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Vie des entreprises

Les patrons jouent les assistantes sociales

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 03.09.2012 | Adeline Farge

Entre flambée de l’immobilier et hausse de la précarité, les difficultés des salariés à se loger et à boucler leurs fins de mois interpellent les entreprises. Et les poussent à les aider.

Sans mon patron, je vivrais comme un clochard », affirme Dominique Dutilly. Après une longue année de chômage, il était incapable de payer un loyer. À son arrivée à Cleaning, une société de nettoyage de Loos, dans le Nord, il était hébergé chez sa sœur à Wahagnies, à 42 kilomètres. « Pendant deux ans j’ai dormi dans le salon, sur un Clic-Clac, et je faisais le trajet à vélo pour me rendre au travail », se remémore cet agent d’entretien. Interdit bancaire, il a obtenu, grâce à l’appui de son directeur et au partenariat noué par l’entreprise avec la caisse solidaire du Crédit mutuel, des prêts pour avoir un scooter et un loge ment : « Mon patron m’a aussi aidé dans ma recherche d’un logement sur Lille. Il a insisté auprès des agences immobilières et m’a mis en contact avec le groupe GHI. Le Crédit mutuel a en plus avancé la caution car je n’avais pas de chéquier. » L’employeur de Dominique Dutilly, Yann Orpin, travaille avec des organismes de logement social, tel GHI, pour aider ses salariés mal logés.

Il ne s’arrête pas là. Confronté à la précarité de ceux qu’il emploie, il les accompagne dans le montage de leur dossier de surendettement. Quand un de ses salariés est menacé de la saisie de son véhicule, il n’hésite pas à négocier avec l’huissier l’échelonnement des dettes. « On ne recrute pas seulement un collaborateur, mais un individu avec ses problèmes personnels. Dans nos métiers, on embauche des chômeurs de longue durée avec un CV vierge, explique le gérant de cette société de nettoyage. Quand ils sont stables dans leur vie privée, les salariés sont motivés, s’impliquent auprès des clients et défendent les intérêts de l’entreprise. »

Le logement, question cruciale. Si les Yann Orpin restent rares, les salariés sont en revanche de plus en plus nombreux à se tourner vers leur patron lorsqu’ils ne parviennent plus à boucler leurs fins de mois. Et ce ne sont pas les prévisions de l’Insee, qui pronostique une forte baisse du pouvoir d’achat pour 2012 (– 1,2 %, du jamais-vu depuis 1984), qui changeront la donne. Mais la flambée des prix de l’immobilier des quinze dernières années fait du logement le problème numéro un. Selon le Crédoc, près de 500 000 personnes en recherche d’emploi ont renoncé à un poste pour ne pas accroître leur dépense de logement. Les intérimaires comptent parmi les premières victimes des tensions de l’immobilier. « Du fait de la nature de leur contrat de travail, ils sont perçus comme instables par les bailleurs. De plus, ils doivent s’adapter aux besoins des entreprises et être mobiles en s’installant dans les bassins d’emploi, ce qui complique leur recherche de logement », souligne Daniel Lascols, di recteur du Fonds d’action sociale du travail temporaire, qui prend en charge les honoraires des agences immobilières et la garantie des risques locatifs (GRL) – assurance qui intervient en cas de défaut de paiement – durant les trois premières années du bail. « Nous assurons aussi des missions d’hébergement d’urgence. Certains intérimaires dorment dans leur voiture et ont des difficultés à continuer leur mission », note Daniel Lascols.

Selon une récente étude du Crédoc réalisée à la demande du Medef, 40 % des entreprises affirment être affectées par ce type de difficultés, que ce soit pour le recrutement ou la mobilité interne de salariés, en particulier en région parisienne et en Paca. Certaines réagissent en s’appuyant sur les dispositifs d’Action logement (ex-1 % Logement). L’Oréal, dans le cadre d’une convention conclue en juillet 2011, assume la cotisation de la GRL pendant trois ans pour tout bailleur qui logera un salarié en CDI. « Bien que nos rémunérations soient au-dessus de la moyenne, parfois nos collaborateurs résidant en Ile-de-France n’arrivent pas à se loger dans le parc locatif privé, surtout en début de carrière. Grâce à la prise en charge de la GRL, nous donnons aux bailleurs une garantie de paiement des loyers. En six mois d’existence du dispositif, sur la dizaine de dossiers montés, sept ont abouti », explique Pascal Metton, directeur des affaires sociales de L’Oréal. Par ailleurs, l’accord national interprofessionnel du 18 avril 2012 qui veut « favoriser l’accès au logement pour favoriser l’accès à l’emploi », signé par l’ensemble des partenaires sociaux, vise à généraliser cette formule de GRL. Mais aussi à adapter l’offre aux besoins des salariés, augmenter l’offre de logements locatifs HLM « économiquement accessible »…

Dans les zones en tension comme le Var, l’offre de logements sociaux est insuffisante. Le CE d’Eiffage Travaux publics Méditerranée a donc mis en place une commission ad hoc pour aider les salariés mutés à trouver un logement. « Dans nos métiers, les salaires sont bas. Si le salarié trouve un logement auprès d’un bailleur privé, le CE et l’Association pour l’accès aux garanties locatives [APAGL] prennent en charge pendant la première partie du bail le coût de la GRL », souligne Philippe Luppo, trésorier du CE, qui regrette que ce dispositif ne soit pas reconnu par les bailleurs. Depuis juillet 2011, sur une quarantaine de dossiers déposés, seule une vingtaine ont abouti.

Pour répondre aux demandes des postiers, des agents de colis et des distributeurs, La Poste a créé en 2006 un service dédié au logement doté d’un budget de 31 millions d’euros par an. « Le logement est la troisième priorité du service social. Lorsqu’on embauche 240 000 postiers par an, c’est la responsabilité sociale de l’entreprise qui est en jeu. L’accompagnement logement favorise la mobilité et l’intégration dans l’entreprise », souligne Pascale Martinuzzi, directrice du service logement. Dans certains bassins d’emploi où elle peine à recruter, La Poste accorde des aides aux nouvelles recrues. Un facteur en Ile-de-France bénéficiera ainsi d’une aide financière de l’ordre de 5 160 euros, sur deux ans. « Tous n’ont pas des parents derrière eux. On s’engage à leur donner un coup de pouce financier et à leur trouver, dans les vingt-quatre mois, un logement social », indique Pascale Martinuzzi. Fatima Hamdaoui, 23 ans, factrice, a pu déposer ses valises dans un foyer réservé aux postiers à Paris. « J’ai vu l’assistante sociale en juin, l’après-midi même j’ai eu le logement. Dans le privé, je n’aurais jamais trouvé un 10 mètres carrés pour 143 euros par mois. » Ils sont 5 000 agents logés dans le parc locatif de La Poste, avec des loyers dont les prix sont généralement divisés par deux par rapport à ceux du marché. L’entreprise intervient aussi lorsqu’un agent se retrouve à la rue. « Les managers peuvent alerter le service social pour trouver des solutions d’hébergement temporaire. »

À la SNCF les conseillers sociaux aident les salariés à constituer leur dossier de surendettement

Autre mal qui taraude les postiers : le surendettement, deuxième motif de recours au service social après les difficultés liées au travail. Sur 18 000 demandes, 6 500 concernent des problèmes financiers. En 2010, La Poste a noué un partenariat avec le Crédit municipal de Paris pour proposer aux salariés en difficulté une offre de restructuration et de rachat de crédits. « Avant, l’endettement était lié au cumul des crédits à la consommation pour l’achat de biens. À présent, les gens prennent des crédits pour boucler leurs fins de mois », précise Josyane Burnichon, responsable du réseau des assistantes sociales à La Poste.

Bien que le surendettement frappe davantage les familles monoparentales, les couples dont l’un des conjoints a perdu son emploi et ceux qui doivent assurer le retour au bercail d’un enfant majeur ne sont pas épargnés. « On a constaté une hausse des situations de surendettement qui touchent des personnes différentes : l’exécution, la maîtrise et les cadres », note Jean-Pierre Loyer, responsable du dé partement action sociale à la SNCF, qui pointe un coupable : le crédit revolving. Les conseillers sociaux et familiaux de la SNCF réalisent un diagnostic de la situation budgétaire des sa lariés et constituent le dossier de surendettement pour la Banque de France : « Des aides financières non remboursables et sans plafond peuvent être accordées et, exceptionnellement, des avances sur salaire peuvent être envisagées avec le DRH. Mais, parfois aussi, elles n’ont aucun sens car on alimente un puits sans fond », poursuit-il.

Anne-Claude Roi, assistante sociale interentreprises, relativise l’utilité de certaines aides : « L’avance sur salaire et les prêts de l’employeur bouchent un trou ponctuel mais n’améliorent pas la gestion du budget. En outre, il peut être délicat pour un salarié que l’employeur soit au courant de ses difficultés. Il existe un risque que ce dernier exerce davantage de pression sur le salarié. » D’un côté, beaucoup préfèrent dissimuler leurs tracas aux managers, de l’autre, ces initiatives restent à la discrétion des employeurs. « Les grandes entreprises bénéficient d’interlocuteurs comme les CE et les délégués du personnel et ont des équipes RH. Les PME ne disposent pas de relais suffisants », souligne Michel Pimoulle, responsable de la coordination à la CGPME.

Accompagnement externalisé. Aux entreprises qui ne s’estiment pas légitimes face à ces questions d’argent qui relèvent de la sphère privée, l’association Crésus met à disposition une plate-forme d’accompagnement budgétaire assurée par des banquiers et des juristes. « Crésus permet de rompre le sentiment de solitude et de créer un dialogue en externalisant le service des lieux de travail », justifie Jean-Louis Kiehl, le président. Depuis 2009, PRO BTP fait appel à cette plate-forme située à Strasbourg pour aider les salariés du Grand Est qui ne parviennent pas à régler leurs factures. Crésus constitue les dossiers qui seront transmis à la Banque de France pour restructurer les prêts. « 40 % de nos dossiers concernent le surendettement lié à des crédits à la consommation non amortissables et à des accidents de la vie », signale Pierre de Pas, directeur de l’action sociale générale PRO BTP.

Le groupe paritaire de protection sociale n’hésite pas, par ailleurs, à sensibiliser à la gestion d’un budget les nouvelles générations dans les CFA du bâtiment. Une nécessité. Selon Crésus, quatre suicides par jour sont liés au surendettement. Malgré la loi Lagarde sur le crédit qui a renforcé l’information des consommateurs, il reste un long chemin à parcourir en matière de prévention et d’éducation financières. De quoi pousser les employeurs à jouer, contre leur gré, les assistantes sociales et les banquiers…

1,54 %

C’est l’augmentation du nombre de dossiers de surendettement déposés à la Banque de France entre avril 2011 et mars 2012, soit 228 383 dossiers.

Source : Banque de France.

27 %

des entreprises intègrent les conditions de logement de leurs salariés dans leur gestion des ressources humaines.

Source : Crédoc, avril 2012.

Le secteur de l’insertion au secours de ses propres salariés

Comment venir en aide à un public en difficulté quand on est soi-même confronté à la précarité ? Les salariés du Secours catholique peuvent s’épancher librement auprès de la conseillère sociale, Régine Fraval. « Les salariés travaillent dans des délégations avec des assistantes du secteur. Ils ne veulent donc pas que leurs problèmes financiers soient connus », explique-t-elle. Grâce au Fonds de solidarité pour le logement et à un contrat avec le groupe de prévoyance Mornay, elle apporte des aides sociales.

Le Groupe SOS tente aussi d’appliquer entre ses murs les valeurs véhiculées à l’extérieur. « À leur arrivée, une partie de nos salariés est en rupture avec le monde du travail. On les accompagne sans s’immiscer dans leur vie personnelle, et en dehors des liens hiérarchiques, via des assistantes sociales », témoigne Nicolas Froissard, le vice-président. Un soutien financier de 1 000 euros est attribué chaque année aux bas salaires. Le but des entreprises d’insertion étant de favoriser le retour à l’emploi des personnes à l’issue de leur contrat, il faut éviter les décrochages. La Table de Cana, quant à elle, a créé un fonds d’urgence et des partenariats avec des foyers afin de garantir l’accès au logement. L’entreprise avance le paiement du loyer lors de l’installation et en cas de risque d’expulsion. « Un jour, je suis entré chez un collègue, son logement était vide, raconte Philippe Rubbio, chargé d’insertion. Grâce au fonds d’urgence, on a pu l’équiper. »

Auteur

  • Adeline Farge