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Vie des entreprises

Le réveil des syndicats marocains

Vie des entreprises | Reportage | publié le : 03.09.2012 | Isabelle Arbona

Axés sur les conditions de travail et les libertés, les conflits sociaux se multiplient au Maroc. Les syndicats, ragaillardis par le printemps arabe, cherchent à se faire entendre.

Janvier 2012, Kenitra : 600 employés de Delta Holding manifestent tous les jours depuis une semaine devant la préfecture. La situation est inédite. Ils ne protestent pas contre un licenciement abusif ou pour une augmentation de salaire. Mais simplement pour pouvoir travailler !

Depuis un mois, le groupe Delta Holding, qui a des activités dans les métiers de la métallurgie, la parachimie, les services…, est paralysé par un mouvement de grève pour une affaire de discrimination syndicale. Sont concernées trois de ses filiales – AIC, AIC Métallurgie et Galvacier. À l’origine de ce conflit, la constitution d’un bureau syndical de la Confédération démocratique des travailleurs (CDT), l’une des cinq principales centrales marocaines, qui, selon cette dernière, aurait provoqué une vingtaine de licenciements abusifs. Faux, rétorque la direction qui rappelle que les licenciements dénoncés concernent des ouvriers recrutés en contrat à durée déterminée.

Six mois plus tard, la situation reste explosive. « Les dirigeants et le personnel sont constamment menacés et empêchés de rejoindre leurs postes de travail. Plusieurs d’entre eux ont fait l’objet de séquestrations, d’agressions, et leur sécurité est loin d’être assurée », indique la direction.

À l’image de la situation chez Delta Holding, mais aussi chez le fabricant d’électroménager Fagor, qui a essuyé plus d’un mois de grève au printemps, voire au port de Tanger, bloqué à plusieurs reprises, les conflits se multiplient dans un pays qui compte moins de 10 % de syndiqués. Rien qu’en 2011, 356 mouvements de grève ont été recensés par le ministère de l’Emploi. Au total, près de 200 000 journées de travail ont été perdues, paralysant la fonction publique ainsi que des entreprises du secteur privé. Un record depuis plus d’une décennie.

Il faut en effet remonter à 2001, année où le ministère de l’Emploi dénombrait 309 grèves. « Le “printemps arabe” de 2011 a provoqué une vague de protestations au sein des entreprises », confirme Jamal Belahrach, président de la commission emploi et relations sociales à la CGEM, l’organisation patronale marocaine. En ligne de mire des organisations syndicales, l’amélioration des conditions de travail des salariés mais également une action revendicative liée à la liberté syndicale. « Les entreprises marocaines, dont une grande majorité sont des PME et des TPE au fonctionnement hyperpaternaliste, cultivent une grande méfiance à l’égard des syndicats. La constitution d’un bureau syndical leur paraît insupportable au point, pour certaines, de préférer cesser leur activité », affirme Ahmed Laksiwar, spécialiste du droit du travail.

Le bureau syndical, bête noire des patrons. Depuis la promulgation, en 2004, du nouveau Code du travail, la situation a pourtant évolué. Avant, les syndicats étaient libres, selon un texte garantissant les libertés publiques, de constituer une section dans une entreprise. Mais, en l’absence de cadre juridique suffisamment précis, l’entreprise n’avait aucune obligation de reconnaître la présence d’un bureau syndical. À partir de 2004, de nouveaux critères de représentativité des syndicats ont été définis, tant au niveau national qu’en entreprise.

Le nouveau Code du travail oblige surtout les entreprises, dès lors qu’un bureau syndical s’est constitué, à négocier au moins une fois par an avec les partenaires sociaux. « Voilà pour la théorie. Dans les faits, de nombreuses entreprises, une fois informées d’une implantation syndicale, n’hésitent pas à employer les grands moyens pour la faire disparaître, quitte à procéder à des licenciements abusifs de représentants syndicaux », affirme Ameur. Cet ancien conseiller multimédia de Total Call, une filiale de Free, sait de quoi il parle. Membre de l’Union marocaine du travail, il a été licencié avec 22 autres personnes, en mars dernier, pour inaptitude professionnelle…

La réticence des chefs d’entreprise à l’égard des syndicats est d’autant plus vive que, depuis le “printemps arabe”, les pouvoirs publics semblent faire preuve d’une grande mansuétude à l’égard des contestataires. « Ils marchent sur des œufs, préférant fermer les yeux sur certaines situations plutôt que de provoquer une radicalisation de la protestation », indique sous couvert d’anonymat un consultant en ressources humaines.

Il faut dire que le droit de grève, pourtant inscrit dans la première Constitution de 1962, ne fait l’objet d’aucune réglementation. Une loi organique devait en préciser les modalités d’exercice, mais elle n’a jamais vu le jour. « À l’exception de l’Union générale des travailleurs du Maroc, les syndicats représentatifs du pays s’y sont toujours opposés, voyant là une remise en cause du droit de grève », poursuit Ahmed Laksiwar. De quoi effrayer les patrons « Le Maroc a besoin de la croissance de ses entreprises. La paix sociale doit y contribuer. Pour cela, il faut instaurer un climat de confiance », insiste Jamal Belahrach, à la CGEM.

Depuis 2009, le patronat marocain prône le dialogue social direct avec les syndicats. Cette démarche a commencé à se concrétiser avec la signature cette année d’une série d’accords-cadres sur la médiation sociale avec les cinq syndicats représentatifs, dont le dernier date du 20 mars 2012 avec l’Union des travailleurs marocains. « C’est une étape déterminante qui va enfin offrir un cadre de discussion à des questions aussi fondamentales que l’emploi, la retraite, la flexibilité, le droit de grève », se félicitent les partenaires sociaux.

L’enjeu est de taille. La fermeture, en 2001, du fabricant de pneumatiques General Tire Maroc est encore dans les mémoires. Déstabilisée par une grève de plusieurs semaines, la filiale marocaine du groupe allemand Continental avait dû mettre la clé sous la porte. Plus de 700 ouvriers s’étaient retrouvés sur le carreau. « Les investisseurs ont besoin d’être rassurés », reconnaît Jamal Belahrach. Et le temps presse. Dans un communiqué du mois de juin, le groupe Delta Holding évoquait, quant à lui, la possibilité de cesser ses activités sur les sites paralysés par la grève ou d’en délocaliser une partie…

Larbi Habchi Membre du bureau central de la Fédération démocratique du travail
“L’absence de liberté syndicale est le motif principal des conflits sociaux”

Les conflits sociaux se multiplient au Maroc. Est-ce une répercussion du « printemps arabe »?

Le printemps arabe a pu provoquer une vague de protestations au sein des entreprises. Cependant, depuis ces dernières années, la généralisation de l’accès aux nouvelles technologies, le ralliement de nouvelles élites au syndicalisme, notamment dans la fonction publique, et le développement du processus démocratique national ont contribué au réveil des consciences dans le monde du travail.

Les syndicats gagnent-ils du terrain au sein des entreprises ?

Difficilement. L’absence de liberté syndicale entraîne de nombreux conflits sociaux. Par ailleurs, la structure même des entreprises, une majorité de PME, voire de TPE, au fonctionnement hyperpaternaliste, ne favorise pas la constitution de bureaux syndicaux. Mais il est vrai qu’avec 33 syndicats le paysage reste anarchique. Les règles de fonctionnement des organisations syndicales doivent être redéfinies. Ce ménage est nécessaire. Il en va de la légitimité des cinq centrales représentatives du pays.

Auteur

  • Isabelle Arbona