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Vie des entreprises

Ikea soigne mieux ses salariés, Confo les paie plus

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.01.2012 | Rozenn Le Saint

Moins de temps partiels à Conforama qu’à Ikea, des vendeurs payés à la commission, mais mieux… En revanche, les méthodes de management du « pays où la vie est moins chère » sont plus stressantes.

À la compta, elles étaient quatre, elles ne sont plus que deux aujourd’hui. Comme dans tous les magasins Conforama, les locaux administratifs de celui du Pont-Neuf, à Paris, sont à moitié vides. Dans le cadre du plan de départs volontaires et de mobilité de 2009, une partie des services a été décimée (500 postes supprimés), au profit de la vente. « Nous voulons que la majorité de nos équipes magasins soit en contact avec les clients », justifie Pascale Rus, la DRH. Les vendeurs constituent près d’un tiers des effectifs de l’enseigne en France : ils sont environ 2 900 sur 9 200 salariés en tout. « Grâce à des passerelles métiers, près de 300 personnes ont pu changer de profession. La plupart ont évolué vers la vente », selon la DRH.

Mais ce que vante Pascale Rus, les syndicats le contestent : « La seule perspective pour les comptables a été de devenir vendeurs ou caissiers. Leur niveau d’employabilité n’a pas été maintenu », regrette Didier Morin, délégué syndical central FO à Conforama, qui dénonce aussi une pénurie d’effectifs parmi les magasiniers. En mars 2011, le groupe Pinault-Printemps-Redoute (PPR) a revendu l’enseigne au groupe sud-africain Steinhoff. Pour Didier Morin, « les techniques de management n’ont pas changé depuis le rachat. Les cadres supportent de moins en moins de devoir fliquer les salariés » (voir encadré page 43).

Fronde inédite. Chez le concurrent suédois Ikea, les magasins portent encore les stigmates du vent de protestation qui a soufflé à la fin de l’hiver 2010. Les salariés se sont mis en grève à l’appel des trois principaux syndicats (CFDT, FO et CGT) pour demander une augmentation de salaire collective de 4 %. Une première depuis l’implantation dans l’Hexagone du géant du meuble en kit, en 1981. De quoi écorner la réputation de cette entreprise classée parmi les family friendly. Depuis, un poste de directeur des relations sociales a été créé et Sabine Fasanelli a été promue à la tête des ressources humaines de l’enseigne en France. De cette fronde, le personnel n’a retiré que 2 % d’augmentation. « Cela a été ressenti comme une forme de mépris et d’humiliation », estime Ahmed Dar Alia, délégué syndical CFDT.

En tout cas, la troisième enseigne de distribution préférée des Français derrière Picard et Amazon continue de faire un carton. Les effectifs ont doublé en cinq ans, pour atteindre dans l’Hexagone 9 700 collaborateurs. Elle est devenue le numéro un de l’ameublement en France, raflant au passage la première place à Conforama. « Le développement a été fulgurant en vingt ans, peut-être trop rapide. Les structures RH n’ont pas été assez consolidées. Il y a eu beaucoup de besoins en personnel, donc on a embauché en masse, mais nous manquons de personnes compétentes aux bons endroits », juge Ahmed Dar Alia. Et ce n’est pas fini : alors qu’elle compte 29 magasins aujourd’hui, l’enseigne vise la barre des 40 en 2020.

La marque suédoise est encore loin des 193 points de vente Conforama, mais ce n’est pas non plus l’objectif fixé. Les deux concurrents reposent sur des modèles économiques radicalement différents. Du coup, le métier de vendeur n’a rien à voir dans les deux enseignes. Alors que chez Conforama, il est centré sur le conseil au client et la vente pure, chez Ikea, la manutention accapare une bonne partie du temps. « Le modèle Conforama est basé sur la proximité. Elle est forte puisqu’il y a près de sept fois plus de magasins éparpillés sur le territoire, de 3 000 à 8 000 mètres carrés, estime Gil Dubar, directeur du magasin du Pont-Neuf. Chez Ikea, on est plus dans l’hyper. »

15 kilomètres par jour. Et pour cause. En moyenne, un magasin aux couleurs bleu et jaune s’étend sur une surface de 33 000 mètres carrés, dont 24 000 pour la vente. Nabil Agmaih, 31 ans, est vendeur au libre-service Ikea de Plaisir (Yvelines). Il s’occupe surtout de faire les inventaires et de garnir les rayons : « C’est vrai que les contacts avec la clientèle sont limités puisqu’on est toujours en mouvement. Avec une application sur mon smartphone, j’ai fait le test, je marche environ 15 kilomètres par jour ! » Le contraste avec le premier étage du magasin parisien Conforama est saisissant. La plupart des vendeurs « meuble » sont postés à côté des matelas. Explication du directeur de la boutique : « La literie est un des produits pour lesquels la marge est la plus importante, donc ils restent positionnés là. »

Autre différence de taille entre les vendeurs d’Ikea et ceux de Conforama : les premiers bénéficient d’un salaire fixe, la majeure partie de la rémunération des seconds est variable. Qui s’en sort le mieux ? José Rey Reboredo est bien placé pour répondre. Avant d’arborer l’uniforme bleu et jaune au magasin de Plaisir, il a été vendeur meuble chez Conforama : « Je préfère ne pas être payé à la commission car cela attise les rivalités. Au moins, à Ikea, on ne se tire pas dessus, il y a une vraie cohésion d’équipe. » Reste que travailler au « pays où la vie est moins chère », slogan éternel de Conforama, rapporte plus. Le salaire mensuel brut moyen d’un vendeur est de 2 350 euros brut (treizième mois inclus, hors participation), contre 2 137 euros (treizième mois, intéressement et participation inclus) à Ikea. Au niveau le plus bas, les vendeurs de Conforama et de son concurrent sont respectivement supérieurs de 10 % et 8 % au smic.

En guise de prime de fin d’année, le numéro deux de l’ameublement en France offre une gratification équivalente à un second treizième mois à ses salariés. Mais « comme Conforama travaille de plus en plus sur le discount, les marges se sont réduites. La rémunération stagne depuis une décennie », estime Manuel Marini, de la CGT. Lors des dernières négociations annuelles obligatoires chez Conforama, le ­salaire fixe a été rehaussé de seulement 10 euros. Mais une prime de 200 euros brut a été également accordée, pour faire taire la grogne. À Ikea, les NAO ont abouti à une augmentation générale de 3 %, ­jugée « très décevante » par les syndicats.

À Conforama, les travailleurs dominicaux franciliens reçoivent ce jour-là, en plus de leur salaire, une prime forfaitaire de 60 à 70 euros brut. Du côté de l’enseigne suédoise, les salariés du dimanche sont payés à 225 %. En revanche, Ikea compte deux fois plus de temps partiels (28 % de ses effectifs) que son concurrent direct dans l’Hexagone (13 %). « L’amplitude horaire est importante, notamment avec les ouvertures en nocturne, créées pour satisfaire les clients, justifie Sabine Fasanelli. La moitié des temps partiels est occupée par des étudiants, intéressés par ce type de contrat. Ensuite, ils ont la possibilité d’évoluer. »

Mobilité interne. Tous les postes sont d’abord ouverts en interne chez le distributeur suédois : 80 % des directeurs de magasin viennent du sérail. Être mobile est un facteur déterminant. « En vue des futures ouvertures de magasins, nous avons lancé un programme qui va s’étendre sur deux ans. Les candidats à la mobilité apprennent le métier en binôme avec un responsable », indique la DRH France. Chez Conforama, près de huit postes sur dix sont aussi pourvus en interne. Une carotte pour donner envie de rester, car l’enseigne enregistre un turnover de l’ordre de 12 %, contre 15 % pour sa rivale.

Entre les deux enseignes, les méthodes de management divergent nettement. Du fondateur d’Ikea, Ingvar Kamprad, on a gardé les devises, inscrites sur les murs des magasins, mais aussi la badgeuse, le tutoiement, le fait de s’appeler par son prénom et un certain jeunisme (la moyenne d’âge y est de 32 ans, contre 38 chez Conforama). « L’état d’esprit suédois est présent. On peut se permettre des petits écarts, comme des retards ou des erreurs, sans être sanctionnés à tout bout de champ », admet le syndicaliste Ahmed Dar Alia, même s’il estime que les conditions de travail ne se sont « pas vraiment améliorées depuis le mouvement de grève, il y a deux ans ». Pour sa part, Manuel Marini, quarante ans au compteur de Conforama, « ne reconnaît plus [son] entreprise ». En tant que délégué syndical central CGT, il reçoit « de plus en plus de courriers de salariés » lui signifiant « un état dépressif lié au travail ». Il craint aussi que la direction taille encore dans les effectifs administratifs en 2012 et qu’ainsi l’histoire se répète. Chez Ikea, les perspectives de croissance de l’entreprise amènent davantage les salariés à se penser un avenir en son sein.

Conforama

Chiffre d’affaires (en France):

2,256

milliards d’euros

Effectif (en France):

9 178

salariés

Principal actionnaire :

Steinhoff International

But et Conforama au coude-à-coude

En 2011, 17 magasins franchisés ont été rachetés et près de 400 salariés ont rejoint la famille But. « Les équipes de vente et de management ont le même ADN But, mais nous prévoyons quand même des formations pour leur arrivée dans le groupe », indique Frank Wendling, DRH de la troisième enseigne de meuble en France. Elle accorde à la formation un budget égal à 3,5 % de la masse salariale ; c’est mieux que les 2,6 % prévus chez Ikea et Conforama. Un tiers est alloué à Campus But, une école de professionnalisation interne qui permet aux vendeurs de devenir chefs de rayon ou concepteurs de cuisines, par exemple.

L’entreprise compte entre 10 et 12 % de personnel à temps partiel, un taux assez faible pour le secteur « mais dont la moitié est subie », regrette néanmoins Pascal Bacon, délégué syndical FO chez But. Comme à Conforama, une partie du salaire des vendeurs est fixe (350 euros brut par mois), l’autre varie en fonction des commissionnements. En moyenne, ils gagnent 2 200 euros brut par mois. En revanche, contrairement à ses concurrents, il n’y a pas de treizième mois chez But.

Comme au « pays où la vie est moins chère », le service après-vente rapporte moins. Il sera externalisé au cours du premier trimestre de cette année. Chez Conforama, entre 2008 et 2010, le nombre d’interventions de SAV a reculé de 25 %. Un argument permettant à la direction d’avancer son projet de faire de son SAV Saveo (aujourd’hui partie intégrante de l’enseigne) une société à part entière qui ouvrirait ses activités à d’autres marques. « Elle serait sous perfusion de Conforama, et non viable économiquement, estime Manuel Marini (CGT), une expertise du cabinet Apex à l’appui. Dans un premier temps, 168 des 400 salariés de Saveo seraient licenciés. » En 2011, But a dépassé les 10 % de part de marché et continue son expansion. En ce début d’année, neuf nouveaux magasins vont ouvrir leurs portes. La politique offensive de Régis Schultz, P-DG de But (et ancien de chez Conforama !), semble porter ses fruits.

R.L.S.

Le listing illégal de Conforama

Après Acadomia, Décathlon et la Macif, c’est au tour de Conforama d’être pris en flagrant délit. « Bon soldat – laborieux », « pas réactif », « mauvais vendeur – ne fait rien – RF [NDLR « rouge foncé », selon les syndicats] CGT »… Tels sont les commentaires nominatifs laissés dans un compte rendu après la visite du directeur régional dans le magasin de Leers (Nord), le 6 septembre dernier… À la grande surprise d’un salarié qui a trouvé ce fichier quelques jours plus tard.

En plus des commentaires subjectifs « ignobles », selon Manuel Marini (CGT), et de la mention, illégale, de l’appartenance syndicale d’un employé, ce fichier révèle que la technique dite de la « stratégie des alliés » est utilisée chez Conforama. Elle consiste à classer les salariés selon un code couleur, le vert correspondant aux alliés de la direction et favorables au changement, l’orange aux partenaires potentiels, le rouge aux récalcitrants, et le rouge foncé (RF) aux rebelles.

Les managers de Conforama ont suivi cette formation de 2006 à au moins 2009, année de l’annonce du plan de mobilité et de départs volontaires. « Cette stratégie est utilisée pour accompagner le changement. On entend dire qu’elle est manipulatrice, qu’elle colle des étiquettes, mais ce n’est pas une classification fixe, elle évolue en fonction des différents projets », justifie Benoît Pommeret, consultant chez Cegos, qui dispense cette formation à des managers de la distribution, mais aussi des compagnies d’assurances, et même de Pôle emploi. Il déconseille en tout cas de communiquer sur ce genre de typologie.

D’autant plus qu’un tel listing enfreint la loi informatique et libertés car « les commentaires et le système de couleur ne reposent pas sur des critères objectifs. En plus, les salariés n’ont pas été informés de l’existence de ce fichier », analyse Yann Padova, secrétaire général de la Cnil. « Il est possible que des managers utilisent toujours cette méthode d’animation, mais la stratégie des alliés ne fait plus partie de la politique nationale de l’entreprise », affirme Pascale Rus, DRH de Conforama depuis 2008.

Pour autant, si les syndicats portaient plainte, comme ils l’envisagent, l’enseigne pourrait être inquiétée en tant que personne morale, selon Nathalie Métallinos, avocate chez Bird & Bird : « Elle est à l’origine de cette formation. Elle aurait dû mettre en place des mesures pour éviter que les managers l’utilisent depuis qu’elle l’a abandonnée. » Pour étayer leur dossier, les syndicats ont déclaré ouverte la chasse aux fichiers de ce type.

R.L.S.

Auteur

  • Rozenn Le Saint