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“Il faut des régulationsdu travail efficaces”

Actu | Entretien | publié le : 04.06.2012 | Anne Fairise

L’insuffisance des mobilités professionnelles et le droit du travail protecteur accentuent le stress au travail, selon cet économiste qui plaide pour une remise en chantier du Code du travail plaçant les mobilités au cœur du système.

Selon le rapport pour l’Institut Montaigne, l’insatisfaction au travail des salariés s’explique plus par leur absence de mobilité que par leurs conditions d’emploi ?

J’ai mené des travaux sur le stress au travail en 2006-2007 au Canada, qui m’ont permis d’identifier trois facteurs déterminant son importance : les conditions d’emploi, la pression du management et les mobilités professionnelles, car celles-ci peuvent permettre au salarié d’échapper à une situation de conflit latent ou même de harcèlement. Par la suite, en rédigeant avec Mathilde Lemoine un rapport pour le Conseil d’analyse économique sur les mobilités professionnelles en France, qui sont faibles, plus subies que choisies, j’ai été frappé par le très haut niveau de stress déclaré par les salariés français. Tous les indicateurs internationaux montrent un malaise particulier, notamment chez les travailleurs en CDI. Pour l’Institut Montaigne, j’ai essayé d’en éclairer les raisons. Tout le paradoxe est que les conditions de travail sont objectivement bonnes, ce qui est un succès de notre modèle social.

C’est-à-dire ?

Comparés aux autres Européens, les Français travaillent en moyenne moins d’heures, déclarent des cadences moins importantes qu’ailleurs et sont assez « protégés » du travail du week-end. Malgré cela, le mal-être des salariés est bien plus élevé qu’ailleurs. Logiquement, les raisons sont à trouver dans la pression du management ou l’insuffisance des mobilités.

Vous soulignez un autre particularisme français, l’importance du management par le chiffre, sans développer. N’est-ce pas une explication au niveau élevé de stress ?

On sent confusément qu’il joue un rôle important dans le malaise. Quand la performance est individualisée et l’accent mis sur le chiffre, cela peut affecter la qualité de la relation salarié/manager, conduire à des excès, générer du stress. Les recherches faisant le lien entre management et stress sont encore à développer et nous manquons de données scientifiques. Reste un fait : en comparaison internationale, la France est de loin le pays où la rémunération variable, à la performance, et le recours aux indicateurs chiffrés sont les plus développés.

Vous avancez une autre explication au stress : le niveau élevé de protection de l’emploi…

Cela peut sembler provocateur. Beaucoup de Français pensent qu’une protection de l’emploi élevée est bénéfique. Mais, d’un point de vue macroéconomique, cela entraîne une diminution simultanée des destructions et des créations d’emplois. Le marché du travail devient moins fluide et cela cristallise les tensions en entreprise. Car, d’une part, les salariés, surtout en CDI, craignent plus de perdre leur emploi ; d’autre part, ils ne peuvent pas facilement partir volontairement. Enfin, cela conduit, hélas, à l’évolution des pratiques managériales. Je l’ai constaté au Canada : là où le licenciement est plus difficile, les entreprises renforcent la pression du management.

Pour agir sur le stress, vous proposez de faciliter les mobilités choisies, en consolidant le principe de rupture conventionnelle. N’est-ce pas trop coûteux ?

Le développement important, depuis 2008, des ruptures conventionnelles est justement révélateur du besoin de mobilité des salariés. Le dispositif est critiqué, à juste titre, et il faut l’adapter, car il pèse sur les comptes de l’assurance chômage, qui indemnise le salarié ayant rompu son contrat d’un commun accord avec son employeur. Mais le coût pour l’assurance maladie des désordres du travail est énorme. Les dépenses d’antidépresseurs représentaient, en 2001, en France, 0,1 % du PIB !

Les mesures que vous proposez nécessitent des négociations interprofessionnelles. Laquelle est la plus facile à mettre en place ?

C’est, malgré son coût (entre 200 millions et 1,5 milliard d’euros), le système de compléments salariaux qui doit sécuriser le parcours des salariés et leur permettre, quand ils le souhaitent, de se reconvertir, Pôle emploi et l’État compensant les éventuelles pertes de salaire lors de leur nouvelle carrière. Les autres mesures – baser les droits acquis sur l’ancienneté dans la carrière et pas sur l’ancienneté dans l’emploi actuel, rénover l’offre de formation – sont complémentaires et participent d’une vision d’ensemble replaçant la mobilité au cœur du système. Tout l’enjeu est d’inventer des modes de régulation efficaces, comme les mobilités choisies, et d’en finir avec des réformes sectorisées sans effet. On est arrivés au bout d’un système.

ÉTIENNE WASMER

Économiste du travail, il enseigne à Sciences po Paris et y codirige le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques. Il est membre du comité d’experts sur le smic, créé en 2009 pour éclairer les choix de la Commission nationale de la négociation collective. Son ouvrage, Principes de microéconomie (2011, éd. Pearson), a reçu le prix AFSE du Meilleur ouvrage d’économie à destination des étudiants.

Auteur

  • Anne Fairise