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Le démineur de La Poste

Actu | Eux | publié le : 04.05.2012 | Emmanuelle Souffi

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Le démineur de La Poste

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Fines lunettes cerclées et costume impeccable, cet orfèvre du social retrouve les longues tables de négociations qu’il n’a finalement jamais désertées. Depuis la fin mars, l’ancien secrétaire général de la CFDT enchaîne les discussions avec les syndicats de La Poste pour tenter de déminer le terrain. Bombardé à la tête de la commission du « Grand Dialogue » par Jean-Paul Bailly, le P-DG, après le suicide de deux agents, Jean Kaspar a la lourde tâche de sonder la situation de l’entreprise et de ses salariés en matière de vie au travail. Guichetiers, conseillers financiers, facteurs… En compagnie des 25 experts qu’il a en partie nommés (psychologues, DRH, sociologues, consultants…), il va passer en revue tous les métiers de ce gigantesque groupe obligé de se réinventer face à la concurrence. Trois mois d’auditions suivis d’un rapport début septembre, le timing est plus que serré. « C’est une consultation sans précédent, se félicite cet Alsacien de 71 ans. L’enjeu concerne chacun des 280 000 collaborateurs et dépasse l’entreprise elle-même. La Poste, c’est comme une petite France. » Le postier est aujourd’hui tout à la fois vendeur de téléphones et de cartes de vœux. Commercial, il remplit des objectifs souvent mal perçus en interne.

Des terrains minés, cet ancien de la JOC qui a fait carrière à la CFDT d’Edmond Maire après avoir commencé à 16 ans aux mines de potasse d’Alsace, en a connu beaucoup. Le congrès de 1988 qui le porte à la tête de l’organisation est marqué par le clash avec Annick Coupé qui part fonder SUD Solidaires. En 1993, après avoir été débarqué du secrétariat général pour manque de poigne par Nicole Notat, il est nommé conseiller social et ministre conseiller – une première ! – à l’ambassade de France de Washington par Martine Aubry, alors ministre du Travail. Le Quai d’Orsay s’étrangle.

Depuis seize ans à la tête de son cabinet en stratégies sociales, il écume les points chauds, usines bloquées ou bureaux en effervescence. « Dans une médiation, il faut être équidistant, être à mi-chemin entre la direction et les salariés. Lui, voit l’entreprise comme une communauté humaine, pense un ancien cédétiste qui le connaît bien. Et il n’a pas sa langue dans sa poche. » À un patron de PME qui arrive au bureau en Jaguar, Jean Kaspar ne craint pas de pointer son attitude déplacée alors que le personnel réclame des rallonges salariales. « J’accorde beaucoup d’importance au dialogue, c’est un vecteur d’intelligence collective, souligne cet aîné d’une famille de six enfants. Cette passion du résultat collectif est le fil rouge de ma carrière. » Au sein de la commission Attali « pour la libération de la croissance », en 2007, il fait valoir son esprit de réforme, sa capacité à tout entendre à condition de le faire en respectant les autres. La politique de la chaise vide, très peu pour lui. « Il est ouvert aux idées, tout sauf dogmatique », estime l’économiste Jacques Delpla.

Dans le 15e arrondissement de Paris, au siège de La Poste, pour éviter que cette commission n’ait de « grand » que le nom, Jean Kaspar va devoir faire preuve de doigté et d’esprit de synthèse. Unis face à la direction qui refuse de geler les réorganisations, les syndicats attendent l’ancien cédétiste au tournant. « C’est quelqu’un d’honnête, qui a envie de faire des choses, mais quel est son niveau d’indépendance vis-à-vis de Jean-Paul Bailly ? » s’interroge Gaëlle Differ, secrétaire fédérale de SUD PTT. Difficile d’améliorer le cadre de travail quand les salariés ont le sentiment de faire plus avec moins. « Quel est l’intérêt d’avoir encore un constat si, derrière, il ne donne pas lieu à des négociations et à des actions concrètes ? » prévient la syndicaliste. De l’application des préconisations de Jean Kaspar dépendra sa crédibilité. Cet auto­didacte en a conscience. Mais il reste d’un indécrottable optimisme.

JEAN KASPAR

Président de la commission du Grand Dialogue de La Poste.

1957

Embauché aux mines de potasse d’Alsace.

1988-1992

Secrétaire général de la CFDT.

1993

Ministre conseiller à l’ambassade de France à Washington.

Depuis 1996

Consultant en stratégies sociales.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi