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Idées

Peut-on encore faire de la GPEC dans les entreprises ?

Idées | Débat | publié le : 01.01.2012 |

La loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 oblige les entreprises de plus de 300 salariés à engager tous les trois ans une négociation visant à la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Un exercice difficile lorsque les crises s’enchaînent…

Bernard Lemaire DRH de Chronopost

Chronopost a été confronté, en 2007, à une crise majeure : résultats en chute, plan de sauvegarde de l’emploi, départ de salariés… Au cœur de la tempête et des incertitudes économiques internes et externes, la GPEC a constitué un des piliers de la politique RH de l’entreprise en traduisant clairement les conséquences de la nouvelle stratégie à un, deux, voire trois ans, tout en donnant des moyens aux salariés de gérer leur carrière et leur employabilité. Les discussions « à froid » avec les partenaires sociaux ont permis de renouer avec un dialogue et d’établir des relations différentes, moins conflictuelles, plus consensuelles : depuis 2008, deux accords de GPEC ont été négociés et mis en œuvre, couvrant la période de redressement de l’entreprise, de 2008 à 2010, et celle qui a démarré cette année. Ils répondent concrètement à un besoin fondamental individuel de réassurance : pour les managers, à une meilleure visibilité sur leurs objectifs dans le temps ; pour l’entreprise, à une façon d’adapter ses moyens de production tout en assumant sa responsabilité sociale.

Un point essentiel demeure dans ce type de démarche : que l’entreprise ait le courage, sans langue de bois, de faire un effort pour traduire sa stratégie en matière d’évolution des emplois et de dire ce qu’il peut ou va advenir « à terme », et comment, et par quels moyens les salariés pourront anticiper cet avenir. Bien souvent, les échéances d’adaptation « trop courtes » pour les salariés se traduisent par un sentiment d’agression, la mise en place de stratégies ­d’opposition qui handicapent en réalité fortement les résultats, l’adhésion, et se retournent contre l’entreprise. À l’opposé, avoir la volonté d’émettre des hypothèses pour projeter à un an, deux ans, voire plus si possible les changements et les adaptations nécessaires en matière d’organisation et d’emploi permet à tous les ­acteurs de créer les espaces de dialogue et de réflexion suffisamment tôt pour anticiper.

Pour conclure, l’exercice d’une GPEC combat l’incertitude du court terme, force à se projeter dans le temps, donne de la visibilité à tous et crée en fin de compte une dynamique positive. Les résultats actuels démontrent que cette démarche au travers de ces accords de GPEC a été pertinente. Chronopost projette actuellement son activité et ses conséquences en matière d’emploi jusqu’en 2015 !

Gilles Amiet Directeur associé du cabinet OasYs Consultants

C’est le devoir de l’entreprise de s’engager périodiquement sur un exercice de prospective, de le traduire ensuite sur les effectifs qualitativement et quantitativement et, enfin, de projeter ces informations auprès des salariés afin qu’eux aussi fassent l’effort de l’anticipation, et ce avec l’appui de leurs managers », affirmait récemment un juriste. On ne saurait mieux qualifier l’exercice d’« anticipation réciproque ». Quelques faits marquants caractérisent ces cinq dernières années : tout d’abord, la crise malmène les accords de GPEC avec un horizon temporel de prévision explosé et des restructurations à répétition ; la floraison de plans de départs volontaires, calés ou non sur un accord de GPEC, jette le doute sur la vocation de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et sur leur compatibilité avec les accords seniors ; la loi sur la représentativité syndicale a bousculé le mode de contribution des organisations syndicales ; le foisonnement législatif de la période (seniors, RPS, pénibilité…) a généré un cadre de contraintes, de coûts et de sanctions impactant l’activité des DRH, le dialogue social, l’engagement des salariés. Significativement, au sein des nouveaux accords de GPEC, la notion de prévision marque le pas au profit de celles de prospective et d’anticipation. Finalement, la question n’est-elle pas de savoir si l’entreprise a la volonté de s’engager dans une démarche « visiblement » utile ?

Pour avancer dans ce sens, les fondamentaux sont les suivants : qualifier le périmètre de la GPEC au sein de la stratégie et de la politique contractuelle ; fixer une méthode de travail avec les IRP, promouvoir le processus d’info-consultation sur la stratégie afin qu’il soit diffuseur d’information, de pédagogie et de parler-vrai ; qualifier, via la prospective, les catégories d’emploi selon une sémantique adaptée à l’entreprise : stratégiques, sensibles, fragilisés ou menacés ; élaborer un diagnostic annuel explicitant les tendances pour ces catégories d’emploi ; permettre aux salariés de positionner leur employabilité présente et future via l’entretien annuel ; communiquer et rendre accessible à tous le dispositif de GPEC et mobi­liser et professionnaliser IRP et managers. L’exercice n’est pas facile, mais il est porteur de crédibilité auprès des parties prenantes : il exige de la conviction, souvent du courage, et nécessairement une impulsion au plus haut niveau qui a valeur d’engagement.

Michel Parlier Responsable du département compétence, travail et emploi de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail

Les entreprises ont-elles encore intérêt à s’engager dans des démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)? Les mutations permanentes que connaissent nos sociétés n’invalident-elles pas, une fois pour toutes, ce dispositif gestionnaire Le cadre de référence actuel de la GPEC a été apporté par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. La GPEC a partie liée avec la stratégie de l’entreprise sur laquelle prennent appui ses deux registres gestionnaires : l’anticipation des besoins à partir d’un raisonnement basé sur la détermination des facteurs clés d’évolution et de leurs conséquences sur les emplois et les compétences ; l’accompagnement des ressources par des pratiques RH (recrutement, évaluation, formation, mobilité…).

Elle est aussi enjeu de dialogue social tant dans sa conception – elle fait l’objet d’un accord d’entreprise – que dans sa mise en œuvre – des informations concernant les conséquences de la stratégie sur les emplois sont fournies aux représentants du personnel. Toutefois, le qualificatif de prévisionnel ne convient pas : prévoir, c’est risquer d’être immédiatement démenti par les faits. Ainsi, telle entreprise avait fondé son accord récent sur un scénario de croissance avec un programme de fidélisation et de développement de compétences ; elle annonce maintenant des fermetures de sites en Europe. Certes, disposer d’informations quantitatives sur les emplois n’est pas inu­tile pour les services RH, mais avec quel risque d’erreurs ! Et si la GPEC a encore de l’intérêt, c’est parce qu’elle vise conjointement performance et parcours professionnels.

En termes de recherche de performance, être compétent, c’est prendre en charge ce que l’organisation n’a pas réglé d’avance, c’est répondre à l’imprévu, c’est imaginer des solutions qui conviennent pour que le service soit rendu, à la satisfaction du client et dans le respect des normes de gestion. En matière d’élaboration des parcours professionnels, les démarches les plus prometteuses sont celles qui agissent simultanément et durablement sur les capacités des individus à évoluer sur le marché du travail et sur la capacité des organisations du travail à faire le meilleur usage des compétences de leurs salariés et à les entretenir. Pour toutes ces raisons, il s’agit moins de prévoir que de simplement gérer les compétences, c’est-à-dire les mobiliser à bon escient, les développer et les reconnaître.