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Politique sociale

Diplômés étrangers : l’accès à l’emploi se ferme

Politique sociale | publié le : 01.01.2012 | Peggy Corlin

Voie royale de l’immigration choisie, la carte « compétences et talents », qui autorise des diplômés étrangers à travailler en France, n’a jamais décollé. Pis, elle connaît des conditions de plus en plus restrictives.

Lancée en grande pompe en 2006, la carte de séjour « compétences et talents » est loin d’avoir atteint ses objectifs. Alors que 2 000 titres devaient être délivrés les deux premières années, le ministère de l’Immigration en a recensé 5 en 2007, 184 en 2008 et 371 en 2009. C’était pourtant l’un des projets phares de la politique d’immigration choisie de la France : attribuer un permis de travail de trois ans, renouvelable une fois, aux étrangers les plus qualifiés. À une condition : être porteur d’un projet contribuant au « développement économique » ou au « rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire, ou sportif » de la France et du pays dont son titulaire est ressortissant.

« Les deux premières années, les administrations ne savaient pas comment attribuer la carte et apprécier les projets. Il a manqué une impulsion du haut de l’appareil d’État », explique Alexandre George, directeur de Migration Conseil. Il a fallu attendre les premières délibérations de la commission compétences et talents, créée en 2007, pour voir les critères affinés. Pour les entrepreneurs, prévoir un investissement de 300 000 euros ou la création d’au moins deux emplois ; les mandataires sociaux doivent gagner au moins trois fois le smic, et les salariés percevoir un revenu de cadre supérieur. « J’ai quelques clients qui l’ont eue. Mais ils veulent rester discrets. D’autres sont déjà rentrés chez eux, c’est l’une des conditions à l’octroi de la carte. »

Des centaines d’étudiants sur le carreau. Délivré au compte-gouttes, ce titre est l’un des sésames de l’immigration de travail, avec notamment les titres de séjour « scientifique » et « salarié ». La loi de 2007 prévoyait de promouvoir l’immigration professionnelle légale mais, cinq ans plus tard, à l’approche de la présidentielle de 2012, les ambitions gouvernementales retombent comme un soufflé. En avril, le ministre de l’Immigration a annoncé vouloir réduire de 20 000 le nombre de 200 000 travailleurs étrangers admis chaque année. Et ce moyennant quelques contradictions dans les mesures visant à attirer les talents. Ainsi, depuis 2006, la loi offre la possibilité aux étudiants étrangers titulaires d’un diplôme équivalant au master d’effectuer une première expérience professionnelle en France. Mais, dans une circulaire du 31 mai 2011, le gouvernement, arguant du contexte économique difficile, enjoint aux préfectures de limiter « rigoureusement » les autorisations destinées aux étudiants à la recherche de ce premier emploi. En septembre, des centaines d’étudiants, notamment des grandes écoles, se sont retrouvés sur le carreau alors qu’ils avaient des promesses d’embauche.

La liste des métiers dits en tension, ouverts aux étrangers, a diminué de 30 à 14

Nabil Sebti, diplômé de HEC en 2011, rentre au Maroc après le refus de la préfecture de lui accorder un changement de statut, d’étudiant à salarié. Il avait monté une entreprise de services Web qu’il vient de liquider. « J’avais laissé la présidence de l’entreprise à mon associé car, faute de moyens, en tant qu’étranger, je ne pouvais prendre la direction. Je prévoyais de me faire salarier par l’entreprise. » Les délais imposés par les préfectures pour le traitement des dossiers font perdre patience aux entreprises. Avant mai 2011, un changement de statut se faisait en trois semaines. Il faut désormais compter deux à trois mois minimum.

Chez Altran, des jeunes consultants en informatique, déjà dans l’entreprise, ont également buté sur des refus de changement de statut. L’entreprise a mobilisé deux personnes à temps plein pour faire avancer les dossiers à la préfecture. « Si on ne laisse pas immigrer les gens surqualifiés dans lesquels on a investi pour les études, c’est du gâchis », fulmine Vivien de Gunzburg, associé chez Findercod, société de conseil financier. L’entreprise a fait une promesse d’embauche pour le 20 décembre à un étudiant camerounais. Les semaines passent et la préfecture ne donne pas de nouvelles. « Ça fait deux mois et demi que la procédure est engagée. Il a fait ses études supérieures en France, des stages à la Société générale ainsi qu’à la Bank of America. C’est quelqu’un de très qualifié. »

Interpellé par les présidents de grande école et d’université, le Premier ministre François Fillon a promis, le 22 novembre, que le cas de ces étudiants serait réexaminé. Jusqu’en mai, un étudiant étranger ne pouvait se voir opposer la situation de l’emploi en France pour une première expérience professionnelle. Mais, depuis, les préfectures leur appliquent les règles définies pour les cartes de séjour « salarié ». En outre, un arrêté du 12 août dernier réduit à la portion congrue la liste des métiers dits en ­tension, c’est-à-dire en pénurie, ouverts aux étrangers. Initialement limitée à 30 métiers, elle en compte aujourd’hui 14.

Quinze métiers en tension. À la CGT, Francine Blanche se montre très critique : « La liste a été fixée sans concertation avec les partenaires sociaux. Elle ne reflète absolument pas la réalité et reste floue : « cadre d’audit », ce n’est pas un métier, c’est un échelon. » Exit les métiers du BTP et de l’informatique, pour lesquels les partenaires sociaux rapportent des difficultés de recrutement. Dans son enquête 2011 sur les besoins en main-d’œuvre, Pôle emploi, pourtant associé à l’élaboration de la liste du gouvernement, pointe 15 métiers en tension. L’aide à la personne, la restauration, des métiers du secteur médical, les postes d’attaché commercial, ou encore ceux d’ingénieur ou de responsable informatique rencontrent des difficultés de recrutement : ils ne trouvent pas de candidats pour 40 à 60 % des offres. Aucun de ces métiers ne figure sur la liste d’août 2011. Ce nouveau dispositif hypothèque le renouvellement des cartes « salarié » attribuées avant cette date, brouillant les politiques de recrutement des entreprises.

Valables un an même lorsque le travailleur est en CDI, ces titres dépendent strictement du contrat de travail présenté à la Direction du travail. Tout changement de poste au sein de l’entreprise ou sur le marché du travail pouvait déjà, avant cet été, remettre en cause leur renouvellement. « Nous avions trouvé pour une entreprise un ingénieur tunisien en développement informatique dont le profil était excellent. Il n’a pas pu renouveler son titre de séjour professionnel et a dû repartir en Tunisie. La bataille avec la préfecture a duré six mois. Les entreprises ne peuvent pas perdre tout ce temps », se lamente Julie Scali, directrice du recrutement chez Page Personnel. « Et nous subissons ça. La nationalité des candidats m’importe peu, ce sont leurs compétences que je regarde. Or nos clients font machine arrière quand ils ­réalisent les démarches à effectuer. »

Pour recruter un étranger, l’employeur doit prouver qu’il a cherché un candidat dans le bassin d’emploi concerné et, le cas échéant, qu’il n’est pas possible de former rapidement un demandeur d’emploi. Certains pays bénéficient de listes de métiers élargies. La France a ainsi conclu 14 accords de « gestion concertée des flux migratoires ». Le plus large, celui avec le Sénégal, ouvre l’accès à 108 métiers supplémentaires, qualifiés et moins qualifiés. En échange, le pays accepte le retour de ses ressortissants en situation irrégulière et la participation de la France à la surveillance de ses rontières. « En réalité, cela concerne peu de personnes, pointe Francine Blanche. La France ne s’engage tous les ans que sur 1 000 titres “temporaire” ou “salarié” d’un an. Ils sont accordés aux amis des gouvernants. On n’a pas l’impression que c’est fait pour développer une nouvelle élite dans ces pays. »

Une carte bleue européenne pour attirer les talents

Depuis le 6 septembre, les étrangers souhaitant travailler en France peuvent prétendre à la « carte bleue européenne ». Adopté par l’Union européenne en 2009, le dispositif est réservé aux travailleurs pouvant justifier d’un bac + 3 ou d’au moins cinq ans d’expérience professionnelle, dont deux à un poste de haut niveau. Ils doivent en outre présenter un contrat de travail dont la rémunération est égale à au moins 1,5 fois le salaire moyen brut annuel de référence fixé par l’État d’accueil, soit, en France, 51 444 euros. Quelle est la valeur ajoutée de cette carte ? Le titre, renouvelable, est délivré pour trois ans maximum, dans le cadre d’une procédure accélérée de un à deux mois. Après deux ans de travail dans les conditions du contrat présenté pour son attribution, la législation européenne prévoit que l’État peut accorder un droit d’accès à tous les emplois hautement qualifiés du pays, au même titre que pour ses ressortissants nationaux.

Après dix-huit mois, son détenteur peut aussi prétendre à un emploi dans un autre pays de l’espace Schengen. Reste que les États gardent une importante marge de manœuvre : la situation du marché du travail peut constituer un motif de refus.

À l’origine, l’Union européenne voulait attirer des travailleurs très qualifiés, dont elle constatait qu’ils préfèrent généralement les États-Unis, l’Australie ou le Canada. Mais, selon BusinessEurope, représentant le patronat à Bruxelles, les conditions à la venue en Europe des travailleurs très qualifiés restent trop strictes.

Dans un rapport présenté au printemps dernier, l’organisation expliquait que la simplification des procédures d’admission ne suffit pas : « Un ensemble attirant de dispositifs d’éducation, une culture ouverte et des perspectives de long terme pour les individus talentueux sont aussi essentiels. »

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  • Peggy Corlin