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Politique sociale

Les prestataires de Pôle emploi à la peine

Politique sociale | publié le : 04.06.2012 | Éric Béal

Engagements non tenus, gestion lourde, politique d’achat au rabais, les opérateurs privés qui suppléent Pôle emploi s’estiment maltraités.

Trois ans après les débuts d’un recours massif au privé pour certaines de ses missions, Pôle emploi persiste et signe. En septembre 2011, il a choisi des cabinets privés pour assurer les prestations « objectif emploi » et « trajectoire vers l’emploi » auprès d’une partie des demandeurs d’emploi inscrits dans ses fichiers. Un nouvel appel d’offres concernant l’accompagnement de licenciés économiques bénéficiaires du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) est en cours. Les vainqueurs, désignés d’ici à quelques jours, devront être en mesure d’accueillir leurs premiers chômeurs le 1er juillet. Une fois de plus, la bataille aura été rude entre opérateurs privés de placement (OPP) pour l’attribution des « lots », autrement dit l’accompagnement des chômeurs dans une zone géographique déterminée.

Pour autant, le contexte a un peu évolué. Forts de l’enseignement des trois années écoulées, les opérateurs se sont regroupés. Anveol s’est associé avec Altedia ou Sodie. Manpower Égalité des chances, avec Aksis ou l’Afpa. Eurydice Partners travaille avec Coallia. Les petits opérateurs locaux sont sollicités par les cabinets nationaux qui apprécient leur bonne connaissance du terrain ou recherchent une prestation particulière. La logique de ces regroupements est de limiter les risques, car il faut pouvoir résister aux méthodes du service public de l’emploi. « Le passage du système d’habilitation aux appels d’offre a changé la relation. La concurrence sur les prix s’est exacerbée entre OPP et la concertation avec les équipes de Pôle emploi a diminué », indique le DG d’un cabinet de conseil situé dans l’Aisne.

Pour sa part, Eurydice Partners a souffert de la gestion erratique des flux de demandeurs d’emploi. « En 2009, durant les trois premiers mois de contrat, nous avons été submergés, indique Martial Loyant, directeur comptable d’Eurydice. Nous avions ouvert 24 sites pour accueillir les personnes, mais nous avons dû recruter des consultants en catastrophe, car nous avions compté sur un flux plus modeste au départ. » Le recrutement complet de l’équipe et la sécurisation des relations informatiques avec Pôle emploi ont pris plusieurs mois. « Or, en février et mars 2010, le flux de personnes s’est fortement ralenti, poursuit Martial Loyant. Pour repartir d’avril à la mi-juin. Puis, plus rien durant l’été. Ce fut très difficile à gérer en termes d’organisation du travail de nos collaborateurs, mais cela s’est normalisé par la suite. »

« Volumes et budgets pas garantis ». La plupart des prestataires reprochent également à Pôle emploi de ne pas respecter ses engagements en matière de flux. Invitée il y a un an à s’exprimer devant la mission commune d’information du Sénat relative à Pôle emploi, Bénédicte Guesné, la directrice France d’Ingeus, expliquait : « Les volumes et les budgets annoncés par Pôle emploi ne sont pas garantis et ne sont pas souvent respectés. Cette situation ne permet pas de rentabiliser de manière sûre nos investissements. » Et de préciser que le cahier des charges du programme Atouts cadres exigeait d’Ingeus des locaux et des moyens logistiques pour accueillir 30 000 candidats au maximum. Or les flux moyens d’orientation adressés à l’époque correspondaient plutôt au minimum du marché, c’est-à-dire à 15 000. Constat identique pour Manpower Égalité des chances. « Notre contrat de 2009 prévoyait l’accueil de 71 000 demandeurs d’emploi sur trois ans, indique Patrick Oger, son directeur. Nous avions l’obligation de disposer de la capacité d’accueil nécessaire. Mais au final Pôle emploi ne nous en a envoyé que 42 000. »

Ce manque de précision n’empêche pas Pôle emploi d’exiger de ses prestataires une grande souplesse, comme le remarque Valérie Graylen, directrice du développement d’Anveol. « En décembre 2011, nous avons remporté des appels d’offres pour des prestations 2012-2014, destinées notamment aux demandeurs d’emploi de longue durée. Nous devions avoir ouvert tous nos locaux et recruté les consultants pour le 1er février », précise-t-elle. Magnanime, le service « pilotage des opérateurs » des directions régionales de Pôle emploi a attendu le 1er mars pour valider les installations.

Derniers reproches : une gestion administrative excessivement lourde et un cahier des charges tatillon qui empêchent de prendre des initiatives. Chaque étape de la prise en charge du demandeur d’emploi est prévue et des documents détaillés doivent être régulièrement envoyés à Pôle emploi, sous peine de pénalités financières. Une situation que résumait au Sénat Patrick Monbrun, à l’époque DG de VAR, filiale du groupe Randstad France : « Au cours des divers comités de pilotage auxquels j’ai participé, j’ai rarement entendu parler de placement. Les discussions étaient plutôt centrées sur la question de savoir si tel tampon administratif était correctement placé ou si telle signature était bien apposée. » Et Pierre Ferracci, le président du Groupe Alpha, d’ajouter : « Dans le cadre des réunions mensuelles avec Pôle emploi, les discussions sont centrées sur le respect du cahier des charges. Le reclassement ou les échanges de bonnes pratiques ne sont pas abordés. » Des critiques balayées par Christian Charpy, l’ancien directeur général de Pôle emploi, devant les sénateurs, en juin 2011 : « Je trouve singulier que des prestataires que l’on paie considèrent que ce qu’on leur a demandé ne correspond pas à ce qu’ils veulent. »

Même si la relation avec Pôle emploi évolue dans le bon sens pour une majorité d’OPP, cette logique d’achat entraîne l’opérateur public vers des choix qui tiennent d’abord compte des tarifs demandés par les prestataires. À ce petit jeu, ce sont les moins-disants qui ont remporté la mise par le passé. De quoi pousser quelques cabinets à laisser tomber. BPI n’a pas répondu aux derniers appels d’offres. De son côté, Altedia s’est retiré d’Atouts cadres, estimant que la concurrence exacerbée tirait par trop les prix vers le bas. À demi-voix, certains parlent de dumping et pointent du doigt les difficultés financières de cabinets comme Conseils Logiques Accompagnements Formations. Début 2012, ce cabinet toulousain s’est imposé sur une quarantaine de lots en Ile-de-France. Ce qui l’a conduit à investir dans des locaux et à recruter massivement. Or, depuis mars 2012, il est en redressement judiciaire. Arnaud Bertrand, son P-DG, fait d’ailleurs le lien dans une lettre à ses salariés avec les « investissements réalisés dans le cadre de notre récent développement ».

À la direction de la communication de Pôle emploi, on prétend pousser les OPP à former des groupements d’employeurs afin d’éviter de telles mésaventures. Mais il est toujours hors de question de modifier la relation contractuelle avec les cabinets privés et d’instaurer le « rapport de partenariat » que les OPP appellent de leurs vœux. Un refus surprenant quand on sait que la plupart d’entre eux demandent à être jugés, et rémunérés, en fonction de leurs résultats. C’est-à-dire du retour à un emploi réel, en CDI ou en CDD, des chômeurs qui leur sont confiés.

43 % des demandeurs d’emploi entrés dans le dispositif « cap vers l’entreprise » de Pôle emploi ont repris une activité après huit mois, contre 38 % de ceux entrés dans le dispositif « trajectoire emploi » des OPP. Mais le public qu’ils accompagnent a un niveau de formation et de qualification inférieur.

Source : enquête Dares-Pôle emploi, 2012.

Auteur

  • Éric Béal