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“Le coût du travail imprègne la culture managériale”

Actu | Entretien | publié le : 03.09.2012 | Anne Fairise, Sandrine Foulon

L’ex-numéro deux de Renault pointe la responsabilité du coût du travail dans la dérive managériale vers le contrôle et dans la perte de compétitivité de l’industrie française.

Vous soulignez les méfaits du coût élevé du travail sur la culture managériale dans l’industrie. Sur quoi repose votre constat ?

J’ai été frappé, depuis longtemps, par la différence d’attitude des managers face au « travail »: au Japon comme en Allemagne, augmenter sa force de travail, c’est saisir, dès qu’elle est là, l’opportunité de se développer. Inversement, en France, vu la cherté du coût du travail et la faible flexibilité, c’est prendre un risque financier. Selon une étude de la Banque mondiale de novembre 2011, la France est, en Europe, le pays où les taxes reposant sur le travail sont les plus élevées, loin devant l’Allemagne, la Hollande et les pays scandinaves. Je suis persuadé que ce coût élevé des taxes sur le travail a fini par colorier la culture managériale : les hommes au travail sont devenus un risque plutôt qu’une chance pour le futur.

Quelles en sont les conséquences concrètes ?

C’est l’une des causes de la tendance française à trop automatiser et à surinvestir. Cela revient à dire j’ai plus confiance dans les machines que dans les hommes pour créer de la valeur. À marges contraintes, cela se corrèle malheureusement avec un moindre investissement des entreprises françaises dans la R & D ! De la même manière, je ne peux m’empêcher de faire un lien entre le coût élevé du travail et une certaine dérive managériale vers le contrôle. Chez Renault, nous avions calculé que les managers passaient, dans l’ingénierie, 40 % de leur temps à contrôler les coûts directs, les délais, la qualité de la conception…, soit huit à dix fois plus que leurs homologues de Nissan ! Et lorsque j’ai voulu supprimer les « reprévisions détaillées » que toute l’entreprise faisait tous les trois ou quatre mois sur les revenus et les coûts, je me suis rendu compte que les managers continuaient de les faire… clandestinement. Cette surenchère dans le contrôle est ancrée dans la culture managériale française et elle coûte cher.

Établissez-vous un lien entre cet atypisme managérial et l’émergence des risques psycho sociaux, autre mal tricolore ?

Les études sur le sujet restent à mener. Mais il est certain que le faible niveau de confiance entre le management et le personnel génère du stress, de part et d’autre, et des inefficacités criantes.

Vous faites partie des industriels regrettant, de longue date, l’absence de débat sur la perte de compétitivité industrielle. Que vous inspire l’abrogation de la TVA sociale ?

C’est une mauvaise nouvelle si rien d’autre n’est fait pour réduire les taxes pesant sur le travail et améliorer la compétitivité de l’industrie en France. Il y a de quoi, pourtant, sonner le tocsin. La part des exportations industrielles françaises dans la zone euro a baissé de 17 % en 1999 à 12 % en 2011, pendant que les marchandises allemandes s’exportent mieux. La part de la valeur ajoutée de l’industrie dans l’économie française est tombée de 22 % en 1998 à 16 % aujourd’hui, alors que ce chiffre se maintient au-dessus de 30 % en Allemagne. C’est en France que l’industrie a le plus reculé en Europe ces dix dernières années. Et ce n’est pas parce qu’on y a fait un partage profits/salaires différent. La capitalisation boursière des constructeurs automobiles en témoigne : fin 2011, Renault est en 15e position mondiale, et PSA en 27e position, derrière 11 constructeurs chinois et indiens ! Nous sommes devant un déclin grave, brutal, du système industriel français. Mais le débat sur la perte de la compétitivité est resté bien pauvre. J’espère que les conclusions de la mission dont Louis Gallois a été chargé seront entendues au sommet de l’État, que le gouvernement passera à l’action.

Vous omettez les états généraux de l’industrie de 2009…

Cela a été un grand moment d’introspection et le rapport final de 2009 fait un très bon constat. Mais le gouvernement de l’époque s’est contenté d’admonester de façon très populiste quelques industriels, dont Renault, de distribuer quelques bons points, dont à PSA, mais sans se pencher réellement sur les causes de cette perte de compétitivité, sans construire un consensus sur ces causes et sans agir pour y remédier. L’Allemagne, elle, a su le faire dès les années 90 et ainsi faire émerger une prise de conscience collective. Elle a, ensuite, pendant dix ans, accumulé les réformes lui permettant d’améliorer sa compétitivité, en particulier avec la baisse des taxes sur le travail et leur transfert sur l’impôt général et la TVA.

Nouveauté, l’opinion française a pris la mesure du déclin industriel…

Les Français commencent à comprendre qu’on ne peut pas laisser dépérir l’industrie. Le nouveau gouvernement a toute légitimité pour fédérer la société française sur la compétitivité et l’emploi. La grande conférence sociale de juillet n’est qu’un début. Il n’est pas trop tard pour provoquer un choc de compétitivité. Mais il y a urgence, et la solution la plus rapide passe par la baisse significative des taxes pesant sur le travail.

PATRICK PELATA

Conseiller du président de l’alliance

Renault-Nissan jusqu’à mi-août.

PARCOURS

Pur produit de la méritocratie, ce fils d’enseignants, X-Ponts, docteur en socioéconomie de l’Ehess, a débuté comme chercheur avant de rejoindre en 1984 l’ex-Régie comme chef d’atelier à Flins et d’y gravir tous les échelons. Jusqu’à devenir, en 1999, au Japon, directeur général adjoint de Nissan, puis directeur opérationnel de Renault lors de la crise de 2008. Le numéro deux de Renault, écarté de sa fonction en avril 2011 à la suite de la fausse affaire d’espionnage au sein du groupe, vient de quitter l’entreprise.

Auteur

  • Anne Fairise, Sandrine Foulon