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Vie des entreprises

Les fonctionnels passent au régime sec

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2012 | Éric Béal

Hors du cœur de métier et non génératrices de cash, les fonctions RH, compta ou com sont l’objet de coupes sévères. Il faut dire qu’il n’y a plus beaucoup de gras ailleurs.

Sus aux fonctions support ! Administration générale, ressources humaines, comptabilité et finances, communication, marketing, achat et services juridiques sont victimes d’un sérieux tour de vis. Rares sont les projets de restructuration en cours qui ne visent pas les fonctions support. Chez Technicolor, l’ex-Thomson, le plan annoncé en décembre prévoit une réduction d’effectif accompagnée d’une rationalisation des fonctions support. Objectif, une diminution des coûts pouvant atteindre 10 millions d’euros par an.

Mais, phénomène nouveau, la Fnac, Areva et LaSer Cofinoga font porter leur régime minceur sur ces seules fonctions, dont la caractéristique est de se situer hors du cœur de métier de l’entreprise. En janvier, l’« agitateur » culturel a annoncé un plan d’économie de 80 millions d’euros en année pleine, qui se traduit notamment par la suppression de 310 postes en France, tous dans les fonctions support au siège et en magasin. De son côté, Areva, le spécialiste du nucléaire, a présenté un plan quinquennal stratégique qui comporte un gel des recrutements pour ses effectifs non industriels. Objectif, la suppression de 200 à 250 postes par an, grâce aux départs naturels. Secrétaire national de la Fédération CGT des mines et de l’énergie, Bruno Blanchon s’inquiète de voir jusqu’aux équipes d’ingénierie touchées par cette mesure. Quant à LaSer Cofinoga, la restructuration annoncée au comité central d’entreprise le 20 janvier concerne 377 postes dans la logistique, la comptabilité, le service de recouvrement et le marketing opérationnel, ­basés à Mérignac (en Gironde). Sans compter une quarantaine de postes supplémentaires au siège parisien.

Inquiétudes syndicales.Toutes ces annonces ont suscité une vive réaction des organisations syndicales. Bruno Blanchon dénonce un plan d’économie sans vision industrielle. « Luc Oursel, le P-DG d’Areva, a annoncé son plan stratégique mi-décembre, indique-t-il. Sans aucune concertation. Nous n’avons pas de visibilité sur les conséquences de ce gel des recrutements en matière d’organisation du travail pour les équipes concernées. » Catherine Gaine, déléguée syndicale centrale de SUD Fnac Paris, s’inquiète également : « Vu le nombre de vendeurs qui restent en magasin, c’était la dernière possibilité pour réduire les effectifs. Je me demande ce qu’ils vont trouver la prochaine fois. »

Christophe Gougeon, son homologue de la CGT, est amer. « Nous étions en pleine négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Tout a été annulé du jour au lendemain », indique-t-il. Les gestionnaires RH et les responsables de la communication événementielle en magasin sont particulièrement visés. « Ces gens-là ne sont pas générateurs de chiffre d’affaires », aurait expliqué un ­responsable RH à un représentant du personnel. Les fonctions commerciales et les équipes de Fnac.com sont, quant à elles, préservées.

Dans les banques, la crise financière et les nouvelles normes prudentielles incitent les directions à donner un tour de vis sévère dans les activités de financement et d’investissement. Là encore, que ce soit à BNP Paribas, à la Société générale ou au Crédit agricole, les fonctions support ne sont pas épargnées. « Pourquoi le seraient-elles ? remarque Jean-François Carrara, directeur associé chez Algoé, responsable du domaine emploi et mobilité. Il n’est pas anormal que la question de ­l’efficacité des services administratifs soit posée. Surtout lorsque des gains de productivité ont déjà été réalisés dans les services de production. »

Un avis partagé par Yves Synold, directeur de l’offre stratégie et organisation au sein de l’équipe RH-management du cabinet Kurt Salmon. « Les entreprises optimisent leurs centres de profit depuis vingt ans. Rechercher des marges supplémentaires de réduction des coûts dans les activités qui n’appartiennent pas au cœur de métier relève du bon sens », affirme-t-il. La crise, et la baisse du chiffre d’affaires qu’elle engendre, ne fait que renforcer la tendance. « Le marché du crédit à la consommation est en baisse, note Patrick Russo, le directeur de la communication de LaSer Cofinoga. Nous redimensionnons toutes les équipes en fonction de cette réalité et les fonctions support n’échappent pas à la règle. »

Mais les difficultés conjoncturelles n’expliquent pas tout. Pour certains observateurs, les fonctions support ont été regardées à la loupe. « Parce qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes impératifs que les fonctions opérationnelles, les fonctions support peuvent perdre en efficacité. C’est pourquoi les entreprises ne cessent de les faire évoluer », affirme Jean-Michel Caye, directeur associé et expert talents au Boston Consulting Group. Et d’expliquer que, dans une entreprise, il y a les activités cœur de métier, les activités support, mais aussi les activités discrétionnaires qui apportent un certain confort, et le « bruit », c’est-à-dire toutes les activités autogérées qui ne produisent pas de valeur. « Les entreprises ont toujours cherché à éradiquer le bruit. La crise les pousse à diminuer les activités discrétionnaires », dit-il. Cet avis semble partagé par la direction d’Areva, qui ne dit pas comment les départs seront compensés dans les secteurs touchés. Or une réduction drastique des équipes peut engendrer une baisse de la qualité du service rendu, que l’entreprise paie cash par la suite, avertit Gilles Verrier, directeur du cabinet Identité RH. « Unilever a complètement externalisé sa fonction RH depuis quelques années, rappelle-t-il. Le groupe a réduit ses coûts de façon importante, mais les managers de proximité peuvent être très seuls face à leur équipe et la rétention des talents ou la formation sont aujourd’hui à retravailler. »

Une réduction drastique des équipes peut se solder par une baisse de la qualité du service rendu

Liées par les obligations légales d’information des représentants du personnel, les directions de la Fnac, d’Areva ou de LaSer Cofinoga ne sont pas très loquaces sur les modifications d’organisation du travail engendrées par cette chasse au gaspi dans les fonctions support. « Nous repenserons les processus pour aller vers une organisation plus souple et plus agile. En centralisant les ressources humaines et la communication au niveau régional, nous créerons des synergies positives », indique-t-on à la direction de la communication de la Fnac. L’explication fait bondir Christophe Gougeon, de la CGT. « Les services communication en magasin organisaient les conférences et les rendez-vous avec les artistes. Ce qui faisait l’originalité et augmentait l’attractivité de la Fnac peut-il perdurer avec des équipes réduites dans les directions régionales ? »

La question n’ébranle pas les certitudes des spécialistes. « Entre mutualisation, amélioration des processus et externalisation, il y a des potentiel d’amélioration importants dans l’administration de la plupart des entreprises », affirme Emmanuel Bonnaud, associé senior au sein du département performance opérationnelle chez Roland Berger Strategy Consultants (voir encadré). L’externalisation, notamment, s’impose chaque année un peu plus. « C’est une tendance de fond, précise Jean-Michel Caye. Cependant, la crise ne provoque pas d’accélération particulière car les conséquences à court terme d’une externalisation sont lourdes pour les comptes d’exploitation des grandes entreprises. »

Remise en cause radicale. Couplée à la multiplication de services partagés en interne, cette évolution pourrait annoncer une période de remise en cause radicale pour les salariés concernés. À l’instar de ce qui se passe chez Feursmétal, un producteur de pièces en acier moulé appartenant au groupe AFE. En novembre, la direction a lancé un plan de sauvegarde de l’emploi sur les fonctions support. Quarante postes ont été supprimés et les salariés se voient proposer des reclassements internes… dans les équipes de production. Au risque d’alimenter beaucoup d’incompréhension, voire de désespoir chez certains d’entre eux.

Emmanuel Bonnaud Associé senior de la practice transformation, performance et retournement chez Roland Berger Strategy Consultants
“L’erreur à éviter en réduisant les coûts, c’est de dégrader les conditions de travail”

Comment savoir si une fonction support est surdimensionnée ? Il faut d’abord surveiller l’évolution des volumes : l’activité générale de l’entreprise et le nombre de salariés dédiés à la production. Certains clients viennent nous voir en ayant constaté que leurs fonctions support grossissent autant que leur chiffre d’affaires, ce qui n’est pas normal.

Selon quels principes apprécier l’efficacité d’une fonction RH, marketing ou finance ?

Comme pour toute organisation, il s’agit de s’assurer de l’efficacité des processus, étape par étape. De revoir l’organisation pour éviter de faire deux fois la même chose. Ou bien d’éviter de trop morceler les tâches, sans pour autant aller jusqu’à dégrader le travail et, au-delà, le service rendu. Quelles sont les solutions pour réduire les coûts ? La première chose à faire est de réduire les tâches redondantes en appliquant par exemple les principes du lean management. On peut aussi accentuer la mutualisation pour réduire les postes, au moyen d’une concentration des compétences dans un centre de services partagés. Troisième solution, s’équiper en outils informatiques qui permettent d’augmenter la productivité. Enfin, il y a l’externalisation complète des tâches réalisées par le service. Mais attention à cette dernière solution, pas toujours efficace en termes financiers.

Quels sont les écueils de cette recherche effrénée de productivité ? Les expériences passées nous ont permis de mesurer les liens entre qualité du produit fini et conditions de travail. L’erreur à éviter en réduisant les coûts des fonctions support, c’est de dégrader les conditions de travail. Elle engendre à coup sûr une baisse de la qualité du service rendu. À l’inverse, une organisation surnuméraire est toujours moins efficace. Elle engendre un morcellement des processus et une organisation mal huilée. Notre objectif est de combiner efficacité, productivité et qualité du service pour parvenir à l’équilibre.

Auteur

  • Éric Béal