout en en créant 1 600 avec l’ouverture de 50 drives d’ici à 2014. Carrefour, depuis son rachat en 2008 par le fonds d’investissement Blue Capital, en sacrifie 533 dans l’administration. Pas de PSE, les baisses d’effectifs se font en catimini, à coups de départs plus ou moins volontaires. En 2011, 10 117 emplois ont disparu chez le deuxième distributeur mondial, selon le bilan social de juillet dernier. Pour 2008, 2009 et 2010, les coupes atteignent 20 000 équivalents temps plein. Et 2 500 chez Cora. À Casino, un quart des postes aurait été rayé de la carte en cinq ans, d’après les syndicats. Chez Intermarché, l’an dernier, la paie et la comptabilité ont été centralisées à Rennes et à Corbeil-Essonnes, en région parisienne. Les employés ont refusé de suivre. Bilan : 300 licenciements. Les petites bases logistiques vont être regroupées d’ici à 2015 dans de méga plates-formes. Les 304 salariés de Narbonne et les 259 de Pézenas iront à Béziers : 60 kilomètres aller et retour. « On redoute de 2 500 à 4 000 suppressions de postes », calcule Richard Mouclier, délégué syndical central FO chez ITM LAI, la filiale logistique d’Intermarché.

Au-delà des contraintes économiques, l’automatisation, qui permet de réaliser des gains de productivité, fait son office : 25 % des emplois dans les entrepôts d’Intermarché pourraient disparaître avec la mécanisation des préparations de palettes, les commandes vocales… La grande distribution vit un tournant sans précédent. « Les enseignes ont toujours cherché à transférer le maximum de tâches sur le consommateur. D’abord dans les surfaces de vente et désormais aux caisses, qui représentent 25 % des frais de personnel d’un magasin, observe Olivier Dauvers, spécialiste du secteur. Le métier de caissière va disparaître comme jadis celui de pompiste. À chaque fois que vous passez en caisse automatique, vous détruisez de l’emploi. »

Prompt à intervenir dans l’industrie, le gouvernement reste discret sur les coupes chez les distributeurs

Au total, FO chiffre à 12 000 les sacrifices sociaux. Prompt à intervenir dans les restructurations industrielles, le gouvernement reste très discret sur les coupes chez certains distributeurs. FO a d’ailleurs rencontré le cabinet de Michel Sapin le 19 septembre. Il faut dire que les enseignes n’aiment pas faire parler d’elles. Nos demandes d’interview ont toutes été refusées tant dans les enseignes qu’à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). C’est une des marques de fabrique de ce secteur : il fonctionne en vase clos, avec des partenaires syndicaux parfois triés sur le volet. Salaires au rabais, rythmes éreintants, pressions… Les distributeurs peinent à trouver un modèle RH compatible avec leur faible niveau de marge : à peine 3 % ! Or si les champions de la distribution veulent gagner économiquement, ils vont devoir se réinventer socialement.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi