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Contre le chômage, l’alternance ne peut pas tout

Enquête | publié le : 01.02.2012 | Anne-Cécile Geoffroy

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Contre le chômage, l’alternance ne peut pas tout

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Objectif : 800 000 contrats en 2015 ! Pour l’exécutif, l’alternance est devenue une arme contre le chômage. Mais la progression des contrats concerne davantage les étudiants du supérieur que les jeunes en CAP.

Satisfaite ! Nadine Morano n’hésite pas à poster un tweet pour annoncer les derniers chiffres sur le recours à l’alternance : + 8,3 % dans les onze premiers mois de 2011. Une bouffée d’oxygène après deux ans de baisse consécutive. Il faut dire qu’elle ne ménage pas ses efforts : campagne de communication auprès des chefs d’entreprise, des jeunes, des familles, site Internet recensant pas moins de 25 000 offres… La ministre met aussi les préfets sous pression pour qu’ils multiplient les conventions avec les organisations patronales. Les Régions ont par ailleurs signé leur convention d’objectifs et de moyens avec l’État tout en maugréant contre cette politique du chiffre. Car la visée est ambitieuse. Nadine Morano attend 800 000 alternants d’ici à 2015 et rêve à plus long terme du million. La loi Cherpion, votée le 28 juillet 2011, pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels a également contribué à l’amélioration en ciblant les entreprises de plus de 250 salariés. Elle porte le quota légal d’alternants de 3 % à 4 % de l’effectif et instaure un système de bonus-malus. Dans les grandes entreprises, ce quota est largement dépassé. « Nous accueillons 500 alternants par an et nous en recrutons 150. Nous sommes à plus de 5 % d’alternants », note Marie-Christine Théron, la DRH de SFR. Tout reste à faire dans les PME autour de 200 salariés.

Derrière cette mobilisation, un credo : la lutte contre le chômage des jeunes. « Les politiques se sont vraiment emparés de l’alternance ces dix dernières années. C’est leur potion miracle pour améliorer l’accès au travail des jeunes », souligne Gilles Moreau, sociologue et spécialiste de l’apprentissage à l’université de Poitiers. De fait, selon le Cereq, la probabilité pour les jeunes apprentis d’être en emploi trois ans après la fin de leur formation est de 7 points supérieure à celle des jeunes issus d’une formation classique. Du coup, le gouvernement cherche à développer l’alternance pour les demandeurs d’emploi. Avec la prépa­ration opérationnelle à l’emploi (POE), ceux-ci peuvent désormais intégrer une entreprise via un contrat de professionnalisation. Hair Thalasso Picardie vient ainsi de signer 15 contrats de professionnalisation en CDI pour des CAP d’onglerie et de coiffure.

En général, c’est plutôt l’activité économique qui dope l’alternance. « Ce ne sont pas les contrats de professionnalisation qui réduisent le chômage mais le retour à la croissance », note Laurent Clavel, directeur d’Opcalia Languedoc-Roussillon. « Cette année, nous avons stabilisé la baisse des effectifs grâce aux développeurs de l’apprentissage qui ont démarché les entreprises qui n’y avaient jamais eu recours, explique Daniel Munoz, directeur de la formation au CCCA-BTP. Nous avons perdu 1,5 % d’apprentis en 2011. Il y a deux ans, nous en perdions 10 %. » Mais il se montre très inquiet pour 2012. Selon la dernière enquête d’Agefos PME, seules 7 % des entreprises prévoient d’avoir recours à l’apprentissage. Elles étaient 24 % en 2011.

Preuve que le gouvernement reste prudent, un décret du 30 décembre permet aux centres de formation de garder pendant un an et non plus trois mois les jeunes apprentis qui n’auraient pas décroché de contrat. Ils deviendront stagiaires de la formation professionnelle et ne grossiront pas les rangs des demandeurs d’emploi. « L’essentiel du boom des dernières années est dû à l’enseignement supérieur qui pompe une partie de la taxe d’apprentissage dont bénéficiaient auparavant les CFA préparant au CAP ou au bac pro, assure Gilles Moreau. À ces niveaux de formation, l’apprentissage sauve de nombreux jeunes mal à l’aise dans le système scolaire, ceux qui ont le plus de mal à intégrer le marché du travail, contrairement aux diplômés des grandes écoles. » L’augmentation des financements dédiés à l’apprentissage d’ici à 2015 dans le cadre d’une récente réforme permettra-t-elle de corriger ces effets négatifs ? En tout cas, c’est une alternance à deux visages qui est en train de s’installer entre les grandes et les petites entreprises, et entre les diplômés du supérieur et les titulaires d’un CAP.

Naziha 20 ans

Ingénieure support chez SFR

“L’apprentissage, c’est d’abord un choix personnel, car je ne me voyais pas faire trois ans d’études sans expérience à l’issue. Et financier, car je n’avais pas les moyens de me payer une scolarité à l’Isep. J’ai intégré SFR en 2008 à la division exploitation des services, puis à la direction des innovations. Et j’ai été embauchée deux ans plus tard ! Sans l’apprentissage, je n’aurais pas cet amour du travail. Au sortir de l’école, les choses étaient concrètes pour moi, je savais ce que je voulais faire et je n’aurais pas accepté n’importe quoi. Grâce à lui, je me suis trouvée.”

Valentin 20 ans

En première année de BTS fluides, énergie environnementale, au Centre des formations industrielles (CCIP), apprenti chez Cofely (filiale de GDF Suez), à Torcy, en Seine-et-Marne

“Après un BEP de plombier et un bac pro de chauffage et climatisation, je commence un BTS en maintenance des systèmes de climatisation. C’est un métier technique. J’avais besoin d’un contact avec le terrain. Je ne me voyais pas rester huit heures les fesses posées sur une chaise. L’alternance était la meilleure solution. C’est très enrichissant, c’est aussi plus dur car on suit le même nombre d’heures qu’un BTS classique. Je peux comparer tout le temps ce que j’apprends au lycée et ce que je fais en entreprise. Cette première expérience m’aidera à mieux me vendre auprès d’un employeur et, financièrement, c’est bien. Je gagne 800 euros par mois.”

Gérard Cherpion (UMP) et Jean-Patrick Gille (PS)
“L’alternance est une bonne mesure d’insertion”

Députés et spécialistes des questions d’emploi et de formation professionnelle. Ils ont coécrit un rapport d’application sur la loi du 24 novembre 2009

Les entreprises respectent-elles le quota de 4 % d’alternants imposé par la loi de juillet dernier ?

Gérard Cherpion : Un bon nombre d’employeurs de 250 salariés et plus respectait déjà ce seuil bien avant l’adoption de la loi. La loi a surtout permis de moduler les sanctions et de prendre en compte les efforts faits. Les niveaux supérieurs augmentent sans peser sur les formations les moins qualifiantes. Mais tant qu’on n’aura pas bloqué les freins culturels, l’alternance ne progressera pas. Pour certaines familles et enseignants, elle n’est pas encore considérée comme une voie de réussite et d’excellence.

Jean-Patrick Gille : La politique du chiffre ne suffit pas ! Pas plus que les exonérations supplémentaires ! Je suis réticent au développement de l’alternance dans l’intérim, car cela contribue à fragiliser l’image du dispositif. L’apprentissage ne doit pas devenir un sous-emploi. C’est un vrai contrat de travail ! Il y a deux points à surveiller : le taux de rupture, en moyenne de 20 % et même de 40 % dans l’hôtellerie-restauration. Et la question de l’emploi des seniors, gros échec des politiques menées depuis des années. Très peu de contrats de professionnalisation les concernent. En complément, nous réfléchissons donc à un dispositif de soutien qui valoriserait leur fonction tutorale, sur le modèle du contrat de génération de François Hollande. Enfin, il ne faut pas négliger le 1,2 million de jeunes des lycées professionnels. Plutôt que de les opposer aux milliers d’alternants, créons des passerelles entre les dispositifs.

Est-ce le meilleur remède contre le chômage, comme le suggère le gouvernement ?

G. C. : Six mois après la fin de leur formation, 80 % des jeunes sont en emploi, avec un salaire généralement supérieur à celui des parcours classiques. L’alternance leur met le pied à l’étrier.

J.-P.G. : En voulant faire du chiffre avec les 800 000 apprentis, le gouvernement pense lutter contre le chômage des jeunes.

Mais l’alternance ne crée pas d’emplois ! C’est une bonne mesure d’insertion, mais je redoute un effet crise qui aurait pour conséquence de ralentir le niveau des embauches et les transformations en CDI.

Ne redoutez-vous pas une alternance à plusieurs vitesses ?

G. C. : Il est certain qu’il faut des passerelles, l’ascenseur social doit continuer à fonctionner. Cela demande un effort, du côté des employeurs, mais des jeunes également. J’espère que la souplesse prévue par la loi leur permettra de se former tout au long de la vie.

J.-P. G. : L’alternance souffre des mêmes clivages que ceux qui existent sur le marché du travail. Les grandes entreprises possèdent certes une direction de l’alternance, elles jouent le jeu de la formation, mais pas toujours celui du recrutement. Mon inquiétude porte plus sur les entreprises de 30 à 250 salariés, car elles n’ont pas forcément les moyens de s’organiser. Il faut prévoir une prise en charge particulière, car accueillir un apprenti pendant deux ans, ça peut être perturbant. Mais c’est également en cela que c’est formateur. Pour le jeune comme pour l’entreprise.

Propos recueillis par Emmanuelle Souffi

Gérard Cherpion 63 ans

Député UMP des Vosges depuis 2002, conseiller régional de Lorraine depuis 1992, membre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il est à l’origine de la loi sur le développement de l’alternance de juillet dernier.

Jean-Patrick Gille 50 ans

Député socialiste d’Indre-et-Loire depuis 2007, président de l’Union nationale des missions locales et du CFA de Tours, membre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy