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Vie des entreprises

Le nouveau patron des patrons italiens mise gros

Vie des entreprises | Analyse | publié le : 04.05.2012 | Philippe Guérard

Giorgio Squinzi prendra la présidence de la Confindustria fin mai. Il veut redonner du pouvoir à l’organisation et dialoguer avec les syndicats, CGIL en tête. Mais il aura fort à faire pour unifier ses troupes.

L’Italie n’en finit pas de nous surprendre. Depuis que Mario Monti a pris les rênes d’un gouvernement de techniciens, en novembre, les réformes s’enchaînent dans un pays jusqu’alors englué dans l’inaction notoire de Silvio Berlusconi. Report de l’âge de départ à la retraite, plan de rigueur, libéralisation des professions réglementées, flexibilité du marché du travail…

Le paysage se transforme en profondeur, sans que les Italiens aient le temps de s’en rendre compte. La popularité du président du Conseil s’est du reste à peine effritée pour le moment, oscillant, selon les instituts de sondage, entre 55 et 67 %. Or voilà que la Confindustria, l’équivalent du Medef, se met à tresser des lauriers à la principale confédération syndicale du pays, la CGIL. C’est le monde à l’envers ! Fin mars, les chefs d’entreprise ont décidé de troquer leur charismatique présidente, Emma Marcegaglia, 46 ans, contre un dirigeant de la « vieille école », plutôt en âge de prendre sa retraite, mais qui pourrait se révéler étonnant.

Élu pour quatre ans, Giorgio Squinzi, 68 ans, qui entrera en fonctions le 23 mai, a déjà tendu la main à l’homologue transalpine de la CGT. « Je n’ai jamais eu le plaisir de parler en direct avec sa secrétaire nationale, Susanna Camusso, j’ai hâte de la rencontrer. J’ai toujours cru à la confrontation des idées. Avec moi, la CGIL a toujours été très impliquée et s’est comportée comme l’une des organisations les plus raisonnables », affirme-t-il.

Giorgio Squinzi fait allusion à des accords paraphés avec l’ensemble des représentants de salariés durant les douze années pendant lesquelles il a présidé la Fédération nationale de la chimie, Federchimica. « J’en ai signé six et je n’ai pas eu une seule heure de grève dans le secteur », rappelle-t-il fièrement. Mieux : « Les accords se sont souvent avérés plus avantageux que ceux qui étaient signés auparavant, lorsque la CGIL n’était pas à la table des négociations. »

Chantre du dialogue. Simples déclarations de bonnes intentions ? Giorgio Squinzi veut faire en tout cas du dialogue sa marque de fabrique. Et c’est avec gourmandise qu’il reçoit les journalistes au siège de son entreprise, dans les quartiers nord de Milan, entouré de sa femme Adriana et de ses deux enfants, Veronica et Marco, tous cadres dirigeants de la maison. L’immeuble semble ne pas avoir reçu un seul coup de pinceau depuis les années 70. Un comble pour Mapei, leader mondial des colles pour le bâtiment (7 500 salariés, 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2011).

Fondée par Squinzi père en 1937, l’entreprise incarne tout ce dont est capable le capitalisme industriel, familial et catholique de la Péninsule. Dans la bataille de la Confindustria qui l’a opposé cet hiver à l’un de ses pairs réputé « faucon », Alberto Bombassei, Giorgio Squinzi a joué le rôle de « colombe ». « Je n’aime pas ce terme [qui m’est attribué] car je sais obtenir des concessions de mes interlocuteurs, s’agace-t-il. Simplement, je pense que les partenaires sociaux ne peuvent avancer ensemble qu’en partageant leurs diagnostics. » Que pense-t-il, dans ce cas, de l’assouplissement du droit du travail – facilitant notamment les licenciements pour motif économique – que le gouvernement Monti est en train d’imposer ? « Sur ce thème, ma ligne sera celle de la continuité avec Emma Marcegaglia, qui est pour moi comme ma fille. » Selon lui, le système italien est « plein d’anomalies » et il est « nécessaire » de le rendre « plus flexible ». Cela dit, « ce n’est pas cela qui bloque la croissance économique ». D’après lui, les problèmes de l’Italie sont d’abord liés à l’« excès » de bureaucratie, au manque « criant » d’infrastructures et au coût « excessif » de l’énergie. S’y ajoutent la lenteur de la justice et les retards de paiement que s’autorise l’administration à l’égard des entreprises privées. En a-t-il parlé à Mario Monti ? « Le président du Conseil m’a appelé après mon élection pour me féliciter ; je lui ai répondu que nous, les garçons de 1943, on était les meilleurs. »

Plus sérieusement, le nouveau patron des patrons a pour but de redonner du poids politique à la Confindustria. Propriétaire du quotidien économique Il Sole 24 Ore, l’association a toujours été très présente dans le débat public, mais avec Berlusconi au pouvoir, elle était assise entre deux chaises. Dans un premier temps, ce fut la lune de miel avec le Cavaliere, qui promettait « la révolution libérale » et envisageait de gérer l’Italie comme son entreprise Fininvest. Mais les scandales sexuels et financiers avaient ensuite eu raison de l’idylle.

Face à Mario Monti, ancien commissaire européen à la Concurrence sans étiquette politique, le contexte est plus simple. À condition que Giorgio Squinzi réussisse à rassembler ses troupes derrière lui, ce qui n’est pas le moindre des défis. Car il doit son élection à seulement 11 voix, sur un total de 175 votants. S’il était le dauphin de la présidente sortante, il n’était soutenu ni par le précédent président de la Confindustria, Luca Cordero di Montezemolo, patron de Ferrari, ni par Sergio Marchionne, patron de Fiat. Ce dernier, qui a claqué la porte du patronat l’an dernier, laissait même entendre qu’il pourrait revenir dans l’organisation en cas de victoire de l’autre candidat, Alberto Bombassei.

« Il est évident que la Confindustria doit avoir parmi ses adhérents l’entreprise industrielle la plus importante d’Italie », admet Giorgio Squinzi, dont l’inimitié avec Marchionne est connue. Si le patron de Fiat a réussi à imposer dans ses usines des accords d’entreprise dérogeant à la convention collective, sans la signature de la CGIL, Giorgio Squinzi est attaché à la primauté des accords de branche. Il ne rate pas une occasion de dire que son entreprise n’a « jamais eu recours au chômage technique », pour se démarquer du constructeur automobile turinois dont les usines sont régulièrement mises à l’arrêt.

« Squinzi a gagné avec une marge trop étroite pour ne pas devoir écouter les requêtes de tous les entrepreneurs, estime Giorgio Fossa, président de la Confindustria de 1996 à 2000. Il faut vite arrêter cette guéguerre et retrouver la cohésion, car l’Italie fait face à une crise économique d’une gravité sans précédent. » En 2012, le PIB risque de chuter de 2 %, si l’on en croit le FMI. Et le chômage frappe désormais près de 9,5 % de la population active, du jamais-vu depuis 2004.

11 voix

C’est la petite avance de voix obtenue par Giorgio Squinzi lors de son élection à la présidence de la Confindustria, le 22 mars, par 93 voix contre 82 à son adversaire, Alberto Bombassei. Pour faire oublier ce faible écart, il a aussitôt indiqué qu’il serait le représentant de « l’ensemble » des 149 290 entreprises adhérentes à l’association patronale.

Auteur

  • Philippe Guérard