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Un démarrage laborieux

Dossier | publié le : 03.10.2012 |

Retard à l’allumage, accords sans réelles mesures de réparation, plans d’action basiques : les premiers accords d’entreprise et, plus encore, de branche peuvent sembler décevants. Mais ils ouvrent la voie.

Autant le dire, les premiers accords d’entreprise et, plus encore, de branche traitant de la pénibilité ont de quoi laisser sur leur faim les experts ès conditions de travail. « Les accords ne sont pas forcément l’exact reflet de la qualité de la démarche des entreprises », prévient Ludovic Bugand, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). La faute, sans doute, aux délais impartis : l’article 77 de la réforme des retraites du 9 novembre 2010 obligeait les entreprises d’au moins 50 salariés à négocier un accord ou à élaborer un plan d’action avant le 1er janvier 2012… mais ses décrets d’application ne sont parus qu’en juillet 2011, et il a fallu attendre le 28 octobre 2011 pour que la Direction générale du travail publie une circulaire explicative.

Les entreprises ont largement mis à profit le délai supplémentaire accordé par l’administration : après mise en demeure par l’Inspection du travail, elles ont six mois pour se mettre en conformité avec la loi. De nombreuses négociations n’ont ainsi débuté qu’en 2012 : leurs chances d’aboutir à un texte charpenté avant le 30 juin étaient donc minces… Car la prise en compte de la pénibilité est « un travail de longue haleine, estime Jean-Michel Martin, directeur des relations sociales et des systèmes de rémunération d’Arkema. C’est parce que nous avions ouvert le dossier pénibilité bien avant l’adoption de la loi que nous avons abouti ». L’accord du 11 janvier 2012 fait en effet suite à deux accords de janvier 2010 : un accord-cadre posant les bases de la négociation et un accord à durée déterminée comprenant un dispositif de dispense d’activité pour les travailleurs postés.

Un véritable engagement. « Pour qu’un accord ait du sens, le diagnostic doit être effectué au plus près des réalités du terrain, avec une approche très ergonomique des situations de travail », commente le DRS du groupe chimique. Ce qui requiert du temps, un véritable engagement et, dans le cas d’Arkema, l’appel à un expert de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) : « Tout le monde a l’impression que son travail est pénible, sourit Jean-Michel Martin. Faire le diagnostic avec un tiers extérieur permet d’objectiver la réalité des situations pénibles. » De ce point de vue, le choix de critères de pénibilité et de leur seuil de prise en compte est à la fois « l’élément le plus difficile, mais aussi le plus central ». La direction d’Arkema a pris le parti de coller au texte de loi en retenant les 10 critères de pénibilité qu’il énonce et en se calant – après recherche documentaire avec l’INRS – sur les différentes normes en vigueur pour fixer les seuils. « D’une manière générale, nous avons retenu les seuils les plus favorables aux salariés », explique Jean-Michel Martin.

Deux organisations représentatives n’ont toutefois pas signé l’accord proposé : la CFDT et la CFE-CGC. Elles souhaitaient que d’autres critères de pénibilité (le décalage horaire pour les personnes se déplaçant régulièrement à l’étranger et l’utilisation des technologies mobiles d’information) soient également pris en compte. Si la CGT a signé, en revanche, c’est parce que l’accord comprend un volet « compensation », avec un dispositif d’aménagement des fins de carrière : mi-temps pour les salariés de 55 ans et plus ayant été exposés pendant au moins vingt ans à deux facteurs de pénibilité, prime compensatrice de « dépostage » pour les salariés justifiant d’au moins deux années consécutives en travail posté et souhaitant travailler de jour… La CGT fait du volet « réparation » son juge de paix, n’acceptant de signer que les accords proposant de réelles mesures de compensation des années de pénibilité, comme c’est le cas chez Arkema, mais aussi Snecma, Rhodia, Sanofi, Aperam… Les négociations d’entreprise, mais surtout de branche, achoppent très souvent sur ce thème. À ce jour, deux branches seulement ont abouti à un accord sur la pénibilité, avec des mesures de compensation : l’industrie du pétrole et les ports et manutention.

Exemplaire pour les syndicats de salariés, véritable épouvantail pour les organisations patronales, l’accord sur la pénibilité et le stress au travail mis à la signature par l’Union française des industries pétrolières (Ufip) le 19 septembre 2011 a été ratifié par la CGT, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC. Il prévoit en effet des « mesures de compensation de la pénibilité et du stress au travail » : aménagement de poste et d’horaires pour les salariés de 45 ans et plus, mais aussi cessation anticipée d’activité pour les salariés postés en 3 × 8 continus (au rythme de 1,25 à 1,75 mois par année de travail posté, dans la limite de dix mois). Toutes les autres branches se sont prudemment cantonnées au volet « prévention », privant de facto de mesures de compensation tous les salariés des entreprises non couvertes par un accord de pénibilité : PME de moins de 50 salariés ou entreprises comptant moins de 50 % de salariés concernés par la pénibilité.

Cette position sera-t-elle tenable à long terme ? Pas sûr… Les partenaires sociaux et, plus encore, les salariés sont très sensibles à la question. « Au cours de la négociation, j’ai eu la surprise d’être régulièrement interrogée par les salariés sur son état d’avancement », explique Christiane Graillot, coordinatrice syndicale CFDT d’Aperam. Ce fabricant d’acier inoxydable (10 200 salariés dans le monde, 3 000 en France), né fin 2010 d’une scission du groupe ArcelorMittal, a eu quinze mois pour réviser tous ses accords collectifs (temps de travail, GPEC, diversité…). L’accord du 8 mars 2012 traite à la fois de la pénibilité, du stress au travail et du harcèlement. « Nous avons préféré ne pas multiplier les accords pour nous donner les moyens de bien les suivre, explique Gérard Grimbert, le DRS. Mais si les partenaires sociaux avaient exigé des négociations indépendantes sur chacun de ces trois sujets, nous étions prêts à l’accepter. »

Le véritable nœud de la discussion s’est tout naturellement situé sur la question de la compensation : « Nous voulions que les salariés qui ont vraiment souffert de la pénibilité par le passé soient reconnus, explique Christiane Graillot. L’absence de mesure de compensation aurait été rédhibitoire. » La CFDT, tout comme les deux autres organisations représentatives (CGT et CFE-CGC), a ratifié l’accord proposant à la fois des aménagements de fin de carrière (passage à temps partiel à 80 % ou départ anticipé de deux à trois ans selon la durée d’exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité) et une garantie de rémunération pour les salariés obligés par la médecine du travail à passer du travail posté au travail de jour.

Des moyens et de la méthode. « Ces mesures ont un coût, admet Gérard Grimbert. Nous avons donc dû aller chercher un mandat à la direction générale pour les accorder. » Il expose là l’une des principales difficultés des directeurs des relations sociales ou des DRH amenés à négocier ce type d’accord : « Pour mettre en place un véritable plan de prévention de la pénibilité, il faut être capable d’agir sur l’organisation. Pour adopter des mesures de compensation ou de réparation de la pénibilité, il faut avoir une enveloppe financière. Or les DRS et les DRH n’ont la main sur aucun de ces leviers », observe un expert.

Au-delà de l’accord lui-même, les partenaires sociaux d’Aperam ont apprécié la méthode adoptée par la direction, « qui n’a pas attendu d’être sûre que tous ses sites comptaient plus de 50 % de salariés concernés par la pénibilité pour engager la négociation », observe Christiane Graillot. « Nous avons également invité notre médecin du travail à la table de négociations, ajoute Caroline Escallier, adjointe au responsable des relations sociales. Ce qui a rassuré les partenaires sociaux tout en nous apportant une expertise réelle. Car nous tenions à fonder notre diagnostic sur des éléments objectifs. » Une méthode approuvée par Ludovic Bugand, de l’Anact, qui s’étonne de voir trop fréquemment « des juristes plutôt que des préventeurs ou des médecins du travail » autour de la table de négociations.

Tout n’est pas rose pour autant : l’accord d’Aperam a été conçu comme un accord de méthode à décliner sur chaque site, prié d’établir son plan d’action en retenant au moins quatre axes sur les six proposés. « Depuis la signature de l’accord, en mars dernier, aucun site n’a finalisé son plan d’action, regrette Christiane Graillot. Il est temps d’avancer si l’on veut pouvoir faire un véritable bilan fin 2012. » L’accord prévoit en effet un bilan annuel, avec des objectifs précis et des indicateurs chiffrés. C’est là l’une des richesses, probablement encore sous-estimée, de la loi du 9 novembre 2010 : la négociation sur la pénibilité se révèle être un véritable moteur pour le dialogue social. « Dès lors qu’un cadre réglementaire s’impose, mieux vaut en tirer le meilleur parti possible, estime Jean-Michel Martin, directeur des relations sociales d’Arkema. Ce qui influera positivement sur le dialogue social. »