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Vie des entreprises

Le patron du Groupe SOS met le social en mode rentabilité

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 03.10.2012 | Adeline Farge

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Évolution des salariés

Crédit photo Adeline Farge

À la tête d’un mastodonte du social comptant de multiples structures, Jean-Marc Borello cherche à fédérer et à professionnaliser les troupes. Avec des méthodes d’entrepreneur qui ne sont pas du goût de tous.

Fondations, associations, coopératives, entreprises d’insertion spécialisées dans l’hébergement pour SDF, toxicomanes ou jeunes en difficulté, mais aussi dans l’accueil de jeunes enfants ou de personnes âgées, la santé ou le développement durable et les médias (dont Respect Mag). Qu’est-ce qui relie les 283 établissements de cet inventaire ? Réponse : le Groupe SOS et son charismatique fondateur, Jean-Marc Borello, « tombé » à 20 ans dans l’entrepre neu riat social, son diplôme d’éducateur en poche. Fort de son million de personnes ac compagnées en 2011, de ses 560 millions d’euros de budget annuel, de ses 25 % de croissance en six ans et de ses 10 000 salariés, le Groupe SOS est un mastodonte du social. Dans un secteur où pullulent les petites structures, ce conglomérat d’associations et d’entreprises à vocation sociale, réunies au sein d’un GIE, fait figure d’ovni.

D’autant que la rentabilité économique et l’évaluation ne sont pas des gros mots pour ce patron au parcours atypique. Jean-Marc Borello s’est occupé de jeunes délinquants, a intégré la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, mais il a également dirigé des boîtes de nuit au sein du Groupe Régine. Au terme « subvention publique », il préfère ceux de concurrence, contrat, appel d’offres. Il n’hésite pas à re courir aux méthodes du privé et, si nécessaire, aux plans sociaux. À l’instar de celui qui va concerner le groupe hospitalier Alpha Santé, dans le Nord. Bien décidé à s’ouvrir à l’international – le Groupe SOS est déjà présent dans 30 pays –, à continuer de croître et à labourer de nouvelles friches, comme celle de la dépendance, Jean-Marc Borello ne cesse de bousculer le secteur de l’économie sociale et solidaire.

1 - Adapter les RH au modèle SOS

Son délégué général le répète à l’envi : dans une maison comme le Groupe SOS, qui doit « tourner toute seule », il faut que la gouvernance soit collégiale et que chacun prenne une part de responsabilité. Une affirmation que tous, au sein du groupe, ne partagent pas. « Dans les entreprises sociales, les décisions sont collectives. Or Jean-Marc Borello incarne la réussite individuelle, et le pouvoir est extrêmement concentré entre ses mains », conteste un acteur de l’éco nomie sociale, sous couvert d’anonymat. Mais, au-delà de ces querelles sur la « gouvernance démocratique » qui agitent le landerneau associatif, les associations qui rejoignent le groupe doivent se conformer à de nouvelles règles du jeu : les grandes décisions opérationnelles se prennent lors de l’assemblée générale et des réunions des conseils d’administration des trois associations fondatrices du groupe (voir Repères page 44) qui ont nommé un directoire composé de délégués généraux sectoriels.

Pour offrir une expertise professionnelle aux associations et permettre une mutualisation des coûts, le Groupe SOS s’est en outre doté en 1995 d’un GIE qui rassemble les fonctions support (gestion, financement, comptabilité, développement). « Le GIE dispose de capacités de conseil, d’alerte et de contrôle budgétaire permettant au groupe de bâtir une politique commune », souligne Benjamin Duclos, le directeur général du GIE, dont les experts appuient les associations dans le montage de leur dossier. « Notre compta bi lité est plus orthodoxe. Grâce à l’aide du GIE, nous avons été bien positionnés dans le cadre d’un appel à projets du département de Paris, devant des acteurs majeurs du social », commente Patrick Tite, le directeur de Notr’Asso, qui accompagne des jeunes en difficulté. Un souci de pro fessionnalisation qui n’est toutefois pas du goût de tous les travailleurs sociaux. « La démarche qualité avec la traça bilité de la prise en charge des bénéficiaires a été abordée, dans un premier temps, avec distance par certains salariés qui ont une culture profes sionnelle plutôt psy. Ils craignent, en outre, d’avoir plus de charges administratives », poursuit ce responsable qui verse au GIE autour de 15 000 euros par an, soit 1,3 % de son budget – proportion qui ne peut excéder 5 %.

Pour autant, si ce besoin de rationaliser les coûts s’accompagne de reporting et de contrôle financier, les entités du groupe conservent une marge d’autonomie, assure Robin Sappe, le DRH, qui développe au niveau du GIE des outils comme un SIRH qui gère la paie pour l’ensemble des salariés. « Nous sommes dans un contexte multimétier avec 17 conventions collectives. C’est donc aux associations de faire remonter leurs besoins et à nous d’assurer une politique RH homogène. »

Ainsi, lorsque la décision de faire un PSE est entérinée, après expertise du GIE, le plan est directement piloté par un directeur sectoriel et l’établissement concerné. Le service de Robin Sappe n’intervient pas. « Dans le cas d’Hospitalor, association de soins hospitaliers et d’accueil de personnes âgées dépendantes de l’est de la France reprise en 2011, près de 2 200 emplois étaient en jeu. Il a fallu supprimer 82 postes, mais grâce à la conjonction des reclassements, des départs volontaires et des formations, on devrait aboutir à huit licenciements secs », estime Jean-Marc Borello.

2 -Professionnaliser les troupes

Appliquer des méthodes du privé suppose d’élargir son vivier de recrutement. « La grande intelligence de Jean-Marc Borello est de savoir déléguer. Il ne peut pas être spécialiste de tout. Il prend les meilleurs dans chaque domaine », déclare Nicolas Hazard, diplômé de Sciences po Paris et de HEC, président du Comptoir de l’innovation, société d’investissement du groupe qui propose aux entreprises sociales des produits financiers.

« On est en concurrence avec les entreprises lucratives, on recrute donc dans les mêmes écoles. Nous n’avons pas d’actionnaires, nous ne sommes pas dans une course au profit mais on offre des prestations de qualité. Les jeunes viennent travailler dans les entreprises sociales pour la recherche de sens, même si les salaires peuvent être moindres », témoigne Mathieu Taugourdeau, qui a fourbi ses armes dans un cabinet d’audit à la sortie de son école de commerce. Directeur du pôle entreprises, il pilote, à 31 ans, une équipe de 300 salariés. « Jean-Marc Borello confie des responsabilités à des personnes de 24 à 60 ans et autant à des femmes qu’à des hommes », souligne-t-il. Dans l’entreprise, 75 % des effectifs sont des salariées, y compris chez les cadres.

Soucieux également de maintenir une diversité dans les parcours, SOS a mis en place une bourse aux talents et des formations pour les managers issus de l’interne. « Une déléguée régionale est entrée en tant qu’assistante sociale et dirige aujourd’hui 700 salariés », précise Sylvie Justin, membre du directoire et déléguée générale du pôle santé-social. En 2011, 100 directeurs ont été formés à l’entrepreneuriat social et, en 2012, 200 cadres intermédiaires ont suivi une formation sur le management. Pour repérer les talents à partir des entretiens annuels d’évaluation – qui ont été étendus à tout le monde – et répondre aux souhaits de progression des salariés, des comités de carrières ont été instaurés au niveau des régions.

Afin d’encourager la mobilité interne, la gestion du recrutement, de la formation et de la mobilité devrait être intégrée en janvier prochain dans le SIRH du groupe. « Cet outil facilitera le suivi des carrières et permettra de mieux identifier et consolider les passerelles possibles au sein du groupe », précise Benjamin Duclos. L’objectif étant de permettre aux salariés dont les conditions de travail peuvent être éprouvantes, en particulier dans les structures médico-sociales, de poursuivre leur carrière dans une autre entité.

Les formations sont mises au service de la mobilité. En 2011, 75 % des salariés ont été formés pour un budget à hauteur de 2,3 % de la masse salariale. Au cours du premier semestre 2012, 500 offres d’emploi ont été publiées sur l’intranet. Une gestion des carrières qui reste à améliorer, tempère un salarié. « Une blague court chez SOS. Quand tu restes plus d’un mois, tu es considéré comme un ancien. Il y a pléthore de contrats aidés et de stagiaires. »

3 - Bâtir des dénominateurs communs

« Face à sa croissance exponentielle, SOS peine à créer une culture commune. Au pôle média, on a peu de contacts avec le reste de l’entreprise, on est loin du siège et chacun reste dans sa propre structure. Comme personne ne fait le même métier et que c’est un groupe éclectique, il n’y a pas de sentiment d’appartenance », critique un ancien salarié de ce pôle. Lors des processus de reprise ou d’affiliation, les cadres sont sensibilisés aux procédures internes et les nouveaux venus doivent adhérer à la charte des valeurs du groupe : respect des personnes, égalité des droits, laïcité et indépendance ; et à la nature du groupe : organisation sociale au service des individus, gouvernement éthi que et transparence financière.

Mais difficile, dans un groupe qui n’a pas de réalité juridique en tant que telle, de définir de grandes règles communes et de conclure de grands accords sociaux. « Nous tentons d’harmoniser les statuts, explique Robin Sappe. C’est par exemple le cas avec une mutuelle instaurée au niveau du groupe, même si nous devons tenir compte des spécificités locales. Nous avons aussi négocié au printemps un accord sur l’homoparentalité avec les syndicats d’Habitat et Soins. Chaque fois que nous obtenons ce type d’avancée, cela crée une émulation dans les autres entités du groupe. »

Pour autant, la structure éclatée du Groupe SOS ne favorise pas le dialogue social. À défaut de comité central d’entreprise et de délégués syndicaux de groupe, les négociations se déroulent au sein de chaque association. « Je n’ai pas de contact avec les autres représentants », déplore Christine Naudin, déléguée syndicale CFDT à l’association Habitat et Soins. En termes de politique salariale, chaque entité se base sur les conventions collectives et négocie les salaires. Seule grande décision entérinée en conseil d’administration, SOS a fixé des limites aux rémunérations, dont l’écart ne peut dépasser 1 à 10. Pour faire une entorse à cette loi d’airain, notamment en vue de recruter un chirurgien (le niveau de salaire de la profession dépassant cette échelle), Jean-Marc Bo rello a dû en passer par ce même conseil d’adminis tra tion. Le groupe a aussi instauré un système d’intéressement pour le pôle entreprises, conseil et expertises. « On redistribue une partie des bénéfices sous forme de primes aux salariés. C’est une façon égalitaire de les faire participer en leur redistribuant les fruits de la croissance », note Mathieu Tau gourdeau. Et des primes sur les objectifs et sur l’assiduité ont été mises en place dans les structures d’accueil et de soins.

4 - Aider les salariés

Face à la dureté des conditions de travail des tra vailleurs sociaux, le Groupe SOS a mis en place une cellule de psychorégulation. Un intervenant extérieur analyse les pratiques professionnelles des équipes. « Un travailleur social a été mis en joue avec une arme qui s’est révélée non chargée. Il faut traiter ce type de situation avec un psychologue à titre individuel », commente Sylvie Justin. Chez Habitat et Soins, après la création d’un CHSCT en 2006, les syndicats sont en phase de négociation sur la pénibilité au travail. Une démarche imitée par d’autres entités du groupe. Aux yeux des syndicats, toutefois, les conditions de travail se dégradent : « Les managers sont issus d’écoles de commerce et n’ont pas l’expérience du terrain. Avec l’obligation de traçabilité, les salariés sont moins présents auprès des usagers et davantage dans l’administratif. Il y a du mécontentement sur la charge de travail et les conditions sala riales », note Christine Naudin. Le DRH rappelle de son côté que, pour améliorer les relations dans les équipes, divers outils sont développés, comme le théâtre forum dans lequel les salariés jouent leur propre rôle ou celui de leurs collègues. Chez Voiture & Co, une association de 65 salariés qui promeut la mobilité de tous tout en polluant moins, une masseuse vient chaque mois sur le site. « Nous essayons d’être le plus à l’écoute possible de nos salariés. Ils peuvent, par exemple, profiter de moments de détente lors de nos séminaires, ou même au bureau. On s’interroge aussi sur l’impact de la sieste au travail », précise Florence Gilbert, la directrice.

En marge des conditions de travail, SOS s’intéresse également aux problèmes matériels que rencontrent les salariés, pour beaucoup abonnés au smic. La direction a ainsi accordé une prime de 1 000 euros aux 30 salariés qui sont au bas de l’échelle. Les collaborateurs peuvent faire appel à une assistante sociale pour des problèmes de papiers, de surendettement et de logement. Et une « plate-forme insertion » a été spécialement mise en place en 2010 pour aider les salariés en insertion, comme ceux de L’Usine, à La Plaine-Saint-Denis. Le credo de Jean-Marc Borello, qui se dépense sans compter pour promouvoir un nouveau modèle d’économie sociale dans les ministères, est d’offrir aux usagers des services d’excellence en matière de logement, de santé ou d’emploi. Pour les 10 000 salariés du groupe, il ne faudrait pas que les cordonniers soient les plus mal chaussés.

Repères

Trois associations, Prévention et Soin des addictions, Habitat et Soins, Insertion et Alternatives, sont à l’origine, en 1984, du Groupe SOS. Leurs assemblées générales et leurs conseils d’administration fixent le cap du groupe par le biais d’un directoire composé de délégués généraux qui pilotent notamment le pôle santé-social et le pôle éducation et formation. Les établissements (283 à ce jour) qui rejoignent le groupe n’ont pas de lien juridique ni capitalistique avec le groupe. Ils élisent de nouveaux administrateurs, adhèrent à la charte SOS et mutualisent des moyens au sein d’un GIE.

1984

Création du Groupe SOS.

1995

Constitution du GIE.

2012

Reprise d’Hospitalor et d’Alpha Santé (respectivement 2 700 et 2 000 salariés).

Évolution des salariés
ENTRETIEN AVEC JEAN-MARC BORELLO, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU GROUPE SOS
« Il faut sortir du schéma idéologique entre bons associatifs et méchants entrepreneurs »

Le Groupe SOS compte 283 établissements dans divers secteurs. Quelle est votre stratégie de développement ?

Nous n’en avons pas ! Nous nous inscrivons dans une dynamique de développement qui consiste à répondre aux nouveaux besoins sociaux et sociétaux, car ces derniers évoluent. Cela concerne aussi bien l’accompagnement de personnes souffrant d’addictions, les personnes sans abri, handicapées, malades, ou âgées dépendantes. Notre croissance n’est donc pas une fin en soi. En revanche, notre taille constitue un atout pour fournir des services de qualité pour tous, y compris aux plus démunis.

Qu’est-ce qui fédère un groupe qui emploie 10 000 salariés avec 17 conventions collectives différentes ?

C’est la qualité du service rendu aux bénéficiaires. Dans notre baromètre social, on demande aux salariés ce qui participe le plus à leur motivation dans le travail. La satisfaction des usagers vient en première position, avant les relations avec la hiérarchie et la question des salaires. Par ailleurs, la diversité des activités du groupe permet de passer d’une structure à une autre durant sa carrière. Après s’être occupé d’adolescents en difficulté ou de personnes souffrant de pathologies lourdes durant des années, il est parfois opportun de s’intéresser à de nouvelles problématiques.

Vous appliquez des méthodes du privé, vous vous entourez de diplômés de gran des écoles, comment préserver l’esprit militant du monde associatif ?

Un certain nombre de responsables associatifs, et j’en fais partie, ont des profils similaires : éducateurs spécialisés ou fonctionnaires, ex-syndicalistes ou militants politiques, post-soixante-huitards… On a tous appris à bricoler, mais il faut désormais professionnaliser le secteur ! Le Groupe SOS recrute des comptables, des juristes, des gestionnaires. Nous attirons de plus en plus de jeunes diplômés connaissant par faitement les mécanismes du privé pour lever des fonds ou permettre à une entreprise d’être rentable. Mais si ces derniers n’étaient pas, aussi, des militants, ils ne viendraient pas bosser chez nous, pour trois fois moins cher. Ils sont plus réalistes, moins idéologues, cherchent à donner du sens à leur engagement professionnel. Quant à l’esprit associatif et aux compétences sur le terrain, ils ne disparaissent pas. Personne ne connaît mieux son secteur qu’un travailleur social ou une infirmière…

Quelle est la marge d’autonomie des associations qui vous rejoignent ?

Les associations sont autonomes au niveau du fonctionnement. C’est au directeur d’établissement de décider d’embaucher ou de licencier, par exemple. Mais tout dépend de ses moyens financiers. C’est pourquoi nous avons mis en place un reporting précis. Selon l’avis du GIE, ce responsable pourra, ou non, lancer son projet.

Qu’attendez-vous du ministère de l’Économie sociale ?

La création du ministère à Bercy est un signe fort, une reconnaissance de la place de l’ESS dans l’économie. Pour autant, ceux qui pensent que le retour de la gauche au pouvoir va faire pleuvoir les subventions seront déçus. Ce que nous demandons, ce ne sont pas des avantages fiscaux, mais de pouvoir concurrencer des acteurs privés lucratifs, et ce à armes égales, afin de décrocher des contrats et remporter des appels d’offres. La taille du Groupe SOS nous permet d’obtenir des prêts bancaires. Mais ce n’est pas le cas de bon nombre de petites entreprises de l’ESS. La Banque publique d’investissement pourrait remplir ce rôle essentiel.

Pourquoi défendez-vous la création d’un label ?

L’ESS se fonde sur les statuts. Or ce n’est pas parce que nous sommes une association ou une coopérative que nous sommes vertueux. Il y a bien des associations de malfaiteurs ! Le statut d’association sans actionnaires ni dividendes nous convient bien, mais il existe des entreprises com merciales qui font du très bon boulot. D’où l’idée d’un label qui serait décerné par une instance paritaire et qui mesu rerait l’impact social de ces sociétés. Il faut sortir du sché ma idéologique entre bons associatifs et méchants entrepreneurs. Et le ministère est a priori sur cette longueur d’onde. Propos recueillis par Adeline Farge et Sandrine Foulon

JEAN-MARC BORELLO

55 ans.

1981

Conseiller de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

1984

Création de SOS Drogue Inter national avec la chanteuse Régine.

1987

Président du Groupe Régine.

1998

Délégué général du Groupe SOS.

2010

Président du Mouvement des entrepreneurs sociaux.

Auteur

  • Adeline Farge