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Vie des entreprises

La recette minceur du P-DG de Servair

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 03.09.2012 | Rozenn Le Saint

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Nombre de repas préparés par an (en millions)

Crédit photo Rozenn Le Saint

Alors que sa maison mère Air France serre les boulons, le leader français de la restauration aérienne est en plein remue-ménage. Statuts, pénibilité, GPEC…, pour tous ces chantiers, le P-DG, Patrick Alexandre, a besoin d’un dialogue social apaisé.

Servair n’est pas une entreprise qui fait beaucoup de gras. « Nous réalisons un travail de “centimiers” », martèle Patrick Alexandre, P-DG du troisième acteur mondial de la restauration et des métiers logistiques du transport aérien. Pour autant, elle reste la seule filiale d’Air France à réaliser des bénéfices : 16,5 millions d’euros en 2011. Mais, comme la maison mère est dans la tourmente, l’ensemble du groupe est mis au régime sec. Et Patrick Alexandre, ancien de la compagnie aérienne, aux manettes depuis quatre ans, applique les consignes à la lettre. Selon le commandant de bord de l’entreprise, avec 10 250 salariés, « Servair est en sureffectif ». À observer les 1 500 salariés de l’unité Servair 1 s’activer sur les chaînes de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle qui remplissent des barquettes, ici de pâtes, là de sushis, là-bas d’endives au saumon, on n’en a pas le sentiment. À la fin de la journée, 35 000 plateaux sont acheminés vers les avions ! Mais l’usine aurait la capacité d’en produire 50 000…

La multiplicité des entités juridiques du groupe de catering, créées au fur et à mesure du développement ful gurant de l’aérien dans les années 1990 et 2000, complique la tâche des dirigeants qui souhaiteraient davantage de mobilité interne. Les salariés des nouvelles filiales, eux, regardent avec envie les acquis sociaux de Servair SA, l’entité historique du groupe. Les internautes, quant à eux, ont désigné cette année Servair comme l’entreprise la plus attractive dans la catégorie « commerce-hôtellerie-restauration » des Randstad Awards. Une note positive que ne partage pas nécessairement l’ensemble des représentants du personnel, soucieux de voir comment leur patron, qui œuvre à apaiser les relations sociales, mènera la délicate remise à plat des statuts des différentes entités.

1-Harmoniser les statuts

Le marathon des négociations annuelles obligatoires (NAO) n’est pas venu à bout de Jérôme Ceccaldi, le DRH de Servair. Il en a mené pas moins de 16 cette année… Une par entité. Même s’il a l’habitude de démultiplier chaque négociation, à force, cela use. « Nous avons le don de la complexité, admet le DRH. La création de ces différentes sociétés s’est faite pendant une phase de croissance extrêmement forte de l’aérien… Il fallait répondre rapidement à la demande de nos clients tout en assurant la paix sociale. » Pour Manuel Goncalves, délégué syndical central CGT de Servair SA, le choix de multiplier les filiales n’a rien d’anodin : « Le but était de limiter la présence syndicale, qui est moindre dans les nouvelles entités. » Même écho du côté de la CFDT, qui y voit l’application du diviser pour mieux régner. « Si un établissement se met en grève, un autre fait le travail, c’est très pratique pour la direction », estime Jean-Claude Chapon, délégué syndical central de Servair SA.

Par ailleurs, selon qu’ils travaillent pour Passerelle, Servair SA, Acna ou Servantage, les salariés du groupe relèvent d’une convention collective différente : la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien (CCNTA-PS), celle de la restauration publique, celle du nettoyage dans les aéroports parisiens ou celle du transport routier. Or les différences de traitement sont notables. Par exemple, les salaires majorés (par rapport aux minima des branches) sont moindres dans les filiales régies par la convention collective de la restauration publique, mis à part chez Servair SA, où des accords d’entreprise améliorent l’ordinaire. Les cadres qui gèrent les équipes des nouvelles filiales, eux, dépendent du statut de l’entité historique. Pas évident pour eux, alors qu’ils ne sont pas logés à la même enseigne, d’asseoir leur légitimité.

En 2009, la filiale BPC a obtenu de changer de convention collective pour la CCNTA-PS, avant d’emmener dans son sillon cinq autres entités du groupe et de donner le la à une uniformisation des statuts souhaitée par tous (voir in terview de Patrick Alexandre page 50). En revanche, les négociations s’annoncent rudes, car les salariés de Servair SA ne comptent rien lâcher. Pour eux, pas question de tirer les avantages sociaux vers le bas sous prétexte d’harmonisation. Ils ne comptent pas céder sur le quatorzième mois, privilège rare dans le secteur, dont bénéficient les 2 500 salariés de Servair SA. Cela ne sera pas le premier bras de fer entre direction et syndicats que Servair ait connu.

2-Améliorer le climat social

« L’ambiance est très virile », juge Patrick Alexandre, qui regrette le traitement « machiste » infligé à une femme agent de maîtrise chargée de coordonner le ballet des camions et de leurs conducteurs. Reste que la poigne a aussi été très ferme côté direction, par le passé. À tel point qu’en 2005 elle a envoyé des gros bras déloger les délégués syndicaux de leurs locaux à Servair 1, installés au cœur de l’usine de Roissy. La direction a voulu déménager leur QG dans des préfabriqués sur le parking, où les allers-retours des salariés sont tracés par la vidéosurveillance. Le motif invoqué par la direction ? Elle avait besoin d’espace dans le bâtiment principal. Face au refus d’obtempérer des syndicats, elle les a expulsés manu militari.

Dernier épisode en date de ce feuilleton judiciaire, elle a été condamnée en 2010 pour « entrave répétée à la liberté syndicale ». Les locaux de la CGT (près de 30 % de représentativité chez Servair SA), de FO (18 %), de l’Unsa (10 %), de la CFDT (14 %) et de la CGC (10 %) se sont réinstallés dans l’usine.

Fin 2007, une autre altercation entre le délégué syndical CGT Manuel Goncalves et le DRH de l’époque s’est terminée au tribunal. Le premier sera finalement condamné à 1 200 euros d’amende pour agression physique. Par quatre fois, l’entreprise a essayé de le licencier, sans succès.

Ces affrontements sont aussi des histoires de gros sous. « De 2006 à 2007, la direction a réussi à faire partir 20 dé légués syndicaux CGT en échange de contreparties financières », témoigne Manuel Goncalves. Même si l’enveloppe diminue d’année en année, en 2012, l’entreprise dispose toujours d’une cagnotte de 8,3 millions d’euros de provisions pour les litiges sociaux… Une spécialité maison, au dire des syn dicats. « Le problème avec les procédures judiciaires, c’est que nous ne sommes pas à égalité d’armes. C’est un peu David contre Goliath », déplore Jean-Claude Chapon, DSC CFDT, également conseiller prud’homal.

Le changement de têtes au sein de l’exécutif, avec l’arrivée en 2008 de Patrick Alexandre et celle de Jérôme Ceccaldi en 2011, symbolise en tout cas la volonté de Servair de tourner la page. Selon le nouveau DRH venu tout droit de Suez Environnement, « ce n’est pas un hasard si une personne extérieure au groupe a été choisie ». Mais, vestige du climat délétère appartenant au passé, il reste difficile de se mettre autour d’une table chez Servair pour aboutir à des compromis. Un exemple : la dernière négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle s’est soldée par un plan unilatéral de la direction. « [Celle-ci] n’avait aucune volonté d’aboutir à un accord étoffé. Elle ne nous a même pas fourni les infos sur les écarts de salaire ! » dénonce Jean-Claude Chapon.

3-S’intéresser aux seniors et à la pénibilité

La pénibilité n’a fait l’objet ni d’un accord ni même d’un plan d’action, malgré l’obligation entrée en vigueur le 1er anvier 2012. Selon le DRH, elle sera intégrée à l’accord de GPEC, dont les négociations débutent cet automne. Le nouvel accord seniors aussi. Avec une moyenne d’âge de 49 ans à Servair 1, la seconde partie de carrière est un enjeu primordial pour l’avenir de l’entreprise. « Quand on entre chez Servair, on y reste. Les salariés sont conscients de la chance qu’ils ont de bénéficier d’un tel statut. Résultat, le turnover n’est que de 1 % », explique Jérôme Ceccaldi, le DRH. Même si, en réalité, le taux de rotation du personnel est trompeur, puisqu’il ne prend pas en compte les 10 % de la main-d’œuvre de Servair soumis à un contrat précaire, intérim ou CDD.

Nombreux sont les employés qui sont arrivés à la création de l’entreprise, dans les an nées 70, et qui approchent aujourd’hui de l’âge de la retraite. Mais, pour Jean-François Pilat, délégué syndical CFE-CGC pour le site de Servair 1, « nous n’entendons pas encore assez parler de tutorat et de transmission des compétences entre les nouveaux et les seniors ».

« Les métiers sont assez pénibles : ceux qui sont à la plonge ou à la cuisson souffrent de la chaleur, d’autres du froid, et la plupart doivent porter des charges lourdes », témoigne Jean-Claude Chapon, de la CFDT. Trois ergonomes travaillent à l’amé lioration des conditions de travail des sa lariés. Car, de 2000 à 2011, le nombre de maladies professionnelles a été multiplié par cinq.

Même si le chantier pénibilité, lancé en début d’année, en est encore à la phase de l’évaluation, la décision de développer les unités de production individuelles (UPI) en remplacement du travail à la chaîne a déjà été prise. En 2011, Servair a investi 650 000 euros pour créer six UPI sur le site de production de Servair 1. Plutôt que de disposer le beurre et le pain sur des milliers de barquettes par jour, les ouvriers qui travaillent sur ces postes remplissent le plateau de A à Z. « Cela donne du sens à leur travail, ils voient le produit fini », remarque Andréas Bergmann, responsable de la production de l’usine de l’aéroport Charles-de-Gaulle. « C’est pénible de suivre une cadence de travail à la chaîne. Sur une UPI, le corps fait des mouvements plus globaux, cela limite les troubles musculo-squelettiques », justifie Claude Déorestis, directeur général adjoint industriel.

4-Diversifier l’offre de formation

Depuis 2002, l’entreprise mandate un cabinet privé pour enquêter sur les accidents du travail en cas de suspicion de tricherie ou vérifier que les salariés en arrêt maladie sont bien souffrants, à leur domicile. Des contrôles qui coûtent environ 7 000 euros par an à l’entreprise. Les syndicats CGT et CFDT, eux, préféreraient que cette somme soit allouée à la formation et à l’amélioration des conditions de travail. Pour sa défense, Servair évoque une baisse de l’absentéisme de 10 % à 6,5 % depuis l’instauration de ces contrôles.

Les mêmes représentants du personnel, qui ont refusé de signer l’accord seniors de 2009, déplorent aussi l’absence de formation des plus âgés pour qu’ils puissent occuper des postes moins pénibles. Il faut dire que la moitié du budget formation, qui atteint 3,1 % de la masse salariale (3,2 millions d’euros), est engagé dans des cursus de type hygiène et sécurité propres au transport aérien. « Nous essayons de réduire la part du réglementaire. Dans le plan de formation 2012, il est prévu qu’elle passe à 47,5 % », indique Maël Decroix, responsable formation de Servair.

Autre contrainte, le manque de formation initiale de la population embauchée. « Dans le bassin d’emploi de Seine-Saint-Denis, le personnel entre souvent sans diplôme et, parfois, sans une bonne connaissance de la langue française », note encore Maël Decroix. La formation « 1 001 lettres », qui sur quinze jours vise à accroître la maîtrise de la langue et à fournir des connaissances minimales sur l’économie de l’entreprise (prix des plateaux, etc.), est dispensée à 120 nouveaux par an. Dans l’usine, un code couleur est utilisé pour les dates de péremption des produits afin de faciliter la compréhension des salariés qui ne maîtrisent pas le français. Dans la fourmilière de Servair 1, 52 nationalités travaillent ensemble, préparant ici des recettes de Joël Robuchon ou de Guy Mar tin pour la première classe, là les plateaux « économiques », et là-bas ceux destinés aux compagnies asiati ques. Un tour des cuisines aux allures de tour du monde.

Repères

Avec un chiffre d’affaires 2011 de 797 millions d’euros et une implantation dans 19 pays, Servair occupe la troisième place dans le marché mondial du catering (restauration et métiers de logistique du transport aérien). La fourniture de plateaux-repas reste le cœur de son activité, mais l’entreprise a aussi développé ses compétences dans le nettoyage des avions, l’accompagnement des personnes handicapées et la distribution de produits duty free et de presse à bord.

1971

Naissance de Servair.

1990

Création d’Acna, filiale chargée du nettoyage des avions.

1990

L’entreprise compte 130 compagnies aériennes clientes.

2011

Servair est le leader du catering en Afrique avec 16 unités (Togo, Mali, Sénégal, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Nigeria, Kenya, Congo, Ghana, etc.).

Nombre de repas préparés par an (en millions)
ENTRETIEN AVEC PATRICK ALEXANDRE, P-DG DE SERVAIR
“Baisser toujours plus nos tarifs signifie diminuer les salaires, ce n’est pas possible !”

Servair est la seule filiale d’Air France à réaliser des bé néfices. Pourquoi les dernières NAO n’ont-elles pas abouti à une augmentation des salaires ?

Nous avons su diversifier notre activité. En plus du catering, qui reste notre cœur de métier, nous avons développé l’activité de nettoyage des avions, la distribution de la presse à bord, les magasins duty free, l’assistance aux personnes à mobilité réduite… Nous réfléchissons même à nous positionner sur la piste de la distribution de repas à domicile pour les personnes âgées. Néanmoins, nous ne réalisons pas de bénéfices en France, seulement à l’étranger ! Air France représente toujours 55 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, et en région parisienne notre activité est conditionnée à plus de 70 % par la maison mère. Par logique d’appartenance à un groupe, nous sommes tenus de faire attention. Nous n’avons pas seulement demandé aux salariés de participer aux efforts. La rémunération des cadres dirigeants a été inférieure en 2012 à celle de 2011 et aucune augmentation individuelle ne leur a été attribuée.

Compte tenu de la situation d’Air France, l’ouverture du capital de Servair est-elle une option envisageable ?

Ce n’est ni à l’ordre du jour ni dans les préoccupations premières d’Air France. Cependant, un actionnaire accompagne son entreprise. Air France n’est peut-être pas en bonne position pour le faire… Il faut être attentif aux opportunités des sociétés qui pourraient s’intéresser à nous. Air France ne s’interdit pas de réfléchir à des partenariats industriels qui créeraient notamment des débouchés supplémentaires pour nos centres de production. Car, pour l’heure, nous sommes en surcapacité.

Avec une moyenne d’âge de 49 ans sur le site le plus important de Servair, comment se pose la problématique de la fin de carrière ?

De nombreux employés ont été embauchés à 18 ans et ont plus de trente ans de maison, ils sont usés car ils exercent un métier où on se casse, on se plie, où il fait froid… Nous maintenons les investis sements de facilitation du travail, comme les chariots élévateurs, qui évitent de se baisser, ou encore les unités de production individuelles.

Servair est composé de 16 entités juridiques. L’uniformisation des statuts est-elle à l’ordre du jour ?

Oui. Nous souhaitons tendre vers une harmonisation de nos statuts collectifs dans l’optique de faciliter et de fluidifier notre politique de mobilité interne. Aujourd’hui, pour mettre en place la mobilité des agents de maîtrise et des employés, nous devons monter de vraies usines à gaz. Il faudra dialoguer avec les partenaires sociaux pour harmoniser ces différents statuts… Jamais nous ne remettrons en cause des acquis aussi importants que la prise en compte de l’ancienneté des salariés de Servair SA, l’entité historique du groupe. En revanche, il y a des choses obsolètes à moderniser, à l’image de ce que réalise en ce moment Air France sur le temps de vacation, par exemple.

Le coût du travail est-il trop élevé ?

Dans notre activité de restauration, le personnel représente plus de 55 % du coût total, et même 80 % dans le nettoyage. Certains clients nous demandent de baisser toujours plus nos tarifs, mais cela signifierait diminuer les salaires, ce n’est pas possible ! Nous attendons un peu plus de considération de la part des clients sur cet aspect des choses ! L’augmentation du smic s’est traduite par un alourdissement de nos charges. Je suis républicain, j’en accepte la réalité et j’essaie par ailleurs de trouver des moyens de réduire nos frais fixes, comme le coût des bâ ti ments.

Avant votre arrivée à la tête de Servair, l’état du dialogue social était au plus mal. S’est-il amélioré depuis ?

Les rapports de force ont été extrêmement durs. L’encadrement a dû faire face à des pressions terribles pour poursuivre l’activité. Le conflit lié à l’expulsion des délégués syndicaux de leurs locaux en 2005 sous prétexte qu’ils ne souhaitaient pas déménager dans des préfabriqués sur le parking a été le combat le plus stupide qu’on puisse imaginer. Une des premières actions que j’ai lancée a été d’arrêter cela tout de suite. Mais, parfois, cela n’avance pas aussi vite qu’on le souhaiterait.

Propos recueil lis par Rozenn Le Saint et Sandrine Foulon

PATRICK ALEXANDRE

57 ans.

1982

Entre chez Air France au service de synthèse économique de la direction des programmes.

1984

Directeur commercial de la compagnie pour l’Italie.

1988

Chef de cabinet du P-DG d’Air France, Jacques Friedmann.

1998

Directeur général commercial international.

2008

P-DG de Servair.

Auteur

  • Rozenn Le Saint