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Vie des entreprises

Réformer le droit du licenciement économique

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 04.06.2012 | Jean-Emmanuel Ray

L’heure étant aux réformes, remettons à plat notre abracadabrantesque droit du licenciement économique, issu de cinq lois d’inspiration différente et d’une jurisprudence foisonnante. Certes, ses « procès-dures » assurent les frais fixes de nombre de cabinets d’experts (CE, CHSCT…) et des avocats des deux bords. Mais quelle est son effectivité réelle ?

Présenté comme très progressiste car très protecteur, notre droit du licenciement économique n’est-il pas contre-productif ? En termes de procédures en amont comme de contrôle judiciaire de la cause réelle et sérieuse, il est l’un des plus protecteurs du monde. Mais, s’agissant du PSE, il conjugue procédures abracadabrantesques avec fréquents appels au juge, dans une atmosphère délétère pour les entreprises et d’insécurité sociale côté salariés. Il a donc de solides effets pervers, conduisant au TSLE (tout sauf un licenciement économique) : CDD, travail temporaire, externalisation, L. 1224-1, voire délocalisation. En janvier 1996, il y avait eu 46 800 licenciements économiques et 37 900 licenciements pour motif personnel. En mars 2012, 11 600 licenciements économiques et 40 500 personnels. Pourquoi ce considérable changement de proportion ? La conjoncture est-elle devenue radieuse ? Les salariés plus fautifs ? Ou est-ce un effet prévisible de substitution face à ce chiffon rouge judiciaire et médiatique ?

DU RAPPORT DE FORCE INTERNE AUX RAPPORTS JUDICIAIRES

Quand les militants se font rares pour faire grève, l’extrême complexité d’un PSE permet de saisir le TGI qui bloquera toute la mécanique. Que chacun défende ses intérêts est naturel, et les beaux esprits protestant contre les « tactiques dilatoires » ont étymologiquement raison : les syndicats obtiennent ainsi des « délais » augmentant à la marge l’ancienneté (moins ou plus de deux ans n’est pas équivalent en matière d’indemnités) et donnant du temps pour mobiliser le personnel et les médias. Que feraient-ils, eux, si Pôle emploi les attendait ?

Mais le droit doit-il inciter à multiplier les appels aux juges, aux avocats, aux experts extérieurs ? Sans même évoquer l’articulation comité d’entreprise européen/comités d’établissement, hélas non réglée par l’ordonnance du 21 octobre 2011, quel spécialiste peut aujourd’hui décrire sans l’aide de 30 PowerPoint l’ensemble des procédures dans un groupe ? Et surtout faire comprendre à ses interlocuteurs, a fortiori étrangers, l’effet utile de chacune leurs phases ? C’est ainsi que commence le divorce entre le monde des juristes et le monde tout court : parfaitement à l’aise dans la procédure, les juges répondent aux avocats spécialisés, qui invitent souvent des experts.

Mais que gagnent, in fine, les salariés concernés à ce coûteux jeu de lois réservé aux seuls initiés ? L’idée : s’il n’appartient pas au juge de juger de la gestion d’une entreprise, a fortiori en amont (chambre sociale, 3 mai 2012, Viveo, voir Flash), il doit vérifier que l’employeur, fracture sociale et facture sociale obligent : 1° Procède à une information-consultation approfondie des représentants du personnel comme l’exige le droit communautaire. 2° Exécute son devoir permanent d’adaptation et donc de maintien de l’employabilité interne mais aussi externe. 3° Monte un véritable plan de « sauvegarde de l’emploi » au sens littéral, donc, avant tout, destiné à « éviter les licenciements ou [à] en limiter le nombre » (L. 1233-61).

OBLIGATION DE RECLASSEMENT URBI ET ORBI : EFFICACE OU DISSUASIF ?

Ce n’est pas la légitime obligation de reclassement qui est ici en cause, mais son étendue fixée par la jurisprudence : il est normal que l’entreprise doive d’abord chercher à reclasser en interne avant de pouvoir licencier. Mais, créée en 1995, l’obligation de reclassement à l’étranger s’étend à l’ensemble des pays où l’entreprise mais aussi le groupe sont implantés : étendue panoramique qui remplit d’allégresse les DRH belges ou américains concernés. Ayant pourtant créé le secteur géographique comme cadre de la mobilité acceptable par le salarié, la même chambre sociale oblige ici l’employeur à proposer à chaque collaborateur visé – qui, comme chaque Français, maîtrise parfaitement les langues étrangères et adore l’expatriation – tous les postes vacants, urbi et orbi… Y compris en CDD (!) à Luxembourg ou Berlin, mais aussi à Belo Horizonte, voire en Azerbaïdjan à 118 euros mensuels et soixante heures hebdomadaires. Y compris à des qualifications jugées humiliantes par les salariés concernés : « L’employeur doit proposer tous les emplois de catégorie inférieure en rapport avec leurs compétences et leurs aptitudes, sans présumer à l’avance un refus de la part des salariés concernés. » (Chambre sociale, 22 juin 2011.)

La loi du 18 mai 2010 a, certes, permis d’adresser un questionnaire de mobilité avec réponse de principe dans la semaine : « Lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. »

Quel magnifique « solublème » ! Jusqu’à quel degré de détails descendre ? Quelles sont ces fameuses « restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation » ? Cette obligation de proposition demeure-t-elle si les salaires proposés sont ridicules par rapport aux salaires français ? Car la même loi a aussi modifié L. 1233-4 : « Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi […] assorti d’une rémunération équivalente. » Et la chambre sociale se refuse toujours à l’appliquer au territoire français, alors que, pour le collaborateur, un transfert de Nice à Lille est plus problématique qu’un Lille-Bruxelles ou qu’un Lyon-Genève. Mais « l’employeur ne peut limiter ses recherches et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimée à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète » (chambre sociale, 29 février 2012). Sortir de cette logique sparadrap ? Cet ajout de quatre mots dans une loi « visant à garantir de justes conditions de rémunération » signifie que, un groupe international allant rarement chercher à l’étranger des coûts salariaux supérieurs, il ne devrait plus avoir à proposer des postes avec une rémunération sans aucun rapport avec les standards européens, à commencer par le smic français.

RECENTRER L’EXAMEN JUDICIAIRE AU NIVEAU OÙ LE PROBLÈME SE POSE

Dans son obsession égalitaire, la chambre sociale semble oublier qu’un problème économique limité à un établissement ne doit pas conduire à déstabiliser tous les autres.

• Ordre des licenciements. « Les critères déterminant l’ordre des licenciements doivent être mis en œuvre à l’égard de l’ensemble du personnel de l’entreprise. Dès lors, un accord d’établissement ne peut limiter l’application de ces critères aux seuls salariés de l’établissement concerné par les suppressions d’emplois. » (Chambre sociale, 12 juillet 2010.) Peu importe en l’espèce qu’un accord collectif, approuvé par le comité d’établissement, ait voulu éviter de déstabiliser les autres établissements en désignant des salariés à 567 kilomètres du problème.

• Plan de départs volontaires. Pédagogique arrêt du 12 juillet 2010 : une entreprise dont l’établissement de Genlis (Côte-d’Or) est en grande difficulté y présente un généreux plan de départs volontaires… dont souhaitent bénéficier des salariés d’autres établissements. Refus de l’employeur voulant résoudre le problème du site en cause ; contentieux donnant finalement raison aux candidats extérieurs : « Ayant constaté que les mesures incitant aux départs volontaires étaient réservées aux seuls salariés de l’établissement de Genlis, et qu’au cas où elles ne permettraient pas d’atteindre l’objectif de réduction d’effectifs il était prévu des licenciements économiques auxquels tous les salariés de l’entreprise appartenant aux catégories professionnelles concernées seraient exposés sans avoir pu bénéficier de l’alternative offerte par les aides au départ volontaire, ce dont il résultait une rupture dans l’égalité de traitement entre les salariés des divers établissements, la cour d’appel a statué à bon droit. » À supposer que l’élargissement à l’entreprise soit fondé, la raison très objective et tellement pertinente n’était-elle pas le problème d’effectifs de Genlis ? Les volontaires de Marseille ou de Toulouse n’étaient donc pas placés « dans une situation identique » au regard de « l’avantage » ( ) en cause.

• Cause réelle et sérieuse enfin : filiale d’un grand groupe de transports, une société de Montauban perd son unique client local et ferme donc le site, avec 101 licenciements à la clé : « Ayant relevé que le secteur d’activité du groupe auquel la société appartenait avait une excellente rentabilité avec une marge opérationnelle qui conservait un haut niveau, la cour d’appel a fait ressortir que la réorganisation invoquée par l’employeur dans la lettre de licenciement n’était pas justifiée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient. » (Chambre sociale, 28 février 2012.) Mais que devait faire alors l’employeur n’ayant pas eu suffisamment de postes au reclassement à proposer au sein du groupe ? Déposer le bilan (s’il n’est pas coemployeur), laissant parfois l’AGS payer ? Explication de ce si haut niveau d’exigence jurisprudentielle ? Peut-être judéo-chrétienne : l’entreprise doit payer sa faute (morale). Avec ses obligations impossibles, la chambre sociale semble répondre aux multiples dérives de notre société privée de sens où les moyens deviennent la fin. Face aux objectifs insensés, au client roi conduisant au salarié serf ? L’obligation de sécurité de résultat met une pression permanente sur l’employeur. Notre si exigeant droit du licenciement économique ? Il permet au salarié licencié – s’il va au contentieux – de majorer ses propres indemnités d’au minimum six mois bruts : réponse minimaliste à l’argent fou et aux stock-options à 16 millions d’euros. Est-ce le rôle du juge ? Mais à quelque chose malheur est bon : lois et jurisprudence favorisent l’embauche d’étudiants juristes, ou spécialisés en ressources humaines.

FLASH
Après l’arrêt Viveo, une réforme législative ?

Elle est très encadrée par le Conseil constitutionnel, en particulier par sa décision du 12 avril 2012 qui a joué en faveur de la cassation du 3 mai 2012 : « Il incombe au législateur d’assurer la mise en œuvre du droit pour chacun d’obtenir un emploi, tout en le conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; au nombre de celles-ci figure la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789. »

Et le 12 janvier 2002,le Conseil avait censuré une loi Guigou car « elle avait pour effet de ne permettre à l’entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause ; en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi du maintien de l’emploi ».

Alors « encadrer les licenciements boursiers », comme le prévoit le programme de notre nouveau président ? « La sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise » issue de la jurisprudence de 1995 suffit à l’affaire. « Saisir le TGI en cas de choix contraire à l’intérêt de l’entreprise » ? Dieu nous garde de l’équité des juges en amont, surtout en référé.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray