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Politique sociale

Montebourg, artilleur sans munitions

Politique sociale | publié le : 03.10.2012 | Anne Fairise

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Montebourg, artilleur sans munitions

Crédit photo Anne Fairise

Porteur d’une grande ambition, le fougueux ministre du Redressement productif a été réduit à gérer l’urgence. Ses propositions concrètes sur la reconquête industrielle, attendues ce mois-ci, seront décisives pour son avenir.

Industriels, syndicats, salariés, contenez vos impatiences ! Arnaud Montebourg, le bouillonnant ministre du « Redressement productif » le répète à l’envi en cet automne qui, partout, voit monter les mécontentements. « J’ai demandé au Premier ministre que ce mandat me soit confié cinq ans. J’en ai besoin pour avoir des résultats. Je veux réussir », martèle le locataire de ce ministère inédit, annoncé, après la présidentielle, comme LE cœur de la stratégie du nouveau gouvernement socialiste. François Hollande l’avait promis : pas question de « faire du Lejaby », du provisoire dans l’urgence, mais de relancer un développement par l’industrie. Une cause taillée sur mesure pour le troisième homme de la primaire socialiste, chantre du made in France et penseur de l’antimondialisation qu’il a mis une quinzaine d’années à théoriser, depuis qu’il a constaté, dès 1997 en campagne pour gagner la 6e circonscription de Saône-et-Loire, l’état de délitement industriel du département. Le jour de sa passation de pouvoir, le 17 mai, le nouveau ministre se rêvait bâtisseur, clamant de sa voix de stentor : « Mon ministère sera celui de la reconquête des emplois industriels. »

Mais, depuis, Arnaud Montebourg colmate. Sur le pont de 7 heures à minuit. Doux, Petroplus, Fralib, ArcelorMittal, PSA : l’avalanche de dossiers, « et de plans sociaux passés sous silence par les prédécesseurs », l’a transformé en « médecin urgentiste » cavalant de site en PSE, entouré de caméras. « Dans la continuité de ses prédécesseurs », gaussent ses détracteurs. Après l’hyperprésident, l’hyperministre ? L’importance du nombre d’emplois menacés (96 000 selon la liste noire de la CGT) plaide pour ce suractivisme. « Faire du bouche-à-bouche à des canards boiteux dans des filières en surcapacité, c’était politiquement valable avant les législatives. Mais après ? » s’énerve un mineur. « Réagir au cas par cas n’est pas établir une stratégie », lâche un industriel du CAC 40.

Terrain. Pour l’instant, la rupture Montebourg est ailleurs, dans cette porte ouverte aux syndicats souvent reçus avant leurs responsables d’entreprise. Ou dans l’architecture « mode terrain » donnée au ministère. Lui qui a longtemps eu un rapport incertain à l’économie – recalé à l’ENA pour un 4 sur 20 sur le sujet – s’est entouré d’une équipe connaissant les entreprises, comme Stéphane Israël, son directeur de cabinet et ancien d’EADS, ou Fanny Letier, ex-secrétaire générale du Comité interministériel de restructuration industrielle, hôpital des grosses sociétés malades jusqu’alors logé à Bercy. Et il a vite déployé un réseau de 22 commissaires régionaux chargés de repérer les PME de moins de 400 salariés en difficulté. Avec un mot d’ordre, essentiel pour l’ex-avocat qui a bataillé contre les administrateurs judiciaires : éviter la mise en liquidation.

Surtout, le cofondateur du Nouveau Parti socialiste a commencé à redessiner la doctrine d’un État qui « nelaissera pas faire » et demande aux grandes entreprises qu’elles s’expliquent. Ses déclarations fracassantes sont autant de salves politiques. Qu’il stigmatise les « plans sociaux abusifs » de Sanofi, convoque les opérateurs télécoms ou accuse la famille Peugeot, actionnaire majoritaire du constructeur automobile, d’avoir dissimulé la fermeture de l’usine d’Aulnay-sous-Bois avant de commander – une première ! – un rapport pour jauger la pertinence de la stratégie. Toute entreprise ayant reçu des aides doit rendre des comptes, proclame-t-il en substance, et les Français applaudissent, majoritaires à le soutenir face à PSA en juillet, selon les sondages radio. Mais il n’évite pas la démagogie, lorsqu’il appelle à relocaliser les centres d’appels. « Une position typiquement politique pour caresser les Français dans le sens du poil. Alors que les emplois sont en croissance dans la filière », note l’économiste Olivier Bouba-Olga. Ses propos sur Fralib ont choqué. « On ne peut pas dire n’importe quoi sur le droit des brevets », tonne-t-on à la CGPME. Au point que l’opposition UMP l’a déjà rebaptisé « Fouquier-Tinville », du nom de l’accusateur public du Tribunal révolutionnaire qui jugea Marie-Antoinette. « Les Guignols de l’info » l’ont réduit à… un pur-sang incontrôlable.

La future Banque publique d’investissement est dévolue pour l’essentiel au ministre de l’Économie

Plusieurs membres du gouvernement ont été appelés à sa rescousse. Cinq jours après son affrontement avec Philippe Varin, le P-DG de PSA, le Premier ministre a reçu ce dernier. Michel Sapin, ministre du Travail, a coprésenté avec Arnaud Montebourg son plan automobile. Mise sous surveillance ? « Arnaud Montebourg est bien utile, décrypte un conseiller de l’Élysée. François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont bien composé le gouvernement : ils peuvent jouer sur plusieurs cordes. Voilà comment on construit des compromis. » Reste que la fougue Montebourg est parfois indomptable. À la rentrée, sa mise en cause publique du choix de Bercy pour Lazard, employeur de sa compagne, comme banque-conseil pour la création de la Banque publique d’investissement lui a valu un recadrage. Son agenda ministériel a été inaccessible pendant cinq jours. « Il faut se recentrer sur l’essentiel », soufflait un conseiller presse. Mais, à ce caractère entier, pas réputé pour faire des compromis, on attribue déjà la démission surprise de Jean-Claude Volot, médiateur de la sous-traitance.

Consensus… contre son style. En trois mois, Arnaud Montebourg aura réussi le tour de force de réunir, dans une même impatience exaspérée, ce patronat et ces syndicats qu’il appelle au « patriotisme économique », à la « négociation franche », aux compromis. Sa méthode horripile. La CFDT n’a pas apprécié sa gestion du dossier PSA et la commande du rapport Sartorius qui ont donné de faux espoirs aux salariés. Puisque Aulnay fermera bien. « Jouer un rôle politique sur les PSE, on n’en est plus là. Il faut que le changement s’incarne », souligne Mohamed Oussedik, de la CGT, qui réclame une loi sur les licenciements boursiers. À l’université d’été du Medef, un patron des services s’est fait le porte-parole du courroux industriel : « J’en ai assez des leçons de morale ! Arrêtez de nous dire ce que nous devons faire avec nos entreprises, nos salariés, nos clients », a clamé Pierre Bellon, de Sodexo.

Certes, Arnaud Montebourg a imprimé sa marque dans le débat public, mais pour quels résultats ? Lui, tient les décomptes : 91 dossiers à l’étude début septembre concernant 14 220 emplois menacés. « 2 700 n’ont pu être sauvés mais les entreprises ont été gardées. » Pour le reste, il a présenté un plan de reconquête industrielle, se résumant à l’affirmation d’orientations, et un plan de soutien ultralight à la filière automobile. Et il peine à imposer ses vues à Bercy. Promise comme le bras armé du redressement productif, la future Banque publique d’investissement, annoncée pour octobre, est dévolue pour l’essentiel au ministre de l’Économie.

Arnaud Montebourg a beau avoir la cotutelle de l’Agence des participations de l’État, gérant les participations de l’État dans les entreprises, il n’a pas obtenu la baisse, chargée de symbole, à 1 euro par action du dividende de France Télécom, qu’il réclamait pour favoriser l’investissement. Quitte à réduire les recettes de l’État, actionnaire de l’opérateur à 27 %, de 285 millions d’euros. Bercy a maintenu le dividende à 1,40 euro par action.

Plus ça va, plus on sent qu’il n’a pas les leviers », analyse un syndicaliste. Les annonces stratégiques viendront en octobre, avec la remise du rapport sur la compétitivité et le financement de la protection sociale, que le Premier ministre a confié à l’ex-président d’EADS, Louis Gallois, commissaire général à l’investissement. Quant au pacte productif avec le patronat et les syndicats, que Montebourg appelle de ses vœux, il est entre les mains des intéressés qui négocient sur le marché du travail en mettant tout sur la table : des accords compétitivité-emploi à la refonte des procédures de licenciement collectif, en passant par l’association des organisations syndicales aux décisions d’entreprise. « Arnaud Montebourg va jouer son avenir politique en octobre, en étayant son plan de reconquête industrielle et son plan PME, après la remise du rapport Gallois. Il peut prendre de l’épaisseur », résume un conseiller de l’Élysée. Décidément, la porte est étroite.

2 700

C’est, selon Arnaud Montebourg, le nombre d’emplois qui n’ont pu être sauvés en quatre mois, sur 14 220 menacés dans les 91 entreprises suivies par son ministère.

Jean-Louis Beffa Président d’honneur de Saint-Gobain et coprésident du Centre Cournot pour la recherche en économie.
« Il y a urgence à agir »

Vous prônez l’évolution vers un modèle économique « à l’allemande »?*. En quoi cela aiderait-il l’emploi industriel ?

Depuis les années 80, des choix politiques ont fait évoluer l’économie française vers un modèle inspiré de la Grande-Bretagne, où la suprématie de l’actionnaire s’impose dans la gestion d’entreprise. Avec les conséquences que l’on sait. Promouvoir un modèle de l’« intérêt partagé », inspiré du modèle allemand, c’est favoriser la prise en compte de tous les ayants droit de l’entreprise, salariés et environnement compris. Cette gouvernance favorise des actions de long terme, l’adhésion du personnel et le développement de l’emploi. Car les concessions salariales sont compensées par des investissements en faveur de l’emploi national.

Que suppose sa mise en place ?

Elle donne un rôle incitatif central à l’État, dans le soutien à l’innovation et l’élaboration d’une politique industrielle efficace, grâce à la relance de programmes exportateurs avec évaluation des contreparties concrètes côté entreprises. L’État doit aussi favoriser un actionnariat stable dans les entreprises, par des mesures anti-OPA, facilitant l’actionnariat salarié et l’association des salariés à la stratégie. À ce titre, je suis pour la présence des délégués syndicaux les plus représentatifs au conseil d’administration des entreprises, afin que leurs fédérations comprennent la situation réelle des entreprises et de la concurrence mondiale.

Les Français vous semblent-ils prêts à ce pacte social ?

Malheureusement, le patronat est plus préoccupé par la compétitivité liée au coût du travail que par la compétitivité hors coût, pourtant vitale. Les syndicats sont crispés sur la défense de leurs droits. Quant au nouveau gouvernement, il parle d’État stratège mais n’a pas défini sa méthode. Les Français n’ont pas compris la violence de la concurrence internationale, qu’il nous faudra demain affronter, et la nécessité d’un pacte national pour s’en prémunir. Je le déplore, il y a urgence à agir.

Propos recueillis par A. F.

* La France doit choisir, Jean-Louis Beffa (éd. Seuil).

Des milliers d’emplois industriels menacés

Depuis le 6 mai 2012, les PSE ne cessent de s’ouvrir dans toute la France. Et les restructurations qui s’étaient invitées dans la campagne continuent d’accaparer les commissaires du Redressement productif, saisis de centaines de dossiers. Sur la carte figurent soit les principaux sites en restructuration, soit le siège de l’entreprise.

Source : entreprises et syndicats. La photographie des restructurations à début septembre n’est pas exhaustive. Certains de ces sites subissent des plans sociaux, d’autres cherchent des repreneurs ou sont menacés de restructuration.

Auteur

  • Anne Fairise

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