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Politique sociale

Permis de conduire, permis de bosser

Politique sociale | publié le : 01.04.2012 | Adeline Farge

Coûteux et pas facile à décrocher, le permis de conduire est un sésame pour travailler. Entreprises, services de l’emploi, collectivités locales aident les chômeurs à l’obtenir.

Chaque année, Pro BTP attribue 2 000 aides au permis à des apprentis. Budget : 1,6 million d’euros

Fatoumata Touré a perdu un emploi de serveuse à Roissy : elle n’avait pas de moyen de locomotion pour embaucher à 3 heures du matin. Elle s’est muée en femme de ménage. « Depuis Aulnay-sous-Bois, où j’habite, je mettrais dix minutes en voiture. Avec le bus, je dois me lever à 4 h 30 pour commencer à 6 heures », souligne cette mère de cinq enfants. Plus que jamais, permis de conduire rime avec permis de travailler. La mobilité est devenue une variable déterminante d’accès à l’emploi. « Celle-ci n’a plus la même valeur qu’il y a trente ans, note le sociologue Éric Le Breton, spécialiste de la question. Que ce soit pour le logement ou pour l’emploi, la dispersion temporelle et géographique oblige les salariés à se réorganiser à chaque changement de poste. À circuler vite et à tout moment. » Difficile, quand les deux seuls TER de la région montagneuse du Cantal sont loin de desservir tous les cantons et de correspondre aux horaires de chacun. « Dans les villages, les conseillers suggèrent aux demandeurs d’emploi d’ouvrir l’horizon de leurs recherches, mais il faut pouvoir se rendre sur les lieux des missions. Les employeurs exigent régulièrement le permis B et un véhicule personnel. Ici, on ne compte pas en kilomètres mais en minutes. Ceux qui ne sont pas véhiculés ne sont pas compatibles avec le monde du travail », témoigne Sébastien Faure Rouquié. Selon ce directeur territorial délégué de Pôle emploi dans le Cantal, parmi les 5 851 chômeurs suivis par ses agences, 1 233 n’ont pas le permis. Ces derniers peuvent bénéficier d’une aide de Pôle emploi plafonnée à 1 200 euros.

Plus dur que le bac. Le coût du permis représente une barrière pour de nombreux précaires, en premier lieu les jeunes demandeurs d’emploi avec les travailleurs peu qualifiés et les intérimaires (sur 1,7 million d’intérimaires, 18 % n’avaient pas le permis en 2011). En outre, la détention du permis de conduire est corrélée au niveau d’études. « L’examen nécessite de savoir lire, écrire et de bien comprendre le français. On peut le décrocher lorsqu’on est à l’aise à l’école et dans la société. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’obtenir le bac », poursuit Éric Le Breton. Le taux de réussite à l’examen, à la première présentation, frôle les 57,40 %. Pour beaucoup de peu qualifiés, le permis de conduire constitue souvent le premier diplôme. « Il est le diplôme le plus universel qui soit et un marqueur de compétences sociales. Ne pas l’avoir n’est pas uniquement lié à des difficultés économiques mais aussi à des échecs récurrents dans le parcours de formation », relève Catherine Lestre de Rey, déléguée nationale de la Fédération des associations de la route pour l’éducation.

Problème, ce sont justement les métiers peu qualifiés et peu rémunérés qui, souvent, exigent le permis. « Il est essentiel pour les personnes qui travaillent avec des horaires décalés ou dans des secteurs comme la logistique, la distribution, les services à la personne et la production. Pour les travailleurs qui n’ont pas d’autre choix, les problèmes d’accès au lieu de travail dans les banlieues, les zones commerciales ou industrielles sont prégnants », déplore Vincent Baholet, délégué général de la Fondation agir contre l’exclusion. Du coup, sur le terrain, les acteurs se mobilisent. L’agence Leader Intérim du Pas-de-Calais pousse au covoiturage. « Certains employeurs, comme la société Laurenge, se chargent de faire le tour des salariés le matin. L’entreprise Denis Wattez a, elle, financé le permis d’un intérimaire qui avait fait ses preuves avant de l’embaucher en CDI », précise Valérie Playoult, assistante d’agence à Harnes. Dans la même veine, le Fonds d’action sociale du travail temporaire collabore avec des structures locales de transport à la demande comme Mouv’Emploi, qui propose la location de véhicules à prix réduits. Avec les partenaires sociaux et les professionnels du secteur, Pro BTP, le groupe de protection sociale du bâtiment, s’est retroussé les manches. « On a mis en place une aide à l’obtention du permis de conduire et à l’acquisition du premier véhicule », note Pierre de Pas, directeur de l’action sociale générale à Pro BTP. En fonction de ses ressources, l’apprenti inscrit dans un CFA peut recevoir jusqu’à 800 euros. Depuis le lancement, en 2006, 2 000 aides ont été attribuées chaque année, pour un budget total de 1,6 million d’euros.

Conduite accompagnée par le patron. L’entrée dans un CFA et plus encore l’embauche par un employeur restent conditionnées à lapossession du permis de conduire. Gabriel Desgrouas a eu l’idée de mettre sur les rails la conduite accompagnée pour un jeune en apprentissage dans son entreprise de peinture. Grâce aux déplacements quotidiens vers les chantiers, le jeune accumule des kilomètres et le patron se substitue aux parents. « L’absence de permis était le seul frein à son embauche, je lui ai donc offert cette opportunité. Au-delà, la conduite avec le véhicule de l’entreprise crée des liens de confiance entre le tuteur et le jeune ainsi qu’une prise de responsabilité », précise ce patron, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment de l’Eure. Une centaine d’employeurs du BTP ont suivi l’exemple. Les grandes entreprises ne sont pas en reste. Même si le permis est considéré comme un « microsujet » par le service de communication de La Poste, l’entreprise contribue à son financement pour des facteurs en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation en Ile-de-France. EDF fait de même pour ses apprentis.

En marge des actions des entreprises, les initiatives locales fleurissent : 80 auto-écoles sociales se sont créées en France et travaillent avec des prescripteurs comme Pôle emploi, les missions locales et les collectivités (voir page 33). Le Plie de l’Aisne, de son côté, promeut le covoiturage et la location de véhicule grâce à un parc de cyclomoteurs et de vélos électriques, plus légers. Soutenu par le Fonds social européen, il a aussi mis en place une aide individuelle pour le permis de conduire avec une participation à hauteur de 50 à 80 % du forfait.

La maison de l’emploi de Blois m’a versé 80 % de mon forfait ; sans eux, je n’aurais jamais pu me payer le permis. Maintenant, je travaille à l’Atelier du savoir-faire à Blois », témoigne Delphine Cocrel, chômeuse depuis 2002 et habitante de la Terrière, un « endroit perdu sans moyen de locomotion ». Pour impliquer les jeunes dans la vie citoyenne, depuis 2009, la mission locale de Saumur a mis en place la conduite accompagnée solidaire à destination des 16-25 ans. Au total, 26 jeunes ont pu profiter de l’initiative, dont le coût est pour eux de 200 euros seulement. En partenariat avec l’auto-école sociale d’Angers, Afodil, les bénéficiaires passent le code et font vingt-cinq heures de conduite puis la référente mobilité prend le relais des parents. « Pour les responsabiliser, on s’engage à trans­former ces kilomètres en kilomètres utiles en accompagnant des personnes pour leurs rendez-vous socioprofessionnels. Tous les participants aux deux premières sessions ont retrouvé quelque chose, CDD, CDI ou formation », se réjouit Christine Leroy, référente mobilité.

À Bonneuil-sur-Marne aussi la solidarité est un credo. Depuis 2009, la ville offre aux étudiants de 18 à 25 ans et aux chômeurs depuis plus d’un an la possibilité de bénéficier d’une aide financière au permis. Grâce au programme « en route pour l’emploi, en route pour la citoyenneté », 80 personnes ont reçu une bourse, en échange de quoi elles s’engagent à consacrer soixante-dix heures à une association locale ou à un service municipal. Sésame indispensable, le permis est un premier pas vers l’insertion. Reste ensuite à trouver un véhicule, à payer l’assurance et les frais d’essence…

Quand l’auto-école est sociale

À Aulnay-sous-Bois, dans la cité de l’Europe « Emmaüs », la régie de quartier a créé en 2005 l’auto-école sociale Saddaka, qui a 154 adhérents à ce jour. Ici, les cours de code s’effectuent en petits groupes de niveaux et un moniteur revient longuement sur les questions. « On accepte ceux qui sont mis à l’index par les autres auto-écoles. La plupart ne savent ni lire ni écrire. Les horaires correspondent aux horaires décalés et les forfaits sont moins chers qu’ailleurs », explique Moustafa Lama, moniteur. « Quand j’habitais en Espagne, je conduisais sans permis pour aller à l’usine car je n’avais pas de bus la nuit. En France, avec mon CAP en peinture, j’ai raté une embauche à Roissy et une autre à la mairie du Blanc-Mesnil. On me demande le permis, mais avec les 460 euros du RSA, ce n’est pas possible, alors Pôle emploi me finance », résume Farid Mehadj, originaire d’Algérie. Tout comme lui, 32 840 demandeurs d’emploi ont reçu une aide en 2010. Saddaka perçoit un soutien du conseil général. Pour permettre aux jeunes de « sortir de leurs quartiers », ce dernier attribue des aides individuelles et finance des programmes comme Pôle position 93 qui les accompagne pour le permis, la citoyenneté et l’accès à l’emploi.

Un outil d’insertion

A 25 ans, Aziz el-Alaui enchaînait les mois de chômage. Inscrit en BTS technico-commercial, ce jeune Lillois est contraint d’abandonner ses études en 2007. Sans permis de conduire, il ne peut escompter trouver un stage correspondant à son profil. Comme lui, près de 180 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification. Face à ce constat, Emmanuel de Richoufftz, ancien militaire de l’armée de terre, coordonne à Lille, depuis quatre ans, l’opération « permis sport emploi », en partenariat avec la Fondation agir contre l’exclusion. Entre le 1er février et le 31 juillet, ils sont 40, de 18 à 25 ans, à vivre un marathon. Au programme : des sessions de sport, un séjour dans l’armée de l’air, la découverte de métiers manuels accompagnée d’une formation. « Notre fil rouge est le permis de conduire. Si l’entreprise n’est pas au pied de notre immeuble, il est vital. Or les jeunes déscolarisés sont enfermés dans une spirale de l’échec », note le général de Richoufftz. Sur 40 jeunes, 36 ont obtenu leur code et 32 ont décroché leur permis.

Pour mener à bien leur réinsertion professionnelle, ce chargé de mission auprès du secrétaire général de GDF Suez a entraîné dans son giron une flopée d’entreprises telles Décathlon, Vinci Construction, Boulanger ou la Lyonnaise des eaux. « On a été séduits par ce projet novateur, déclare Isabelle Cardon, directrice du développement RH chez Boulanger.

On avait deux postes de téléconseillers à pourvoir dans une zone d’activité mal desservie et avec des contraintes horaires. On a donc recruté un jeune en contrat de pro de téléconseiller. Désormais, il est en CDI. »

GDF Suez, pour qui les déplacements chez les particuliers sont quotidiens, a embauché, lui, 15 jeunes.

Un an après l’opération, plus de la moitié des bénéficiaires ont retrouvé un emploi dans la restauration, la sécurité, la gestion de l’eau et de l’environnement, la vente et la marine nationale. « J’ai eu mon permis de conduire et commencé mon alternance dans les Eaux du Nord comme téléconseiller, sourit Aziz el-Alaui. Maintenant, je n’ai plus honte de postuler en pouvant éviter les questions pièges sur les déplacements. »

Auteur

  • Adeline Farge