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Enquête

Les champions, graines de consultants

Enquête | publié le : 04.06.2012 | Emmanuelle Souffi

Diagana, Grospiron, Forget… Après les podiums, ils sillonnent les entreprises. Un business dans lequel il n’est pas toujours facile de faire sa place.

Quand il s’avance sur la scène, c’est un peu comme s’il foulait la pelouse à l’assaut des All Blacks. La même pression, l’envie d’en découdre et d’emporter son adversaire. Sauf que là, il ne s’agit plus de rugby. Face à lui, des salariés en séminaire de motivation boivent ses paroles comme du petit-lait. « Quand j’étais dans les vestiaires, j’adorais ces dix minutes passées avec le coach juste avant le match, cette peur qui se transforme ensuite en force », se souvient-il. Abdellatif Benazzi, 78 sélections en équipe de France, un physique de colosse et un CV long comme le bras, porte aussi bien le costard que le short. Depuis l’arrêt de sa carrière, en 2003, cet ancien deuxième ligne, ex-responsable commercial chez Unilever, appartient au cénacle des sportifs reconvertis en consultants RH. Cinq fois par mois en moyenne, à Marcoussis, la résidence du XV de France, ou dans les entreprises, il dispense ses conseils, raconte son histoire, ses défaites et ses plus belles victoires à des salariés pas toujours dupes de ce messager envoyé par la direction. « Ça n’est pas un show, ni de l’exhibitionnisme, raconte ce quadra. Les gens veulent de l’authentique, des discours renouvelés. »

Spécialité, la conférence-confession. Un parler-vrai dont nos champions ont fait leur business. En haut du podium, l’ancien spécialiste du 400 mètres haies Stéphane Diagana et le skieur Edgar Grospiron sont les premiers à s’être lancés voilà plus de dix ans. « Au début, on n’étaient pas nombreux, se souvient le médaillé d’or de ski acrobatique. Aujourd’hui, il y a nettement plus de concurrence ! » Jean-Pierre Papin (football), Fabien Galthié (rugby), Guy Forget (tennis), Claude Onesta (handball), Ellen MacArthur (voile)… La plupart se spécialisent dans la conférence-confession. Certains proposent aussi du team building et des formations. À l’image de l’ancien handballeur Jackson Richardson, qui a signé un contrat d’exclusivité avec un cabinet RH, Kair’Homme, pour intervenir dans des grand-messes et animer des stages. « Jackson était intéressé par notre projet, qui consistait à faire le parallèle entre le sport et l’entreprise pour travailler spécifiquement sur la notion d’équipe », explique Julie Gardez, la fondatrice, psychologue du travail de formation. Comme l’ex-star du hand, la plupart des athlètes managers interviennent aux côtés de « professionnels de la profession ». « Chacun reste à sa place. Je ne me suis jamais pris pour un consultant, insiste Edgar Grospiron. Ce que les entreprises veulent, c’est le champion. »

Société générale, PepsiCo, Crédit agricole, Philips… Les multinationales raffolent de leurs exploits, destinés à donner un moral d’acier aux troupes. « Elles viennent les chercher pour apporter ce côté humain qu’elles n’ont plus. Ça n’est pas le fantasme d’un athlète que d’intervenir devant un conseil d’administration ! » nuance Christophe Inzirillo, ancien footballeur à Marseille et fondateur de Koroïbos, un cabinet de conseil en management qu’il a créé dans la foulée de la victoire des Bleus en 1998.

Ils n’en rêvent certes pas tous les matins en se rasant, mais ils y viennent le plus naturellement du monde, comme si compétition sportive et concurrence internationale impliquaient les mêmes ressorts. « Être le meilleur du monde, se confronter à l’élite mondiale, c’est forcément parlant pour une entreprise qui se rêve numéro un », confie Christian Sérieys, président de la Ligue des anciens rugbymen des grandes écoles (Large), qui utilise le ballon ovale comme outil de management. « Les entreprises et les sportifs ont un point commun : la culture de la performance », analyse Philippe Bobin, directeur du développement des ressources humaines de Rhodia et ancien athlète de niveau international.

Un avenir serein après le podium. Avant de déchausser, Edgar Grospiron a consulté quantité d’amis chefs d’entreprise pour définir sa « valeur ajoutée ». « J’ai été là le jour J, se souvient le premier champion olympique de ski de bosses, en 1992, à Albertville. Alors que la pression était maximale, je n’ai pas craqué. Pourquoi ? C’est ça que je transmets. Mon parcours me confère une crédibilité quand je parle motivation », explique celui qui, en 2010, a démissionné de la direction d’Annecy 2018. PME ou grands comptes, agroalimentaire ou pharmacie, le Jurassien intervient près d’une soixantaine de fois par an dans des séminaires ou des conventions d’entreprise. Il a une définition très personnelle de la performance : « Faire un minimum d’efforts pour avoir un maximum de résultats ! » Son bagou fait mouche à chaque fois.

« Son parcours est exemplaire, estime Benoît Eycken, directeur de l’agence Alizeum qui compte près de 500 sportifs dans son book d’intervenants. Il ne s’agit pas simplement de faire le clown, mais de s’adapter à son auditoire et d’être à l’écoute. » Pour créer et faire vivre Edge, son cabinet, le skieur suit des cours de coaching, de communication et même de théâtre d’improvisation. « Je me suis toujours formé pour gagner. C’est pareil pour être pertinent dans les RH », estime cet autodidacte.

Stéphane Diagana a décroché un diplôme de l’ESCP et Abdellatif Benazzi, celui de l’Essec. « Cela m’a permis de cadrer mon discours, d’être plus rigoureux », souligne l’ancien rugbyman. La plupart des grandes écoles ont ainsi créé des parcours d’intégration particuliers. Mieux armés, ces étudiants hors norme peuvent ensuite envisager l’avenir avec sérénité, une fois les podiums désertés. Car, pour un sportif, « l’après » s’apparente à « une petite mort ».

« La transition est très douloureuse, observe Olivier Abdellaoui, responsable du secteur conseil et accompagnement individuel au cabinet Trans-Faire qui aide les athlètes à se reconvertir. Ils étaient au firmament, dans une bulle, et d’un coup ils deviennent M. Tout le monde. » Raymond Domenech en sait quelque chose. Rares sont les entreprises qui font appel aux services de l’ex-coach des Bleus depuis son cuisant échec à la Coupe du monde 2010.

Ceux qui réussissent à se placer, en revanche, en vivent bien. Entre 5 000 et 12 000 euros par conférence – et plus de 300 000 euros pour une star comme Zidane. Mais comme tout travail, celui-ci nécessite un minimum d’investissement. « Il faut construire une offre, décrocher des références. Il y a des champions qui veulent rester des icônes. Mais la notoriété ne dure qu’un temps », pense Abdellatif Benazzi, qui refuse de faire la pub de sa petite entreprise, Benazzi Concept Management. Pas de site Internet ni de plaquette, juste le bouche-à-oreille. « La dimension commerciale est une compétence que l’on n’a pas forcément apprise dans le monde du sport », reconnaît l’ancien hockeyeur sur gazon Cyril Baqué, diplômé en psychologie et directeur de PAP Conseil, cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux. Entre ceux qui capitalisent juste sur le nom et donnent de grandes leçons de management sans avoir jamais mis les pieds dans une entreprise et les perfectionnistes qui préparent minutieusement leur intervention, le marché fait vite le tri. Et, dans l’entreprise comme dans le sport, on finit sur la touche. Ou pas.

5 000 à 12 000

C’est, en euros, le tarif d’une conférence avec un dieu du stade.

La cote des champions au bureau

LES IN

→ Claude Onesta : 55 ans, entraîneur de l’équipe de France de handball, championne du monde et olympique.

→ Fabien Galthié : 43 ans, ancien demi de mêlée du XV de France et actuel coach du Montpellier Hérault Rugby.

→ Stéphane Diagana : 42 ans, champion du monde du 400 mètres haies en 1997, recordman d’Europe.

LES OUT

→ Raymond Domenech : 60 ans, ancien joueur et sélectionneur de l’équipe de France de football.

→ Florence Arthaud : 54 ans, navigatrice, gagnante de la Route du Rhum en 1990.

→ Aimé Jacquet : 70 ans, ancien joueur et sélectionneur des Bleus, champions du monde en 2008.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi