Décidément, le succès des Économistes atterrés, du nom du collectif rassemblant 2000 universitaires et chercheurs opposés aux plans d’austérité partout prescrits en Europe, ne se dément pas. Il n’a fallu qu’une semaine après sa sortie en librairie, début janvier, pour que leur dernier essai, Changer d’économie ! Nos propositions pour 2012 (éd. Les liens qui libèrent), devienne un best-seller. Leur éditeur table sur un succès au moins similaire à celui de leur Manifeste. Bien loin des scores habituels des ouvrages économiques, ce texte fondateur, qui décortique dix fausses évidences sur la crise et la dette en Europe, s’est déjà écoulé à 80 000 exemplaires depuis novembre 2010… alors qu’il est disponible gratuitement sur Internet ! Et chaque jour apporte son lot de contributions (des traductions en espagnol, croate, coréen) et de nouvelles signatures en ligne (plus de 5 300), parmi des universitaires ou des simples citoyens, à gauche de l’échiquier politique. Même un maire MoDem l’a paraphé !

Le large écho rencontré par leurs appels à en finir avec le capitalisme financiarisé n’en finit pas de surprendre les « pères » des Atterrés qui, à eux quatre, balaient tout le champ théorique de la critique du néolibéralisme (postmarxiste, post­keynésien…) et bien au-delà. C’est tout l’inédit, et la prouesse, du mouvement. Directeur de recherche au CNRS, l’économiste du travail Philippe Askenazy (les Décennies aveugles. Emploi et croissance, 1970-2010, éd. Seuil, 2011) n’appartient pas au camp des hétérodoxes, ces économistes rejetant l’efficience des marchés. Comme Thomas Coutrot, chef du département conditions de travail et santé à la Dares. Comme Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l’Observatoire français des conjonctures économiques, ou André Orléan, théoricien de la finance et directeur de recherche au CNRS (l’Empire de la valeur. Refonder l’économie, éd. Seuil, 2011), également président de l’Association française d’économie politique (Afep), qui se bat pour la reconnaissance du pluralisme dans l’analyse économique.

La crise grecque demi-2010 a fait bouger les frontières. Un déjeuner entre Philippe Askenazy, « gauche centriste » revendiquée, et Thomas Coutrot, coprésident d’Attac, révèle une convergence d’analyses dans le diagnostic du naufrage européen. La naissance des Atterrés se précise lors d’une tablée élargie, en juin, au moment du vrai-faux sauvetage de la Grèce par Bruxelles et le FMI. « La souffrance qui est imposée aux citoyens au nom d’impératifs économiques dépourvus de fondements scientifiques est intolérable. La gravité de la situation appelle les intellectuels à s’investir dans le débat public », explique Philippe Askenazy. Il en a converti d’autres, tel Michel Aglietta. « L’engagement citoyen n’est pas incompatible avec une autonomie de la pensée critique », plaide André Orléan, pas connu, non plus, comme pétitionnaire invétéré. Leurs divergences (sur les moyens de traiter la dette publique ou la nature de la croissance à initier), les Atterrés les assument, les exposant même dans Changer d’économie. C’est une force pour Henri Sterdyniak, qui parle de « coopérative intellectuelle ». Elle fonctionne à plein : deux livres (sur la démondialisation et la création monétaire) sont attendus en 2012. « Notre vocation, c’est de travailler sur les dissensus. Nous arriverons, je l’espère, à les dépasser », renchérit Thomas Coutrot. « Un renouveau conceptuel est nécessaire », martèle Philippe Askenazy.

Chose certaine, les Atterrés ne s’enga­geront dans aucune écurie présidentielle, soucieux d’abord d’éclairer le choix des citoyens. Il y a, et aura, matière. « Les politiques menées ne faisant qu’aggraver la crise, nous serons de plus en plus sollicités », pronostique Henri Sterdyniak. Rien qu’en 2011, les Atterrés ont animé une soixantaine de réunions publiques…

Crée en septembre 2011 par la mise en ligne d’un manifeste réclamant une autre politique économique.