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Enquête

Des syndicalistes peu soutenus par leur boîte

Enquête | publié le : 04.05.2012 | Éric Béal

Les conditions de travail des syndicalistes varient du tout au tout selon les entreprises et les moyens qu’elles leur accordent pour remplir leur mission et évoluer professionnellement. La qualité des relations sociales en dépend.

Liamine Bouaoud n’a pas une tête qui revient à son patron. Ce délégué syndical CFDT travaille chez un concessionnaire Renault à Thiers. Son employeur en est à sa quatrième demande de licenciement le concernant, toutes refusées par la Direccte ou le tribunal administratif. « Ses problèmes durent depuis dix ans. Son salaire est bloqué et il subit régulièrement des vexations de la part de son responsable hiérarchique », indique Gérard Sugier, permanent syndical sur une partie du Puy-de-Dôme pour la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT.

À mille lieues de ce genre de préoccupations, Daniel Kayat est le coordinateur syndical national CFDT du Groupe Axa. À ce titre, il bénéficie d’un détachement total pour exercer son mandat. Sa progression de carrière est automatique et ses augmentations de salaire égales à la moyenne de celles octroyées aux salariés du métier dont il est issu. Dernièrement, il a pu profiter d’un dispositif de certification permettant aux syndicalistes de faire valider les compétences développées dans le cadre de leurs activités. Une formation doublée d’un bilan de compétences pour ceux qui reprennent ensuite un poste classique. « Un outil bien utile pour les collègues qui ont perdu leur représentativité après les élections professionnelles de 2009 », indique le cédétiste (voir témoignage ci-contre).

Deux syndicalistes, deux conditions d’exercice totalement distinctes, qui ne sont pas uniquement dues à la différence de taille entre PME et grandes entreprises. Ainsi, dans le transport routier, les grands groupes profitent de la concurrence entre salariés originaires de toute l’Europe, qui est favorisée par la réglementation européenne. « Les patrons ne font rien pour faciliter l’implantation d’une section syndicale, explique Patrice Clos, le secrétaire de la Fédération FO transports et logistique. Mais dès que ça barde, ils préfèrent parler aux représentants syndicaux plutôt que de faire face à 200 gars en pétard. Curieusement, ils n’y voient pas de contradiction. »

Vie professionnelle et carrière syndicale. Mais les mentalités des dirigeants d’entreprise vont devoir évoluer. Depuis la loi du 20 août 2008, les entreprises d’au moins 300 salariés ont de nouvelles obligations à l’égard de leurs représentants syndicaux. Ce texte rend obligatoire une négociation sur des mesures pour concilier vie professionnelle et carrière syndicale. Les entreprises sont tenues de prendre en compte l’expérience acquise par les syndicalistes dans le cadre de l’exercice de leurs mandats. Une obligation qui prend toute son importance depuis que le maintien d’un délégué syndical est subordonné à ses résultats aux élections professionnelles. Avec moins de 10 % des suffrages exprimés, un DS perd son mandat syndical et doit reprendre un poste de travail.

Pour autant, le rapport 2010 sur la négociation collective de la Direction générale du travail ne relève pas d’évolution significative sur le sujet. Alors que 2 446 accords sur le droit syndical ont été signés en 2007, il n’y en a eu que 2 215 en 2010. Trois types d’entreprises se détachent. Celles qui font le minimum, comme L’Oréal, où l’accord signé en mars propose des formations spécifiques pour les élus mais ne prévoit ni détachement ni gestion spécifique de la carrière pour les délégués syndicaux. « Nous pensons que des représentants du personnel qui gardent un contact avec le terrain conservent une plus grande proximité avec les collaborateurs et sont mieux renseignés sur l’état de l’entreprise », justifie Bertrand de Senneville, le directeur général des relations sociales (DRS). Autre exemple avec Manpower France. La direction a proposé en 2009 un nouveau pacte social qui prévoit de réelles avancées sur le plan de la gestion des carrières des syndicalistes avec un dispositif de valorisation des acquis suivi d’une formation pour les représentants du personnel. Mais cette proposition s’accompagnait d’une réduction drastique du nombre de comités d’entreprise qui passaient de sept à un seul, afin d’accroître « l’efficacité du dialogue social ». Au risque de noyer la cinquantaine d’élus survivants sous les thèmes à aborder.

Certaines directions tentent d’en faire davantage. Sodexo France a signé un accord en 2007 qui prévoit un nombre d’élus et un crédit d’heures supérieurs à ce qu’exige le Code du travail. La direction réfléchit aujourd’hui à l’organisation d’une formation économique et financière supplémentaire réservée à ses représentants syndicaux et à ses élus du personnel. « Les syndicats s’intéressent aux variations de l’activité car nous avons l’obligation d’intégrer les salariés d’un concurrent lorsque nous reprenons son marché, reconnaît Philippe Pallot, le DRS. Mais ils sont moins à l’aise avec l’analyse des données financières. »

D’autres, enfin, jouent le jeu. Renault a signé un accord sur la représentation du personnel dès 2000, doublé d’un deuxième accord en 2010. Le premier texte fixe les règles des évolutions de salaire des syndicalistes et des représentants du personnel. Il accorde des moyens supplémentaires, des évaluations et une formation pour les élus qui souhaitent reprendre une activité professionnelle classique. Et il prévoit un financement des syndicats représentatifs, partiellement en fonction des résultats aux élections professionnelles. Le second accord organise l’agenda social sur six mois pour permettre aux syndicalistes de se former sur les sujets traités. Philippe Brismontier, chef du service relations sociales de Renault France, en est persuadé, « ces mesures ont participé à l’amélioration de la qualité des négociations ces dernières années ». Une conviction partagée par Robert Bonnand, ancien responsable syndical, aujourd’hui consultant chez Algoé. « Il faut sortir de l’ambiguïté, affirme-t-il. Les représentants patronaux expriment souvent le besoin d’un syndicalisme fort pour pouvoir négocier des accords innovants. Il serait temps de concilier leur discours et leurs actes. »

La situation sociale actuelle d’ArcelorMittal France donne raison à cet observateur privilégié. En dépit des tensions que connaît le spécialiste de l’acier après l’arrêt des hauts-fourneaux de Florange, le dialogue est maintenu. Une conséquence directe de la considération qu’a le groupe pour ses représentants syndicaux et des moyens importants qu’il met à leur disposition.

Jean-Michel Hury
Ancien coordinateur syndical national CFTC d’Axa

“En 2009, nous avons atteint 9,8 % des voix aux élections professionnelles. Et nous avons perdu notre représentativité. J’ai aussitôt fait savoir à ma responsable RH que j’étais disponible pour une reconversion interne. Avant mes treize ans de syndicalisme à temps plein, j’étais responsable d’un service de règlement des sinistres. Je n’ai pas eu besoin d’une formation lourde pour devenir responsable des inspecteurs gérant les experts extérieurs. J’ai toujours une activité syndicale restreinte. Mais si la CFTC fait 10 % ou plus cette année, je ne redeviendrai pas coordinateur. Il faut laisser la place aux jeunes.”

Auteur

  • Éric Béal