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Les traitements décrochent

Enquête | publié le : 01.03.2012 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les traitements décrochent

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Entre désindexation et gel du point d’indice, les salaires des fonctionnaires se sont tassés et dévalorisés. Et les primes introduites par la RGPP sont très inégalement réparties. Mais remédier au malaise demande des moyens que les finances publiques n’ont pas.

Gelés ! Depuis 2011, le point d’indice, l’élément socle de la rémunération des trois fonctions publiques, est figé dans le marbre. Sa dernière revalorisation date de 2010 avec un timide + 0,5 %. Sur le papier, les fonctionnaires français n’ont pas vu leur rémunération baisser, à l’instar de leurs homologues portugais, britanniques ou espagnols. Mais ils ont bien participé aux économies nécessaires pour redresser les comptes publics et le malaise est palpable au sein de la fonction publique. Plus aucun accord salarial n’a été signé par les organisations syndicales depuis 1998. « Nous prenons comme référence la valeur du point au 1er janvier 2000. La seule valable selon nous. Celle-ci s’est dépréciée de 11 % par rapport à l’inflation, pointe Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’UGFF CGT. Et le gel du point d’indice accroît ce décrochage. »

Un repli que le gouvernement a tenté de corriger en 2009 avec la garantie individuelle du pouvoir d’achat (Gipa). Décidé unilatéralement par le gouvernement, ce mécanisme de rattrapage analyse l’évolution du salaire durant les quatre dernières années des personnels en fin de grade ou de corps. Si le gain salarial est inférieur à l’inflation, les agents touchent un reversement forfaitaire. En 2009, 91 000 agents de la fonction publique territoriale ont perçu en moyenne 427 euros au titre de la Gipa, et 55 000 agents de d’État ont reçu, en moyenne, 796 euros.

Pour l’ensemble des organisations syndicales, la politique salariale mise en œuvre n’est plus tenable. Il devient urgent de reconstruire les grilles indiciaires. « Aujourd’hui, un agent d’exécution, catégorie C, est recruté au smic. Après treize ans de carrière, il aura gagné 19 euros mensuels net. À l’autre bout, un cadre de catégorie A, titulaire le plus souvent d’un master, est rémunéré 14 % au-dessus du smic. Il y a vingt ans, il était rémunéré 75 % au-dessus du smic. La politique de désindexation et de gel du point d’indice conduit à une véritable smicardisation et à une non-reconnaissance des qualifications des fonctionnaires », souligne Jean-Marc Canon. « Le gel du point d’indice et le rattrapage du smic sur le bas des grilles indiciaires ont dangereusement tassé ces dernières, pointe de son côté Mylène Jacquot, secrétaire générale adjointe de l’Uffa CFDT. Cela crée une vraie frustration et favorise la surenchère. La seule façon de voir son salaire revalorisé est de changer de catégorie. »

Ce constat, le ministère ne le nie pas. « La situation des finances publiques de notre pays ne nous permet pas d’envisager à court ou moyen terme une revalorisation globale des grilles indiciaires. Nous restons persuadés qu’une réflexion plus globale devra s’ouvrir après l’élection présidentielle sur la structure d’ensemble des rémunérations dans la fonction publique », indique Jean-François Verdier, le directeur général de l’administration et de la fonction publique.

Les fonctionnaires n’ont pas non plus échappé à la grande lessiveuse de la RGPP qui s’est traduite par un mouvement d’individualisation croissante. Quand, d’un côté, le traitement indiciaire a été gelé, de l’autre, la part indemnitaire qui recouvre les primes individuelles s’est envolée. « En 1991, pour l’équivalent de 1 000 euros de salaire mensuel brut versé, les fonctionnaires percevaient 120 euros de primes. En 2010, cette part variable atteignait en moyenne 220 euros », décrypte Jean-Marc Canon. Soit, en moyenne, 22 % de la rémunération des fonctionnaires. « C’est un vrai gain de pouvoir d’achat car les cotisations sociales se font sur la part indiciaire », vante Jean-François Verdier, le DGAFP.

Mais, derrière ces chiffres, les réalités sont très disparates. De nombreuses communes, par exemple, ne versent que les primes légales comme l’indemnité de résidence ou encore le supplément familial de traitement, faute de budget. Dans certains ministères, dont Bercy, la part variable des cadres A + représente aujourd’hui plus de 60 % de leur rémunération. Les enseignants, le gros des troupes de la fonction publique d’État, perçoivent moins de 10 % de primes malgré les heures supplémentaires.

Le chantier de l’harmonisation des primes n’a pas encore débuté. Le coût serait intenable pour les finances publiques, déjà dans le rouge. Le ministère a cherché à rendre plus transparentes ces primes en les fusionnant au sein de la PFR – pour prime de fonctions et de résultats. Avec l’instauration de la PFR, les syndicats pressentent une baisse des salaires à moyen terme. « En pratique, elle n’a pas encore conduit à des baisses de rémunération. Mais les textes sont clairs. La part variable sur les résultats pourra osciller sur une échelle de 0 à 6 et celle sur la fonction de 1 à 6 », précise Anne Baltazar pour FO.

« Retours catégoriels ». Faute d’argent dans les caisses de l’État, les primes existent à masse salariale constante. La PFR comme la prime d’intéressement à la performance collective produisent des surcoûts. En partie financés grâce aux « retours catégoriels ». Dans le jargon de la fonction publique, les économies réalisées par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux dont le gouvernement s’était engagé à reverser une partie aux fonctionnaires. Ces diverses primes se mettent donc lentement en place au sein des ministères.

Instaurée en 2010, la PFR concerne pour le moment 55 000 agents des filières administratives. « Début 2013, nous devrions atteindre les 170 000 agents. Nous terminerons son déploiement par les filières techniques, note Jean-François Verdier. Quant à la prime d’intéressement à la performance collective, elle n’a pas de caractère obligatoire. Nous incitons les ministères à réfléchir aux indicateurs collectifs. » Seuls la police nationale et Bercy ont adopté cette prime, instaurée par Nicolas Sarkozy en 2006 dans ce dernier ministère. Force est de constater qu’elle ne suscite pas un enthousiasme débordant de la part des administrations.

4,63 euros brut

C’est la valeur du point d’indice au 1er janvier 2012 Source : ministère de la Fonction publique.

Hélène, 42 ans, professeure de français dans un lycée public de Seine-et-Marne

“Je suis prof depuis 1993. J’ai gagné entre 6 500 et 7 000 francs les trois premiers mois, puis 8 000 francs les neuf mois suivants. Je suis passée du 3e au 4e échelon deux ans après. Depuis 1993, je n’ai été inspectée que deux fois. Mais cela m’a permis de gagner neuf ans et six mois sur un enseignant qui aurait progressé à l’ancienneté. On peut donc se retrouver en salle des profs avec un collègue plus âgé mais dont le salaire piétine. Aujourd’hui je suis à l’échelon 10 (sur 11). Je gagne 2 517 euros net. J’ai le droit à 46 euros par mois pour mes trajets domicile-travail. Je dois effectuer deux heures supplémentaires par mois. En salle des profs, c’est très mal vu d’en demander. Mais j’entends de plus en plus d’enseignants se plaindre et s’inquiéter de ne pas pouvoir financer les études de leurs enfants. Ce qui me choque, c’est la médiocrité des à-côtés. On paie nos crayons, nos cahiers, le papier et l’ordinateur qui servent à notre travail, et lorsqu’on a besoin de faire une photocopie, on vient nous réclamer 10 centimes.”

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy