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Le raz de marée des réseaux sociaux d’entreprise

Dossier | publié le : 01.03.2012 |

Encore réservés à de rares entreprises high-tech il y a deux ans, les réseaux d’entreprise se développent à toute allure. Ils répondent à un véritable besoin de partage des connaissances. Mais peuvent déstabiliser les hiérarchies traditionnelles.

Il y a deux ans, les entreprises disposant de leur propre réseau social se comptaient sur les doigts de la main. Aujourd’hui tout le CAC 40 est équipé : le réseau social est devenu l’excroissance naturelle de l’annuaire et de l’intranet », observe Alain Garnier, P-DG de l’éditeur Jamespot et auteur, avec Guy Hervier, du Réseau social d’entreprise, paru en 2011 aux éditions Hermes Lavoisier. Aux États-Unis, le mouvement est spectaculaire : « Le taux d’équipement des entreprises a littéralement explosé. Il atteint 40 % dans le secteur des services. L’éditeur Yammer compte déjà 1 million d’entreprises clientes. » En France, le cabinet de conseil Lecko, qui vient de publier sa quatrième étude sur les réseaux sociaux d’entreprise, estime la croissance du marché à 60 % par an.

Ce raz de marée s’explique aisément. Alors que 72 % des salariés français utilisent les réseaux sociaux à titre personnel, d’après l’enquête réalisée en janvier par la Cegos auprès de 1 200 salariés, ils aspirent à trouver les mêmes fonctionnalités dans leur entreprise. La plupart des applicatifs métiers se sont dotés, au fil des années, de fonctions relevant plus ou moins du Web 2.0 : forum, blog, wiki (base de données collaborative), CMS (outils de partage de documents)… « Les systèmes d’information sociaux se construisent pas à pas », observe Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko, qui a recensé et cartographié pas moins de 162 usages et fonctionnalités !

Pas à pas et, le plus souvent, en ordre dispersé, si bien que plusieurs couches et différents systèmes finissent par s’empiler. Ce n’est pas forcément une mauvaise formule : « Quand une direction crée son propre outil, elle est certaine qu’il correspond réellement à ses besoins, ce qui garantit l’adhésion des équipes, commente Arnaud Rayrole. Mais, au bout d’un moment, les collaborateurs finissent par se plaindre de devoir gérer leur profil sur plusieurs réseaux. » Quant aux services informatiques, ils n’aspirent qu’à une chose : faire le ménage dans une flopée d’outils sur lesquels ils n’ont pas la main et qui peuvent poser des problèmes de sécurité. La rationalisation devient inéluctable…

La genèse du réseau social déployé chez Devoteam courant 2010 en est la parfaite illustration : « Pendant dix ans, les équipes ont créé des communautés de pratiques et développé des plates-formes de travail collaboratif en fonction de leurs besoins, se souvient Élise Bruchet, manager knowledge management, collaboration et réseau social. En 2009, nous avons senti que nous arrivions aux limites de ces outils, compte tenu de notre croissance. » Le groupe de conseil en stratégie et en infrastructure est en effet passé en quatorze ans de zéro à 5 000 salariés. « Le comité exécutif nous a demandé de trouver un outil pour mutualiser les intelligences. Avant de le choisir, nous avons lancé une enquête interne pour évaluer les aspirations et les freins », poursuit-elle. Les salariés, notamment le middle management, ont ainsi exprimé la crainte que les contributions au réseau ne soient pas assez valorisées. Les community managers se sont donc vu attribuer un budget leur permettant de dégager du temps pour animer leur communauté (ce qui fait expressément partie de leurs objectifs) et pour encourager leurs collaborateurs à contribuer. Résultat : 4 500 personnes environ se connectent chaque semaine et 40 % d’entre elles apportent au moins une contribution.

Émanation des directions métiers. Un réseau ne vit en effet que s’il est animé par des community managers et si les collaborateurs y participent activement en échangeant des données, en travaillant de façon collaborative, en postant des messages… C’est souvent par là que les réseaux venus « du haut », c’est-à-dire imposés par la direction, finissent par pécher. Pour réellement fonctionner, un réseau doit être l’émanation des directions métiers, seules capables de mobiliser la ligne hiérarchique. Car le management intermédiaire ne voit pas forcément d’un bonœil ces outils : « Les managers doivent accepter l’idée que le pouvoir ne repose plus sur la détention de l’information, explique Isabelle Reyre, directrice associée du cabinet Arctus, qui a créé dès 1999 l’Observatoire des DRH et de la e-transformation. Les outils de partage d’informations génèrent de nouvelles façons de travailler. Il faut donc accompagner le management intermédiaire. » « Quitte à ralentir le déploiement du projet si nécessaire, ajoute David Guillocheau, directeur de Talentys Consulting. Il faut absolument laisser le temps aux équipes de s’approprier les outils qu’ils seront amenés à faire vivre. »

Rarement moteurs dans ce genre de projet, les DRH peuvent même devenir de véritables freins à leur déploiement. Dommage, car « les réseaux sociaux sont potentiellement de formidables outils d’identification des talents et de gestion des carrières, estime Alain Garnier, P-DG de Jamespot. Mais les DRH ont tellement de mal à se positionner face à ce type de projet qu’ils finissent par n’intervenir que sur un point : la définition du profil des utilisations. Ce n’est pas très enthousiasmant ! ».

D’autant qu’ils veulent imposer une vision normative et restrictive des profils strictement calquée sur ? l’organigramme de l’entreprise : le contraire du 2.0, reposant sur une certaine liberté de parole. « Moins corsetés par les contraintes légales, les DRH ­anglo-saxons comprennent mieux cet enjeu », commente Isabelle Reyre. Dans cette veine, le réseau lancé récemment par EDF, qui a donné toute latitude à ses salariés dans l’expression de leurs compétences. Le résultat ne s’est pas fait attendre : en quelques mois, pas moins de 60 000 collaborateurs se sont inscrits.

La peur d’éventuels dérapages fait sourire Bart Schutte, directeur digital learning chez Saint-Gobain : « Nos collaborateurs ne sont pas idiots. Ils ne vont pas s’amuser à tenir des propos qui pourraient nuire à l’entreprise ou à leur carrière. » « Dès lors qu’ils peuvent être identifiés, les utilisateurs ne peuvent pas se permettre d’écrire n’importe quoi », ajoute Isabelle Reyre. Au contraire, la libération de la parole peut faire émerger des profils atypiques, difficilement identifiables : « Chez Cisco, le blog le plus suivi n’est pas celui du patron mais celui d’un expert en sécurité des réseaux », note David Guillocheau. Certains geeks introvertis peuvent ainsi devenir de véritables leaders d’opinion et d’expertise. Il n’est alors nul besoin de mettre en place un système de reconnaissance des contributions : le nombre de visiteurs et de commentaires postés en fait des stars ! Stars de l’entreprise et, pourquoi pas, de son réseau de partenaires : clients, fournisseurs, prestataires, parties prenantes… L’avenir est désormais aux réseaux « étendus » tel que l’imagine le groupe Altran : « Nos deux réseaux – l’un destiné aux commerciaux, l’autre aux experts – fonctionnent bien, commente Sandra Valmier, directrice marketing. Nous envisageons aujourd’hui de les ouvrir vers l’extérieur, pour donner davantage de visibilité à nos experts. » Le réseau étendu est effectivement une tendance identifiée par le cabinet Lecko, avec une ouverture possible sur les réseaux sociaux grand public : « La problématique de la gestion des données personnelles devient alors plus délicate », admet Arnaud Rayrole, son directeur général. Mais c’est incontestablement le sens de l’histoire.

Espaces de travail. L’ouverture des réseaux sur l’extérieur ira sans doute de pair avec leur déploiement dans des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. « Pour le moment, ils sont très présents dans les grands groupes et les jeunes entreprises en forte croissance », observe Isabelle Reyre. Mais « les PME commencent à se rendre compte qu’en matière de travail collaboratif elles ont des problématiques assez similaires aux grandes entreprises », explique Rémy Wilders, président de KMB Partners, qui développe des solutions Saas (software as a service) à destination des PME. À la différence des grandes entreprises, elles se posent d’emblée la question de l’ouverture de leur réseau à leurs partenaires : « Un cabinet d’architecte, un expert-comptable ou un avocat veulent pouvoir travailler en mode collaboratif avec leurs clients ou leurs fournisseurs. Les utilisateurs du réseau peuvent donc créer un espace de travail dans lequel ils invitent des personnes dûment identifiées avec lesquelles ils travaillent en temps réel sur un même document ou un même projet », poursuit Rémy Wilders. Cela ne remplacera évidemment jamais les rencontres physiques : « Les outils collaboratifs permettent de mener des projets d’envergure réduite (l’organisation d’un colloque, par exemple) ou de partager des bonnes pratiques », souligne David Guillocheau, directeur de Talentys. Ils facilitent la circulation de l’information et s’affranchissent des distances et du décalage horaire. Mais, pour assembler les pièces d’un avion ou partager il faudra toujours se rencontrer dans la vraie vie…

Sous l’œil du Code du travail et de la Cnil

La mise en œuvre d’un réseau social d’entreprise est soumise aux dispositions de l’article L. 2323-13 du Code du travail qui prévoit que : « Le comité d’entreprise est informé et consulté préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail. » De plus (article L. 2323-14), « lorsque l’employeur envisage de mettre en œuvre des mutations technologiques importantes et rapides, il établit un plan d’adaptation […] transmis, pour information et consultation, au comité d’entreprise ». Enfin, les modalités de gestion des données personnelles des membres du réseau doivent faire l’objet d’une déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).