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Vie des entreprises

Flamanville, chantier sous haute surveillance

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 04.06.2012 | Anne Fairise

Des défauts de bétonnage à la sous-déclaration d’accidents du travail, la construction du réacteur EPR a défrayé la chronique. EDF tente de reprendre la main sur la sécurité et d’outiller la régulation sociale.

Nième visite de contrôle sur le chantier de construction du réacteur de troisième génération à Flamanville, dans la Manche ! Le 11 mai, les représentants du Comité mondial de dialogue sur la RSE du groupe EDF ont, à leur tour, revêtu casque blanc et dossard jaune de sécurité pour ausculter l’installation EPR surplombant la Manche. Comme l’ont fait avant eux, ces derniers mois, des parlementaires français, des eurodéputés, le comité éthique EDF…

La catastrophe nucléaire de Fukushima n’explique pas seule cette avalanche, depuis un an, d’observateurs soucieux de vérifier les conditions de sûreté et le bon déroulement des travaux sur le site de « Fla 3 », comme on l’appelle sur la côte ouest de la péninsule du Cotentin balayée par le vent. Les conditions de travail et d’emploi de ce chantier titanesque, parmi les plus importants d’Europe avec sa centaine d’entreprises intervenantes, ses 3 000 salariés, dont près d’un tiers d’étrangers, ses 30 nationalités, sont sous haute surveillance depuis que le premier trimestre 2011 a été marqué par les décès accidentels d’un intérimaire puis d’un chef de la sécurité d’un sous-traitant. « Cela a provoqué un véritable électrochoc », rappelle un salarié d’EDF. Sans compter l’ouverture, par le parquet de Cherbourg, d’une enquête pour sous-déclaration d’accidents du travail (un sur quatre en 2010), incriminant Bouygues Construction, responsable du génie civil sur le chantier, et d’une autre pour travail dissimulé.

Cette dernière affaire, qui implique encore le géant du BTP ainsi que la société d’intérim chypriote Atlanco ayant embauché, pour son compte, des ouvriers polonais sans les faire bénéficier de la protection sociale à laquelle ils ont droit, est devenue un symbole du contournement des règles européennes en matière de détachement des travailleurs. Une mauvaise pub dont le maître d’œuvre EDF se serait bien passé, la production du premier kilowatt ayant été différée, pour cause de malfaçons, de 2012 à… 2016, et la facture du chantier doublée, à 6 milliards d’euros. C’était déjà beaucoup pour la vitrine du nucléaire français à l’export.

Mobilisation générale

Mais, un an après les faits, la situation a « positivement » évolué, juge à Caen l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui a constaté les infractions. L’un de ses 22 inspecteurs se consacre à temps plein au respect du Code du travail à Fla 3, y conduisant, en moyenne, une visite inopinée chaque semaine. « Le plan d’actions qu’EDF a mis en place à notre demande apporte un réel bénéfice au chantier », commente Simon Huffeteau, chef de la division. Renforcement des formations, multiplication des contrôles, journées sur les travaux en hauteur organisées pour tous : Antoine Ménager, directeur du chantier depuis fin 2010, a décrété la mobilisation générale sur la sécurité et modifié le pilotage en créant un groupe des 10 principaux fournisseurs, chaque membre de ce fameux F 10 étant appelé à mener des actions auprès de ses troupes. Symptomatique, le taux de fréquence des accidents du travail a fléchi au premier trimestre 2012. Difficile, pour autant, de crier victoire : le chiffre reste supérieur de 80 % à celui du premier trimestre 2011. « La faute aux sous-déclarations pratiquées alors », lâche, dépité, un préventeur sécurité.

Selon EDF, 95 % des contrats sont sur deux niveaux de sous-traitance maximum

À l’heure où ferrailleurs et grutiers commencent à laisser la place aux électromécaniciens sur le site, la moindre tension est traquée. Il suffit que 10 salariés de Bouygues distribuent, à l’entrée, un tract contestant les conditions de fin de chantier pour que les réunions s’organisent, entre EDF, l’employeur, l’ASN… Même le coordinateur CGT du site, Jacques Tord, tait ses critiques. « Il règne un état d’esprit nouveau », reconnaît l’ex-conseiller confédéral chargé de l’emploi mandaté, dès 2007, par Montreuil auprès de l’union départementale de la Manche pour suivre le chantier. « EDF, qui avait tout délégué ou presque à Bouygues - recrutement, sécurité, hébergement -, a failli dans son rôle de maître d’ouvrage responsable. Mais il profite de la fin du gros œuvre pour reprendre la main. »

Reprendre la main ou éviter la mainmise d’un seul sur les instances transverses au chantier. Symbolique, la présidence du collège interentreprises de sécurité, de santé et des conditions de travail (CISSCT), jugée défaillante par les syndicats dans son contrôle de l’accidentologie, a changé. « Chacune de ses réunions regroupe 200 personnes. Les informations sont descendantes et peu discutées », affirme un syndicaliste. La gestion de l’infirmerie, qui a défrayé la chronique lorsque ont été découverts des feuillets volants où des salariés affirmaient « refuser de déclarer l’accident survenu », a été confiée à une association, après appel d’offres. Quant à l’Association interentreprises (AIE), chargée de l’hébergement, de la restauration et du transport des travailleurs de Fla 3, elle est aujourd’hui dirigée par Spie-Cegelec, avec un conseil d’administration élargi. Nouveauté, elle a sondé les salariés de l’électromécanique pour réajuster son offre de logements, 700 chambres en mobil-homes, studios meublés, HLM…

Concertation

« Enfin ! » s’exclame Patrick Luce, délégué FO de la centrale de Flamanville, qui déplore l’absence de concertation antérieure. Même si, depuis 2007, environ un salarié déplacé sur deux a été hébergé par l’AIE. « Il y a eu un défaut de coordination entre le pilote du génie civil, qui n’a pas donné assez d’orientations sur l’hébergement souhaité par ses salariés ou ceux de ses sous-traitants, et les collectivités qui ont investi et se retrouvent avec trop de logements vides. » Le taux de vacance : 18 % en 2011. Les travailleurs polonais se serraient à plus de deux dans les mobil-homes aux volets bleus du camping des Pieux…

Inflexion majeure, EDF a décidé de mieux associer au chantier les syndicats, qui avaient arraché de haute lutte, en 2008, la création d’un comité de suivi (CDS). Au menu des réunions mensuelles regroupant EDF et les syndicats représentatifs ? Les conditions de travail et l’extraprofessionnel, du logement aux loisirs des salariés, « grands déplacés » en tête. « Mais nous avons été tenus à l’écart du chantier », affirme Christian Le Blond, coordinateur CFDT chargé du suivi du chantier, qui pointe l’absence de moyens, d’informations, d’interlocuteurs…

Transparence

Depuis l’affaire Atlanco, la situation évolue. « EDF joue la carte de la transparence et de l’information », juge Pascal Hubert, délégué CFE-CGC de la centrale de Flamanville. Le maître d’ouvrage a révélé que « 95 % des contrats sont sur deux niveaux de sous-traitance maximum ». Il est allé jusqu’à convier les membres du comité de suivi à des réunions avec Bouygues et la société chypriote. Et, en novembre, il a ouvert une concertation baptisée « nouvelle dynamique sociale », qui devrait s’achever à l’été, pour que le comité de suivi prenne sa place dans la régulation des relations sociales de Fla 3. À la satisfaction de l’intersyndicale, qui veut en faire une structure de négociations sur les conditions de travail, d’emploi, de vie, voire une instance de médiation en cas de conflit. La CGT rêve d’un accord ayant valeur de charte qui servirait de référence lors des huit grands chantiers à venir (hors EDF) dans l’Hexagone.

Mais les discussions restent ardues pour définir la complémentarité entre le CDS et les instances existantes. Les syndicats demandent à participer aux réunions du CISSCT ? L’électricien refuse, et propose plutôt que son président soit leur invité permanent. « EDF a peur que les syndicats se servent du CISSCT comme d’une tribune », affirme un proche du dossier. Allocation de moyens syndicaux, financement des activités culturelles par la création d’une subvention abondée par toutes les entreprises : les pommes de discorde restent nombreuses.

Mais, mi-mai, un renforcement de l’accueil des salariés prestataires, étrangers notamment, semblait acquis. Un livret d’accueil rappelant leurs droits (sociaux) et leurs devoirs (sécurité), en plusieurs langues, leur sera proposé dès leur arrivée à Fla 3, où sera créé un « espace prestataires ». De quoi éviter d’autres séries noires ? L’ASN et l’Assurance maladie ont ouvert de nouvelles enquêtes pour travail dissimulé qui concerneraient des travailleurs roumains. « Des queues de comète de l’ère Bouygues », estime un salarié de Fla 3, où les rumeurs vont bon train. La dernière L’arrivée de Hongrois rémunérés 8,60 euros l’heure…

18 millions

C’est le nombre d’heures travaillées depuis le début du chantier, fin 2007.

Source : EDF.

La moitié des emplois aux « locaux »

Les travailleurs du Cotentin n’ont plus peur de la main-d’œuvre étrangère sur le chantier de Flamanville. EDF, qui a fait des recrutements locaux une priorité affichée, a tenu haut la main son pari : depuis le début des travaux, en 2007, la part des « locaux » au sens large (ne justifiant pas de frais de déplacement) oscille entre 41 et 57 % des effectifs de « Fla 3 ». Grâce à la mobilisation des acteurs de l’emploi de la Manche, impliqués dans le prérecrutement et la formation des demandeurs d’emploi sur les métiers en tension communiqués par les entreprises.

Grâce aux « clauses sociales » introduites par EDF dans les contrats de 20 grandes entreprises, dont Bouygues Construction. « Elles s’engageaient à réserver à des demandeurs d’emploi de longue durée, des bénéficiaires de minima sociaux, des jeunes sans diplôme ou expérience 1 à 5 % du volume d’heures travaillées et ont très largement respecté ces clauses », note Dorothée Ménétrier, de la maison de l’emploi et de la formation du Cotentin. Fin 2011, 3,7 % du volume total d’heures travaillées à Fla 3 relevaient des clauses. Reste à éviter que la fin de chantier ne se solde par une dépression économique. Ce n’est pas le moindre des défis des acteurs locaux, qui ont déjà identifié 550 salariés qui arriveront en fin de contrat d’ici à 2013. D’autant que le taux de chômage du bassin de Cherbourg (9,2 %) ne s’est guère infléchi, malgré la construction de l’EPR.

Auteur

  • Anne Fairise