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« Le non-recours aux aides sociales est bien plus important que la fraude »

Actu | Entretien | publié le : 02.11.2012 | Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy

Par ignorance ou par honte, nombre de gens ne réclament pas leurs droits. Ce scandale a des effets pervers sur l’économie, estiment ces chercheurs.

Quelle est l’ampleur du non-recours aux droits sociaux ?

Ph. W. On observe un seuil de non-recours autour de 10 %, tous droits confondus. Mais, selon les cas, il peut être beaucoup plus important. Le rapport du Comité national d’évaluation du revenu de solidarité active (RSA) a mis en évidence l’ampleur du phénomène : 50 % en moyenne de non-recours sur les trois types de RSA et 68 % pour le seul RSA activité.

P. M. Dans le cas des tarifs sociaux concernant l’énergie ou les transports collectifs, il peut même atteindre 80 %. Idem pour les aides aux complémentaires santé liées à la CMU.

Pourquoi les citoyens ne réclament-ils pas leurs droits ?

P. M. Justement parce qu’il faut les demander ! En France, réclamer, c’est déjà être pauvre. Pour certaines personnes, percevoir une aide sociale est très stigmatisant, voire honteux. Cela a beaucoup joué dans le difficile démarrage du RSA. On a également pu observer dans certains services sociaux que les intervenants censés proposer ces droits ne le font pas, estimant que le public n’est pas adapté. Ce peut être le cas pour le 115, de crainte de mélanger des familles sans toit à des clochards, ou encore lorsque le droit au logement opposable n’est pas proposé aux publics des accueils de jour, jugés inaptes à accéder au logement.

Ph. W. S’il y a non-recours, c’est aussi par méconnaissance de ces droits. Les gens oublient, ne savent pas, pensent qu’ils n’y auront pas accès. Pour beaucoup, les procédures sont trop compliquées. Enfin, il y a non-recours lorsque les bénéficiaires ne perçoivent pas la totalité des prestations. Pour les ménages précaires, ces dysfonctionnements désé quilibrent rapidement leur budget.

Combien représente cette non-dépense ?

Ph. W. Pour le RSA, ce sont 5,3 milliards d’euros qui ne sont pas dépensés chaque année, 2 milliards pour les indemnités de chômage non versées à des chômeurs pourtant éligibles mais non inscrits à Pôle emploi, 27 millions d’euros pour l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé… Ces montants sont à comparer aux 4 milliards d’euros de fraudes aux prestations sociales que le gouvernement de Nicolas Sarkozy a si souvent dénoncées. Le montant du non-recours aux aides sociales est bien supérieur à celui de la fraude. De quoi relativiser le discours sur le « cancer de l’assistanat » qui mettrait en péril le système de protection sociale.

En temps de disette publique, c’est une aubaine pour le gouvernement !

P. M. Tout dépend sous quel angle on regarde la dépense. Ne pas recourir aux aides sociales a des effets pervers sur l’économie. La non-dépense publique provoque des pertes de richesses. Lorsqu’un conseil général verse une allocation personnalisée d’autonomie à une personne âgée, ce sont des emplois d’aides à domicile qui sont créés, donc des cotisations sociales qui entrent dans les caisses de l’État. On sait aussi qu’une personne qui arrive aux urgences sans s’être fait soigner pendant des années coûte beaucoup plus cher à la Sécurité sociale.

Ph. W. Cela déséquilibre aussi les budgets des collectivités territoriales. Tous ceux qui échappent au système de protection sociale national se retrouvent dans les filets des communes puis des associations.

Comment favoriser l’accès aux droits ?

P. M. La Belgique et les Pays-Bas ont opté pour l’automaticité des droits. Les citoyens ne sont plus dans la posture du demandeur. Mais ils peuvent refuser le bénéfice de leurs droits. En France, on se réfugie derrière des problèmes techniques. L’échange de fichiers entre institutions semble se mettre en place, mais l’objectif de la détection des droits potentiels doit être clairement réaffirmé. Et l’évolution est lente. Un exemple : un décret d’application de la procédure d’automatisation des tarifs sociaux de l’énergie est paru en mars dernier. Il prévoit que les bénéficiaires potentiels n’auront plus à en faire la demande. Selon les estimations, cette procédure devrait permettre d’atteindre 1 million de bénéficiaires, contre 625 000 en 2011, et les coûts de gestion seront divisés par quatre.

L’exécutif est-il engagé sur cette voie ?

Ph. W. On peut estimer que le thème progresse alors que la période est aux budgets contraints. La ministre Marisol Touraine parle d’améliorer le système de gouvernance et l’accès aux droits sociaux. Il faut rester vigilant. Dans un contexte politique différent, en Grande-Bretagne, la question du non-recours aux droits sociaux s’est traduite par des coupes budgétaires. Le gouvernement a estimé que s’ils n’étaient pas utilisés, c’est qu’ils ne correspondaient à aucun besoin.

PHILIPPE WARIN ET PIERRE MAZET

Chercheurs.

BIBLIOGRAPHIE

Membres de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), laboratoire rattaché au CNRS, Philippe Warin, directeur de recherche spécialiste de l’évaluation des politiques publiques, et Pierre Mazet, ingénieur d’études au laboratoire Pacte, publient, avec 11 coauteurs, l’Envers de la « fraude sociale » : le scandale du non-recours aux droits sociaux (éd. La Découverte, 180 pages, 15 euros. Sortie le 8 novembre).

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy