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Vie des entreprises

La progression discrète du management à distance

Vie des entreprises | Décryptage | publié le : 03.09.2012 | Éric Béal

L’essor du télétravail accroît le nombre de salariés supervisés à distance. Sûrement mais doucement. Car ces pratiques bousculent les modes de management traditionnels.

Bonjour Nadia, c’est la forme ? » Comme tous les matins, Na thalie Cham palle, responsable d’une équipe après-vente chez France Télécom, accueille ses collaborateurs à leur arrivée. Certains se présentent dans les locaux de Lyon et répondent d’un sourire ou d’un geste de la main, mais d’autres prennent leur poste à Ambérieux, Vienne ou Villefranche-sur-Saône. Ceux-là envoient un mail pour signaler leur arrivée. En outre, sur les dix-huit personnes de l’équipe, trois sont en télétravail à domicile, trois jours par semaine. Autant dire que le management de Nathalie Champalle est plus souvent « virtuel » que « visuel ». À chacun des salariés, elle envoie, vers 8 heures, un planning personnel de travail pour la journée. « Mais je ne me contente pas de ces directives impersonnelles. Je tiens à partager les petites nouvelles et les infos avec tout le monde, au moyen d’un coup de fil ou d’un message électronique. Un manager à distance doit maintenir le lien avec tous ses collaborateurs pour éviter une certaine désocialisation des absents. »

L’exemple de Nathalie est loin d’être isolé. « Entre 2009 et 2012, la part des télétravailleurs est passée de 8,9 % à 12,4 % de la population active française. Et la majorité des grandes entreprises ont signé ou sont en train de négocier un accord de télétravail », note Cécilia Durieu, directrice associée de Greenworking, un cabinet de conseil en télétravail. Pour autant, les directions générales ne sont pas subitement tombées sous le charme du travail à distance. Yves Lasfargue, animateur de l’Ob servatoire du télétravail, des conditions de travail et de l’ergostressie (Obergo), ne dénombre qu’une cinquantaine d’accords de télétravail en France. Alors que l’on compte environ 1 500 entreprises françaises de plus de 1 000 salariés. Des résultats modestes, alors que la loi Warsmann de mars 2012 a fait officiellement entrer le télétravail dans le Code du travail.

Demande sociale. Reste que, dans beaucoup d’entreprises, la demande sociale est forte. Outre son accord de télétravail, Crédit agricole SA a aménagé Satellis, un télécentre situé à Saint-Quentin-en-Yvelines. Les salariés de l’ouest de la région parisienne peuvent l’utiliser une fois par semaine. De son côté, SFR a lancé une expérience de télétravail en 2011 avec 150 salariés volontaires. Sans couac significatif. « Même les managers réticents au départ ont fini par être convaincus », indique Bruno Chartier, DS CFE-CGC. Depuis que l’entreprise a annoncé son déménagement de la Défense vers Saint-Denis en 2013, une partie des salariés s’inquiètent de l’allongement de leur temps de transport. La négociation en cours devrait se conclure ce mois-ci sur la mise en place de deux jours de télétravail par semaine pour les volontaires.

Manager à distance requiert plus de formalisation et de transparence entre manager et collaborateurs

Ailleurs, le télétravail s’est installé en catimini. Renault vient à peine d’entamer une négociation sur le sujet mais 2 200 personnes bénéficient déjà d’un avenant à leur contrat de travail et de nombreux collaborateurs ont un PC portable leur permettant de se connecter de chez eux.

Paradoxalement, la plupart des entreprises signataires d’un accord font preuve de prudence. Ratifié en décembre 2009, celui de Schneider Electric s’adresse aux 700 commerciaux. « Les 300 qui ont signé ont maintenant trois lieux de travail officiels, explique Éric Bonnet, responsable RH du service. Chez le client, à leur domicile et sur leur site de rattachement. Ils ne passent plus au bureau qu’une fois toutes les trois semaines environ. »

Le télétravail impose évidemment du management à distance, mais il n’en est pas le seul vecteur. « Le remote management, ou management à distance, est un sujet qui monte, car un nombre croissant d’entreprises adoptent une organisation matricielle ou une organisation en mode projet », estime Isabelle Lamothe, directrice générale adjointe d’Altedia Consultants. Dans ce type d’organisation, un salarié peut dépendre de plusieurs managers situés à des milliers de kilomètres de son bureau. Comme chez Alcatel-Lucent, où l’accord de télétravail n’a pas bouleversé les habitudes. « Notre organisation matricielle a engendré des relations distantes entre managers et collaborateurs depuis des années, souligne Hervé Lassalle, DS CFDT. Je travaille à Lagny et mon responsable direct est installé à Murray Hill, aux États-Unis. Nous nous voyons une ou deux fois par an. »

Or ce mode de management ne va pas de soi. « La relation à distance exacerbe les problèmes relationnels et complique la coordination. Sans une organisation spécifique, elle peut également engendrer une dissolution des liens sociaux et provoquer des risques psychosociaux », explique Bertrand Déroulède, chef de projet à la Cegos et auteur de Manager à distance en toute sérénité (ESF Éditeur, 2009). « En France, il s’agit d’un changement culturel, précise Nicolas Cayla, formateur à Demos. Le management à distance requiert une excellente pratique du management par objectif. » Autrement dit, plus de formalisation et de transparence entre le manager et ses collaborateurs que dans le cadre d’une relation directe. Une caractéristique bien comprise par les organisations syndicales.

Liens de proximité. « Il faut des règles claires concernant les obligations du collaborateur et le contenu de la relation managériale pour éviter que tout repose sur les épaules du manager de proximité », explique Laurent Mahieu, chargé de la question à la CFDT Cadres. Le syndicaliste pointe par exemple que certains accords limitent l’obligation pour le télétravailleur de relever sa boîte mail trois fois par jour. Une manière d’éviter que les managers de proximité exigent des reportings multiples pour pallier leur manque de contrôle. Cependant, il est important de créer des liens de proximité malgré la distance. « Il faut maintenir la relation par des contacts réguliers, formels et informels », souligne Maud Dégruel, consultante chez Entreprise & Personnel et coauteure d’une note de synthèse sur les conditions d’efficacité du management à distance (voir encadré p. 56).

De son côté, Bernard Déroulède note que « le manager doit être un courtier de relations qui gère les interactions des membres de son équipe et fait bénéficier chacun de retours d’expérience ». C’est ce que Jean-Christophe Menchon s’efforce de réaliser. L’équipe de ce directeur régional chez Schneider Electric est cons tituée de 15 vendeurs autonomes qu’il réunit toutes les six à sept semaines pour deux jours de formation dans une ambiance conviviale. « Ces événements cultivent l’appartenance et je constate que mes collaborateurs s’appellent souvent entre deux réunions. Je passe aussi beaucoup de temps au téléphone avec chacun d’entre eux. De manière à maintenir le lien », précise-t-il.

Autre bonne pratique, l’instauration de rituels. Toute l’équipe de Nathalie Champalle est présente les lundis et mardis sur le site de Lyon afin de rendre possible l’organisation d’une réunion. Céline Laurenceau, responsable du département organisation et gestion des talents chez Accenture, s’organise pour être toujours au bureau le vendredi après-midi, de manière à pouvoir rencontrer ses collaborateurs à la demande. Car l’informatique ne remplace pas la relation directe.

Ces principes de management à distance pourraient d’ailleurs être rappelés avec bonheur à tous les managers, selon Emmanuel Gaydon, formateur chez CSP Formation. En effet, généralisation du courrier électronique et pression sur les résultats aidant, nombre de managers ne prennent plus le temps de se déplacer pour échanger quelques mots avec un collaborateur installé derrière la cloison. « Lorsqu’un manager multiplie les mails à ses collaborateurs, il fait du management à distance sans le savoir. Mais généralement il ne respecte pas les règles de base de l’exercice », remarque le formateur. Une situation qui pourrait changer si l’extension des accords de télé travail modifie petit à petit le management de l’ensemble des cadres.

12,4 %

C’est le taux de télétravailleurs dans la population active française.

+ 22 %

C’est le gain moyen de productivité en télétravail.

96 %

C’est le taux de satisfaction à l’égard du télétravail.

Source : étude Greenworking sur la pratique du télétravail.

Maud Dégruel Directrice de projet chez Entreprise & Personnel, coauteure de Conditions d’efficacité du management à distance (note de synthèse E & P).
“Le télétravail rend visibles les pratiques informelles”

Le management à distance apparaît-il avec le télétravail ?

Non. Les commerciaux, les informaticiens, les contrôleurs et tous les salariés intervenant en clientèle sont managés à distance depuis longtemps.

Le télétravail demande de la confiance et du contrôle, dites-vous. Expliquez-nous ce paradoxe ?

Pour fonctionner, le travail à distance demande de la confiance, car les contrôles et les procédures phagocytent le temps du collaborateur. Mais le manager et le collaborateur ont intérêt à se mettre d’accord sur des points de contrôle. C’est dans l’intérêt du manager, pour qui cela va faciliter le pilotage des objectifs, comme du collaborateur, qui sera rassuré sur les modalités de son évaluation.

Le télétravail modifie-t-il les relations entre un manager et son équipe ?

Il agit souvent comme un révélateur, car il rend visibles les pratiques informelles entre un manager et son équipe : la façon dont l’information circule, les critères utilisés pour juger de l’activité. Le télétravail oblige le manager à repenser l’organisation collective de son équipe. Mais le travail en réseau et l’organisation matricielle ont la même influence : ils obligent le manager à adopter un modèle d’organisation communautaire pour assurer plus de fluidité dans les interactions et la communication entre collaborateurs. Il n’est plus possible pour le manager d’assurer sa prééminence sur le contrôle de l’information, comme dans le mode de management hiérarchique plus traditionnel.

Propos recueillis par E. B.

Auteur

  • Éric Béal