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Politique sociale

L’Italie tentée par la flexisécurité à la danoise

Politique sociale | publié le : 01.02.2012 | Philippe Guérard

Contrat unique et salaire minimum en cas de licenciement, les grands axes du projet Monti pour doper et assouplir le marché du travail n’ont rien de cosmétique. Sa négociation avec les partenaires sociaux s’annonce délicate.

Les comptes publics mis au carré par un énième plan de rigueur et la réforme des retraites votée au Parlement juste avant Noël : l’Italie de Mario Monti entend désormais se concentrer sur la relance de la croissance économique. À peine le traditionnel plat de lentilles du réveillon avait-il été avalé que le gouvernement s’est retroussé les manches pour réformer le droit du travail. Selon lui, la récession qui a commencé à frapper le pays impose à celui-ci d’améliorer sa compétitivité par plus de souplesse dans les rapports entre employeurs et salariés.

Ainsi, quatre ans après avoir agité la France, le modèle danois de la flexisécurité se retrouve au cœur du débat public de l’autre côté des Alpes. Ce sera même le sujet de 2012. Il s’agit d’un chantier de « modernisation » et non de « libéralisation », a tenu à préciser le président du Conseil des ministres début janvier. « Nous procéderons sans dogmatisme et sans tabou, en concertation étroite avec les syndicats », a-t-il promis. Toutefois, l’action de l’exécutif ne se cantonnera pas à l’« énoncé de grands principes », car des objectifs précis doivent être fixés d’ici au mois de mars en termes de création d’emplois « véritables et durables ».

Il faut dire que le chômage frappe plus de 27 % des moins de 24 ans, rappelait récemment l’Institut national de la statistique (Istat). Et que, plus globalement, le taux d’emploi des Italiens en âge de travailler est inférieur à 57 %, contre 64 % en France et 72 % en Allemagne. Pour les femmes, il est même de seulement 46 %.

Derrière les appels au « pragmatisme » de Mario Monti, c’est donc bien une réforme de fond qui se prépare. Premier sujet: la simplification. Rome veut faire le ménage parmi la cinquantaine de contrats de travail qui coexistent actuellement dans la Péninsule. Chargé de ce délicat dossier, la ministre du Travail et des Politiques sociales, Elsa Fornero, a prononcé le mot qui fâche dès la mi-décembre: le contrat unique. « Il permettrait de faire revenir peu à peu sur le marché du travail les personnes qui en sont aujourd’hui exclues, et le CDI ne bénéficierait plus seulement à une frange de la population hyperprotégée », a-t-elle expliqué. Les cheveux des leaders syndicaux se sont dressés sur leur tête, et quelques mouvements de grève préventifs furent organisés.

Un CDI unique accessible au bout de trois ans. Depuis, l’accès de fièvre est retombé et un processus de négociation a été engagé entre responsables politiques et partenaires sociaux. Concrètement, on réfléchit à l’instauration d’un contrat à durée indéterminée (CDI) auquel le salarié accéderait au terme d’un parcours professionnel de trois ans. Un parcours « d’apprentissage », dixit le gouvernement, au cours duquel l’intéressé acquerrait progressivement des droits. S’il venait à être licencié durant cette phase transitoire, il aurait droit à une indemnité compensatrice. « Le système qui fonctionne est celui qui permet aux jeunes d’entrer sur le marché du travail avec un vrai contrat et non un contrat précaire », estime Elsa Fornero. Aux yeux de la ministre, néanmoins, la période probatoire de trois ans s’ouvrira avec des droits très réduits pour ceux qui commencent leur carrière professionnelle, « en raison de leurs besoins en formation ». Traduction : « Le parcours démarrera avec un revenu bas, qui augmentera ensuite en fonction de la productivité. »

La CGIL, première confédération d’Italie, ne l’entend pas de cette oreille. « Il faudrait réduire le nombre de contrats et avant tout rendre ceux qui sont flexibles plus coûteux que les CDI », explique sa secrétaire générale, Susanna Camusso. « Ce serait le moyen de mieux financer la protection sociale », ajoute Raffaele Bonanni, son homologue de la centrale chrétienne CISL.

Pour la Confindustria, équivalent transalpin du Medef, le contrat unique tel qu’il est envisagé est la bonne solution. En revanche, le second volet de la réforme, celui qui consisterait à instaurer un salaire minimum garanti en cas de licenciement, comme le prévoit l’assurance chômage à la française, est un casus belli pour sa présidente, Emma Marcegaglia. « En raison de ses conséquences onéreuses, ce dispositif n’a pas le soutien des entreprises », a-t-elle expliqué. Tout juste le patronat est-il disposé à étudier la mise en place d’une indemnité dite « de réinsertion » qui serait financée à 10% par les employeurs et à 90% par l’Institut national de la prévoyance sociale (les Assedic italiennes).

Sujet sensible. Concernant la méthode, le gouvernement Monti marche sur des œufs. Pour le moment, il n’envisage que des expérimentations territoriales au travers d’accords-cadres, et ce jusqu’en 2015. Les régions de Vénétie, du Trentin et de Calabre sont candidates. Elsa Fornero, qui enseignait l’économie à l’université de Turin avant d’être nommée ministre, multiplie les consultations, consciente de la sensibilité du sujet. Instruite, aussi, des précédentes tentatives avortées. En 2010, Silvio Berlusconi avait essayé de toucher au célèbre article 18 du Code du travail, lequel sanctionne les licenciements abusifs en obligeant les employeurs à réintégrer les salariés évincés sans motif valable en leur versant une compensation financière à titre de réparation. À l’époque, Giorgio Napolitano, le président de la République issu des rangs communistes, avait fait barrage en refusant de signer le projet de loi. « Il faut que le gouvernement Monti sache que nous resterons intraitables sur l’article 18 », martèle la patronne de la CGIL, Susanna Camusso. Mario Monti est prévenu.

57 %

C’est le taux d’emploi des Italiens en âge de travailler en 2011. Il est de 64,5 % en moyenne dans l’Europe des 27.

Source : Istat, Eurostat.

Francesco Borgomeo Président d’Area Industrie Ceramiche, une PME romaine. Il a repris début 2010 deux usines à Châteauroux et Forbach.
« Les salariés français sont mieux protégés »

La France stimule-t-elle plus l’em­bauche que l’Italie ?

La grande différence, c’est la loi dans un cas, l’absence de loi dans l’autre. En France, tout est réglementé de façon parfois rigide mais très claire. En Italie, c’est la libre négociation entre les parties qui prévaut. Cela donne plus d’espace à la négociation. Si les relations sociales dans l’entreprise sont bonnes, tout le monde y gagne. En revanche, dès qu’il y a des tensions ou absence de dialogue, l’obtention d’un accord est impossible. Moi qui travaille des deux côtés des Alpes, je peux vous dire que les salariés français sont mieux protégés qu’en Italie.

Le gouvernement Monti a-t-il raison de prôner contrat unique, salaire minimum et système de prévoyance uniforme ?

La réforme n’est pas encore très claire et je ne suis pas sûr qu’un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité aurait un impact direct sur la croissance économique. L’entreprise qui investit pour former ses salariés n’a pas forcément intérêt à en changer au gré des fluctuations de ses carnets de commandes. En revanche, la conjoncture impose que les PME soient mieux soutenues à l’export et encouragées à maintenir leur production en Europe. Des domaines où la France est là encore plus performante que l’Italie. Et puis il est urgent de résoudre le problème de l’accès au crédit. Ce sont les banques qui freinent la croissance. Pas les entreprises.

Auteur

  • Philippe Guérard