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Idées

Les accords de compétitivité à l’allemande sont-ils transposables en France ?

Idées | DÉBAT | publié le : 01.02.2012 |

Bien que le sommet social du 18 janvier n’ait pas abordé le sujet, le gouvernement veut promouvoir les accords collectifs liant salaire, temps de travail et emploi. Quitte à modifier le Code du travail pour qu’ils s’appliquent sans le consentement individuel de chaque salarié.

Gilles Koléda Directeur d’études à COE-Rexecode.

Il existe de fortes différences entre les durées du travail effectives annuelles des salariés à temps plein au sein de l’Union européenne. D’après les chiffres issus de l’enquête sur les forces de travail fournis par l’institut européen de statistique Eurostat, la durée effective annuelle moyenne de travail des salariés à temps plein est ainsi de 1679 heures en France en 2010 contre 1904 heures en Allemagne, 1 856 heures au Royaume-Uni ou 1 813 heures en Italie. En faisant le lien entre la durée du travail, le taux d’emploi et le pouvoir d’achat, nous pouvons distinguer les différentes stratégies d’emploi mises en œuvre dans les pays européens ainsi que leurs conséquences macroéconomiques. L’exemple allemand est caractérisé par un « partage du travail » réussi. L’Allemagne a encouragé la négociation d’entreprise, le développement du temps partiel et une baisse limitée de la durée effective du travail. Cela a permis une augmentation du taux d’emploi et des gains de pouvoir d’achat de sa population entre 1999 et 2010. En France, le passage aux 35 heures a fait baisser fortement la durée du travail des salariés (à temps plein et à temps partiel) au cours de la dernière décennie sans pour autant stimuler de façon significative le taux d’emploi global et en bridant le pouvoir d’achat moyen.

La stratégie française n’a donc pas permis de tirer parti de l’atout majeur de la France que constitue son dynamisme démographique. Si la stratégie suivie au début de la dernière décennie a fait perdre du potentiel à la France, il n’est pas trop tard pour en tirer les leçons. À l’exemple de l’Allemagne, les ajustements spontanés et négociés de la durée du travail s’avèrent plus efficaces pour la hausse du taux d’emploi que la baisse réglementaire de la durée légale. Il est primordial de rétablir un fonctionnement fluide et efficace du marché du travail et de mettre en place des réglementations de l’emploi moins restrictives.

Les partenaires sociaux doivent pouvoir négocier sur les trois variables du triptyque emploi-durée du travail-salaire en fonction des contraintes et des enjeux de leurs entreprises ou de leurs branches. C’est sur la base de ce type d’accord d’entreprise que l’Allemagne a su concilier gains de compétitivité et maintien de l’emploi dans la dernière décennie. Une libération de la durée du travail grâce à des accords d’entreprise conduirait à une augmentation du taux d’emploi et du pouvoir d’achat en France.

Marcel Grignard Secrétaire général adjoint de la CFDT.

Les arbitrages « emploi, salaire, temps de travail » ne sont pas une nouveauté, et plus d’une équipe CFDT s’est déjà engagée dans cette voie. Mais leur généralisation ne s’improvise pas, et faire de l’accord collectif un acte s’imposant à tous les salariés mérite de prendre quelques garanties. C’est un dialogue social de qualité sur les enjeux économiques et sociaux qui permet aux élus du personnel d’apprécier si les informations sur la situation de l’entreprise sont sincères et si les efforts demandés sont équitablement répartis et vont bien pérenniser l’emploi. Dit autrement, il faut une gouvernance des entreprises où la place respective du social et de l’économique soit équilibrée. Peut-on souhaiter des accords de compétitivité au nom de la pérennité de l’entreprise et refuser la transparence sur les salaires des dirigeants ? Et ceux qui demandent aux organisations syndicales de s’engager dans cette voie doivent faire preuve d’un peu de cohérence, ne pas demander aux uns une remise en cause de leur taux de salaire horaire et défiscaliser les heures supplémentaires des autres.

L’accroissement de l’autonomie de la négociation d’entreprise ne doit pas conduire à l’accroissement des inégalités et à un effritement des garanties collectives. La situation en Allemagne, régulièrement montrée en exemple avec raison pour la qualité de son dialogue social, doit nous alerter : l’absence de garanties générales (légales ou interprofessionnelles) aboutit à un accrois­sement de la pauvreté avec des salariés payés jusqu’à 3 euros l’heure. Pour cette raison, la véritable révolution du rapport entre intérêt individuel et intérêt collectif que constituerait une législation considérant que l’accord collectif peut l’emporter sur le contrat de travail individuel doit être organisée dans un cadre interprofessionnel. Celui-ci doit fixer des garanties minimales intangibles et définir le champ, l’ampleur et la durée, à préciser au niveau des branches, des évolutions possibles par accord d’entreprise. Les partenaires sociaux prennent souvent beaucoup de temps pour faire bouger les choses. Parfois trop. Mais une caractéristique des vrais changements est de se construire dans la durée. Ce n’est pas toujours ce que proposent les responsables politiques obsédés et contraints parlecourttermeet les échéancesélectorales. C’est pourtant une condition indispensable pour réussir des réformes structurelles porteuses d’avenir.

Michel Husson Chercheur à l’Ires.

Échanger le maintien de l’emploi contre une baisse de rémunération, telle est au fond la logique des accords compétitivité-emploi. La référence allemande, souvent évoquée, est difficilement transposable. En Allemagne, il existe une forme de connivence entre partenaires sociaux. Les accords comportent des garanties solides et sont assortis d’un droit de regard des syndicats sur la stratégie de l’entreprise. Cette « qualité du dialogue social » fait défaut en France, où plusieurs exemples récents montrent au contraire que ce type d’accords ne fait souvent que repousser les échéances. L’exemple le plus frappant est celui de Continental, où les salariés ont accepté des baisses de rémunération et des aménagements du temps de travail qui n’ont pas empêché les licenciements. Le risque est grand également que les donneurs d’ordres imposent à leurs sous-traitants la signature de tels accords, en exerçant un chantage indirect à l’emploi.

Il faut savoir aussi que les salariés allemands ont vu leur pouvoir d’achat à peu près gelé depuis plusieurs années. En dehors des noyaux durs industriels, on a assisté à une montée impressionnante des emplois à temps partiel et des très bas salaires. Cet arrangement n’est donc pas gagnant-gagnant et sa transposition en France aurait des effets récessifs, parce que l’activité économique y est tirée par la consommation, à la différence de l’Allemagne. Par rapport à l’arsenal dont disposent déjà les entreprises françaises (annualisation, chômage partiel, CDD, intérim, heures supplémentaires), la vraie innovation serait juridique. Dans l’état actuel du Code du travail, de tels accords impliqueraient une modification substantielle du contrat de travail, nécessitant l’assentiment individuel de chaque salarié. Pour contourner cette contrainte, il faudrait une réforme du droit du travail que le Premier ministre vient d’annoncer, mais qui laisse peu de place au dialogue social que le sommet était censé relancer.

On oublie trop souvent que les dividendes sont aussi un élément du prix et donc de la compétitivité. Mais l’actionnariat est le grand absent du projet. On pourrait pourtant concevoir des pactes comportant un volet de « modération actionnariale ». Comment, en effet, demander aux salariés d’accepter une baisse de rémunération si les dividendes continuent à être distribués au même rythme ? Plus fondamentalement, la période ouverte par la crise pose à nouveau la question d’un statut du salarié assurant la continuité du revenu et des droits.