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Politique sociale

Racheter sa boîte, c’est tendance

Politique sociale | publié le : 01.03.2012 | Anne Fairise

La crise a remis au goût du jour la reprise d’entreprise par ses salariés. Ces transmissions en interne s’opèrent davantage via un LMBO, moins souvent sous statut Scop.

L’affaire SeaFrance n’en finit pas de faire des vagues. Le projet de rachat de la compagnie de ferrys transmanche par ses 880 salariés a beau avoir été retoqué début janvier, faute d’un solide plan de financement, par le tribunal de commerce de Paris, il fait des émules. Demandes de renseignements ou d’aide au montage financier : les coups de fil affluent dans les antennes du réseau des sociétés coopératives et participatives. Pascal Trideau, directeur général de la Confédération générale des Scop, en a eu des sueurs froides.

Vite oublié ! Le naufrage de SeaFrance n’a pas englouti, avec lui, l’image de ce modèle d’entreprise qui place les salariés, associés majoritaires, au cœur de la gouvernance. « Les salariés l’ont compris : le statut coopératif n’est pas une solution miracle aux liquidations de sociétés mais un modèle d’entreprise exigeant. Comme les autres, il ne peut exister sans un marché, un savoir-faire maîtrisé, une rentabilité établie et une équipe dirigeante reconnue par les salariés », martèle cet ancien banquier.

Enfants de la crise. Rien à voir avec une solution sparadrap brandie en ultime recours. Les Scop sont d’ailleurs rarement issues d’une reprise d’entreprise changeant de statut (12 % des 2 000 Scop existantes). Même si moult projets s’élaborent lorsque les comptes ont viré au rouge. Dernièrement, encore, au quotidien la Tribune. « Souvent, seuls les salariés repreneurs continuent d’y croire. Ils sont encore plus déterminés lorsque leur secteur ou le bassin d’emploi est isolé ou sinistré ou lorsqu’ils n’envisagent pas de se reconvertir. Parce qu’ils sont attachés à leur savoir-faire ou se considèrent trop âgés », décrypte Laurent Vandenbor, délégué général d’Ouest Mode Industrie.

« Nous préférons prendre notre destin en main plutôt que de pointer à Pôle emploi », résume Olivier Leberquier, délégué CGT de l’usine Fralib (groupe Unilever), fabriquant le thé Éléphant à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône. Depuis l’annulation du second plan social fin 2011, après « dix-sept mois de combat », le syndicat planche aujourd’hui, au nom de 102 salariés, sur une reprise sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) associant des partenaires privés et la Région. Nouveauté, cette implication des collectivités territoriales explique aussi le regain de projets de reprise en coopérative. Que les Régions réagissent en pompiers, promettant, tel le Nord-Pas-de-Calais, d’investir 10 millions d’euros dans le projet de Scop de la CFDT SeaFrance. Qu’elles décident, au nom d’un « entreprendre autrement », de soutenir l’« économie sociale et solidaire » et ces coopératives non délocalisables ni OPAbles…

Le taux de transmission interne n’est évalué qu’entre 15 et 32 %, selon les études

La bascule à gauche des Régions, depuis 2004, n’y est pas étrangère. Sans les 39 000 euros versés par le Poitou-Charentes aux 13 salariés de Monneau Confection (3 000 euros chacun), leur Scop n’aurait jamais vu le jour. « Cela nous a permis de réunir les 72 000 euros de capital social nécessaires. Chaque salarié a ajouté 1 000 euros sur ses économies et souscrit un prêt personnel de 2 000 euros », rappelle Christine Renault, ex-comptable devenue cogérante du façonnier (proche du dépôt de bilan en 2007), qui a déjà recruté cinq CDI. À Corbeil-Essonnes, la transformation début février de l’imprimerie Hélio Corbeil (ex-Quebecor) en une Scop de 80 salariés a aussi bénéficié d’une avance régionale de 150 000 euros remboursables (8 % du financement total).

Le capital-transmission réhabilité. Mais, sur le marché de la cession-reprise de PME, plus que la formule coopérative portant une majorité de salariés aux manettes, c’est la technique du LMBO (leverage management buy-out, pour financement d’acquisition par emprunt) mettant en scène une poignée de cadres adossés à un fonds de capital-transmission qui a le vent en poupe. Merci encore à la crise ! Elle a remis en selle cette technique et ses acteurs longtemps décriés pour exiger une rentabilité telle de leurs investissements qu’elle finissait par entraver la croissance, voire assécher les comptes de l’entreprise rachetée.

Faire appel aux fonds de capital-transmission ne fait plus peur », souligne Hugo Hentz, du cabinet Fidal, à Nantes. « Depuis que l’accès au financement bancaire classique s’est durci, ils incarnent la solution. Ils se sont quasiment institutionnalisés et assagis, attendant plus longtemps que les cinq années habituelles avant de revendre leurs participations », précise l’avocat, qui distingue la transmission en Scop, « plutôt dans des entreprises à tradition syndicale », de celle en LMBO, toujours menées dans des sociétés en bonne santé, lors d’opérations financières plus importantes. Souvenez-vous du bulletin de bonne santé brandi, l’an passé, par l’Association française des investisseurs en capital (Afic): « Plus de 80 % des participations sous LBO n’ont rencontré aucun problème de dette en 2010 ! » Bref, tout va bien au pays des entreprises sous LMBO. « La crise, si elle peut susciter de l’attentisme, n’a pas modifié l’analyse du risque. Nous continuons d’investir », note Éric Dejoie, associé fondateur du cabinet MBO Partenaires, qui intervient auprès de PME familiales en croissance, valorisées entre 5 et 75 millions d’euros.

Mais boucler le montage financier n’est pas l’unique défi posé aux salariés, même en période de crise. Encore faut-il qu’ils sachent que la société est à vendre. Une gageure. Il y a dix ans, l’Afic conseillait déjà de « favoriser la participation des salariés » pour booster les rachats sous LMBO. Aujourd’hui, c’est la CG Scop qui réclame, entre autres réformes, un droit de préemption pour les salariés en cas de cession de leur entreprise (voir encadré). L’enjeu est de taille vu le nombre de PME (quelque 40 000) en passe de changer de mains pour cause de papy-boom chez leurs dirigeants. Un grand mercato qui concernerait, selon Oséo, 300 000 emplois par an ! Sachant qu’« un ancien salarié de l’entreprise a deux fois plus de chances de réussite qu’un repreneur extérieur », on mesure tout l’intérêt qu’il y a à améliorer le taux de transmission interne, évalué, selon les études, entre 15 et 32 %. À peine.

FORMULES
SCOP

Société coopérative et participative

Société de type SA ou SARL.

Associés (minimum)

2 dans une SARL, 7 dans une SA.

Capital minimal

30 euros pour une SARL, 18 500 euros pour une SA.

Gouvernance

Les associés salariés détiennent 51 % du capital social et prennent collectivement les décisions, selon le principe « une personne = une voix ». Dirigeant élu.

Résultat

Réparti entre les salariés (sous forme de participation représentant, en moyenne, 40 à 45 % des bénéfices), les associés salariés (sous forme de dividendes) et l’entreprise (16 % du résultat minimal mis en réserve).

Fiscalité

Exonération de la taxe professionnelle et de l’impôt sur les sociétés pour la fraction des bénéfices distribuée au titre de la participation.

LMBO

Leverage management buy-out

Acquisition par emprunt.

Principes

Les cadres créent, avec un investisseur, une holding qui s’endettera pour acquérir des parts ou des actions de la société cible autant que la capacité d’autofinancement de celle-ci le permet. La holding n’est capitalisée qu’à hauteur du solde du prix d’acquisition.

Avantage

Peu d’apport en fonds propres pour les acquéreurs.

Inconvénient

Le recours à l’endettement peut brider le développement.

Fiscalité

Régime de l’intégration fiscale, diminuant le bénéfice imposable du nouveau groupe du montant des frais financiers engendrés par la dette.

SUCCÈS
CHÈQUE DÉJEUNER
Gage de stabilité

Chiffre d’affaires en hausse (290 millions d’euros), effectifs en augmentation (+ 22,6 % depuis 2008)… Avec ses 2 130 salariés, le Groupe Chèque Déjeuner fait rougir d’aise le mouvement coopératif. Car le numéro trois mondial bataillant face à des poids lourds comme Sodexo est géré par une Scop, propriété de 360 associés salariés qui élisent leur dirigeant.

Il n’y en a eu que deux depuis 1964 : le fondateur, Georges Rino, de FO, et Jacques Landriot, déjà cinq mandats. « Le statut coopératif est un gage de stabilité. Nous n’avons de comptes à rendre qu’à nos salariés actionnaires », dit-il. De quoi expliquer la poursuite des investissements, que le statut favorise. 45 % des résultats passent, ici, en provisions pour investissements.

CERALEP
Solidarité locale

Pas question d’accepter la liquidation ! En 2004, 53 des 92 salariés de ce fabricant d’isolateurs en porcelaine de Saint-Vallier (Drôme), emmenés par les élus CGT du CE, décident de racheter sous statut Scop leur usine, propriété d’un fonds de pensions américain. Problème, ils ne rassemblent que 50 000 euros quand le double est nécessaire. Commerçants, amis, collectivités…, l’entourage est appelé à la rescousse et 800 contributeurs apportent en quelques jours le complément. Une solidarité payante. Ceralep, seul sur le marché de la haute tension, a renoué avec les bénéfices et recruté 10 salariés.

GROUPE CEGOS
Un barrage contre les rachats

Confronté à deux tentatives de rachat en 2005, le groupe de conseil et de formation a organisé la ­riposte en misant sur son actionnariat salarié (un tiers du capital détenu par les salariés et un autre tiers par les anciens salariés). Début 2006, le groupe monte un LMBO avec 118 managers français et étrangers (6,5 millions d’euros déboursés), les salariés français apportant 10,5 millions d’euros en transférant leur épargne vers un nouveau FCPE. En 2010, le groupe (1 300 salariés) réitère l’opération, cette fois pour financer son développement et en ouvrant 15 % de son capital au fonds Axa Private Equity !

ACTICALL
Des sous pour grandir

Se donner les moyens d’une expansion. Voilà comment les fondateurs d’Acticall, Laurent Uberti, Olivier Camino et Arnaud de Lacoste, présentaient, en 2003, le rachat du spécialiste de la relation client (500 salariés, deux centres d’appels) à son actionnaire Europ@web. Ils en reprenaient le contrôle à 55 %, via un LMBO réalisé avec XAnge et MBO Partenaires. Près de dix ans après, Acticall, toujours contrôlé par ses fondateurs, au côté de Creadev (famille Mulliez), est l’un des leaders, avec ses 5 300 salariés répartis dans 14 sites.

RATÉS
SEAFRANCE
Naufrage, faute de financement

Pour les juges, le projet de Scop SeaFrance, porté par la CFDT Maritime Nord, n’aura pas été l’option « crédible, robuste, acceptable » permettant la reprise de la seule compagnie de ferrys transmanche battant pavillon français ! Faute d’y avoir trouvé le financement « nécessaire pour le redémarrage de l’activité » sur un marché ultraconcurrentiel, ils ont prononcé le 9 janvier la liquidation définitive de la filiale SNCF, dans le rouge depuis 2008.

Ni le soutien inattendu d’Eurotunnel, qui a proposé de racheter trois des quatre bateaux pour les louer à la Scop, ni la promesse de la Région d’engager 10 millions d’euros remboursables n’ont fait pencher la balance.

Peu réaliste, la proposition, élaborée sans l’aide du réseau coopératif, conservait quatre navires et tout le personnel (sauf 12 cadres dirigeants) aux mêmes conditions de salaire et de travail. Début février, le syndicat préparait une version light avec… 550 salariés. Restait à séduire quelques-uns des 570 SeaFrance déjà licenciés, auxquels la CFDT demande d’apporter 5 000 euros en sus des 25 000 euros de prime de création d’entreprise promise dans le cadre du plan social pour lancer la Scop.

CEGELEC
Au service de la rentabilité

« Le plus gros LMBO jamais réalisé en Europe »: 796,4 millions d’euros ! L’ex-division d’Alstom spécialisée dans les services d’énergie et d’électricité (24 000 salariés dans 24 pays) prend son indépendance en juillet 2001. Pour ce rachat, l’équipe de direction s’associe à deux fonds, CDC Entreprises et Charterhouse, qui prennent chacun 45 % du capital de la nouvelle entité. Mais seuls 82,5 millions d’euros sont déboursés, le reste étant financé par des obligations et des emprunts sur neuf ans. « Notre priorité a été de privilégier la rentabilité et non la croissance », a souligné Claude Darmon, alors P-DG de Cegelec, pris dans des rachats successifs (LBO France en 2006, le fonds Qatari Diar en 2008). La réduction des coûts a contribué au retour de la rentabilité. Bas salaires, milliers de licenciements individuels sans plan social, l’intersyndicale CGT-CFDT-CFTC-FO-CFE/CGC-UTG dénonce « un pillage organisé de l’entreprise pour ramener de l’argent aux financiers » lorsque, fin 2009, Cegelec intègre le groupe Vinci.

CARI
Survalorisée ?

« Une situation financière plus dégradée que ses comptes ne l’avaient laissé apparaître. » Voilà pourquoi le groupe de BTP Fayat a engagé en 2010 une action en justice, six mois après le rachat de Cari. Incriminé ? Le LMBO mené chez Cari en 2004, remboursé avant l’heure.

74 %

Taux de survie des Scop à trois ans (66 % pour les autres selon l’Insee)

2 000 à 3 000 euros

Ticket d’entrée moyen des salariés lors du démarrage d’une Scop.

1,0%

Part des projets de Scop qui voient le jour.

Source : réseau coopératif.

Informer les salariés de la vente ?

Si nous avions eu du temps… »

Pas un projet avorté de Scop où l’on n’entende cette antienne.

Encore dernièrement chez Petijean, près de Troyes, l’ex-leader mondial de mats d’éclairage, 66 bougies et 535 salariés, menacé de liquidation fin 2011, qui vient de passer sous pavillon saoudien début 2012.

Son huitième rachat en vingt-cinq ans ! Fralib à Gémenos, Hebdoprint à Lomme, Hélio à Corbeil-Essonnes…

Les représentants des salariés de 10 entreprises « en crise », cherchant pour beaucoup une issue dans le statut coopératif, évaluaient, début février à l’Assemblée nationale, le projet de proposition de loi porté par Sylvie Mayer, responsable de l’économie sociale et solidaire au PCF, et par son réseau AP2E (Agir pour une économie équitable). Un projet déjà intégré au programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon pour le Front de gauche. L’objectif ? Systématiser un droit de préemption pour les salariés en cas de cession de leur entreprise, à l’image de ce qui existe dans le logement, tout locataire devant être informé par son propriétaire s’il décide de vendre. Ce qui lui laisse la possibilité de se positionner pour l’achat. Si l’initiative est soutenue par la CG Scop, elle est boudée par FO, la CFDT et la CGT, et inquiète la CGPME qui craint un allongement du processus de reprise (une année en moyenne). « Il est délicat de forcer le secret des affaires, nécessaire à toute négociation », renchérit Hugo Hentz, chez Fidal. Autre bémol, ce droit de préemption est inopérant dans de nombreux cas.

Comme celui des filiales de groupes dépourvues de force commerciale, de la propriété des marques ou des brevets, et donc privées de capacité autonome de rebond.

A.F.

Auteur

  • Anne Fairise