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Idées

Faut-il réformer le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle ?

Idées | DÉBAT | publié le : 01.03.2012 |

Dans son rapport annuel, la Cour des comptes pointe le déficit de 1 milliard d’euros du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle, qui concerne 100 000 bénéficiaires, et recommande d’augmenter les cotisations des employeurs et de distinguer les techniciens des artistes.

Laurent Berger Secrétaire national de la CFDT.

Une nouvelle fois, le régime des intermittents du spectacle refait surface. Le rapport annuel de la Cour des comptes pointe derechef les annexes 8 et 10 comme un sous-ensemble du régime d’assurance chômage qui coûte très cher. La Cour parle de la « persistance d’une dérive » et chiffre le déficit induit par ces annexes à un tiers du déficit de l’année 2010.

À l’heure où le régime d’assurance chômage connaît une aggravation de son déficit, il est légitime d’analyser les raisons de cette situation et les dispositifs qui la provoquent. Pour les ma­gistrats de la Cour des comptes, les règles d’indemnisation prévues par les annexes 8 et 10 « sont très favorables au regard du droit commun de l’assurance chômage ». Cependant, la question de ces annexes dépasse le cadre de l’assurance chômage. Il ne s’agit pas seulement d’un problème d’indemnisation. Il s’agit en plus du financement de la politique culturelle de notre pays.

Une sorte d’hypocrisie entoure ce régime. Tout le monde est prêt à critiquer les signataires de la convention d’assurance chômage, et au premier rang d’entre eux la CFDT, qui laisseraient dériver le système. Dans le même temps, ce même « petit monde », dont les ministères de la Culture successifs et les collectivités locales organisatrices de festivals, voudrait aussi s’en prendre à ces signataires quand ils décident de remettre de l’ordre au motif que toucher aux annexes, c’est remettre en cause la culture. Que les choses soient dites : la CFDT considère que la culture est un élément essentiel de notre démocratie. Elle doit être soutenue, il en va de la responsabilité de l’État et de la puissance publique. La CFDT considère aussi que ce ne sont pas les seuls salariés du privé qui doivent financer ce secteur, mais que la politique culturelle doit être payée par l’ensemble des revenus.

Le déficit de l’Unedic s’est encore creusé en 2011 et les prévisions laissent entrevoir une nouvelle aggravation du déficit du régime d’assurance chômage pour l’année 2012. La CFDT sera vigilante pour que la plupart des chômeurs ne soient pas sacrifiés sur l’autel de l’irresponsabilité de l’État. Le courage, ce n’est pas de stigmatiser les chômeurs, mais d’assumer le ­financement de la culture pour ne pas le faire reposer sur les seuls salariés du privé.

Pierre-Michel Menger Directeur de recherche au CNRS et à l’Ehess, auteur des Intermittents du spectacle. Sociologie du travail flexible. Éditions de l’Ehess, 2011.

Ce régime a été conçu pour couvrir un risque inhabituellement élevé de chômage, dans un système d’emploi au projet. Depuis le début de la période de croissance des secteurs du spectacle et de l’audiovisuel, dans les années 80, l’essentiel des emplois créés l’a été sous forme intermittente. Mais ce qui n’a pas été compris, c’est que l’intermittence nourrit un système de croissance déséquilibré. À mesure que l’emploi intermittent s’est développé, les effectifs ont augmenté plus vite que la quantité de travail que les artistes et les techniciens se partageaient, avec des contrats dont la durée moyenne a été divisée par quatre. Et le recours au chômage indemnisé a augmenté plus vite que le travail rémunéré. Paradoxe étonnant pour un secteur en croissance !

Au gré des renégociations de la convention d’assurance chômage, on cherche à freiner le déséquilibre des comptes du régime des intermittents, en durcissant les règles d’indemnisation ou d’éligibilité. Sans succès et avec une conflictualité maximale. Ma proposition s’inspire de la loi sur l’indemnisation des accidents du travail de 1898. Il s’agit de moduler les cotisations des employeurs à l’assurance chômage en fonction de l’intensité d’utilisation des personnels travaillant par intermittence. Il est assez simple d’établir pour chacun un compte qui indique, d’une part, les dépenses d’indemnisation qu’a engendrées le recours à des salariés intermittents et, d’autre part, les cotisations qu’il a versées. Au lieu de disperser sa demande de travail auprès de personnels variés sans se soucier de leur consommation des droits à indemnisation, l’employeur qui veut améliorer son compte peut recentrer ses embauches sur un nombre plus restreint d’intermittents qui travailleront davantage et passeront moins par le chômage. Les secteurs ayant des caractéristi­ques différentes, des classes de risque de chômage seraient introduites, et l’on tiendrait compte de la taille des entreprises, comme pour les accidents du travail.

Enfin, l’employeur peut aussi solliciter les acteurs publics, au titre de la politique culturelle, pour obtenir le remboursement d’une fraction des surcotisations qu’engendrera une tarification modulée de ses cotisations. Il négociera en fonctiond’objectifsetselon une base de données précise sur son activité. Ainsi, l’information serait symétrique au sujet des comportements des salariés comme des employeurs.

Jean Voirin Secrétaire général de la FNSAC CGT.

Nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous avons d’ailleurs élaboré despropositions de réformes dont les premières remontent à 1993. En 2000, nous avons aussi conclu avec la Fesac, qui regroupe la quasi-totalité de nos employeurs, un accord interbranches sur l’assurance chômage des salariés intermittents du spectacle et de l’audiovisuel. Sans autre forme de procès, le Medef a refusé de l’examiner et, au terme d’un simulacre de négociations, a signé un protocole en 2003, pour l’essentiel reconduit en 2006, très largement contesté par les professionnels, et qui n’a rien réglé.

Nos propositions de réformes reposent sur trois grands principes : un dispositif spécifique au sein du régime interprofessionnel d’assurance chômage, le versement d’un revenu de remplacement – et non pas de complément – au titre des périodes de chômage, une indemnisation équivalente pour un salaire et un volume d’activité annuels égaux en fonction des barèmes sociaux en vigueur et des conventions collectives. C’est pourquoi il faut revenir sur le protocole d’accord de 2003 qui a renforcé la précarité de nombreux artistes, réalisateurs et techniciens sans régler la question de la « permittence ». Les grandes lignes de ces propositions alternatives, qui n’ont fait l’objet d’aucun examen au sein de l’Unedic, ni même des pouvoirs publics, se résument ainsi : une annexe unique, une commission de suivi, d’interprétation et de validation composée des organisations professionnelles représentatives, le retour à cinq cent sept heures sur douze mois pour l’ouverture des droits, des règles de coordination entre les annexesetlerégimegénéral,un décalage mensuellisible,étantpréciséque,lorsquele nombre de jours travaillés dans un mois a été supérieur à vingt-deux, il n’y a pas d’indemni­sation, la suppression de la franchise annuelle et le plafonnement du cumul ­salaire-allocation chômage.

S’agissant des ressources, nous préconisons la suppression des abattements (20 % ou 25 % pour les artistes, 20 % pour certains techniciens), l’abandon du doublement des cotisations employeurs et salariés, qui pénalise indistinctement l’emploi, et l’instauration d’une surcotisation sur la part patronale au titre du recours aux CDD. Enfin, et pour tenir compte de certaines rémunérations élevées sur de très courtes périodes de travail, l’élargissement de l’assiette des cotisations jusqu’à 8 fois le plafond de la Sécurité sociale au lieu de 4 actuellement.