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Enquête

Pôle emploi au cœur de la crise

Enquête | publié le : 01.01.2012 | Stéphane Béchaux

Depuis la fusion mouvementée de l’ANPE et des Assedic, Pôle emploi a fait du chemin. Mais il peine toujours à offrir un service efficace aux chômeurs. La charge de travail a explosé et continue de grossir. Pour son nouveau patron, la tâche s’annonce ardue.

Immense défi pour Jean Bassères. L’ex-chef du service de l’Inspection générale des finances, qui n’a jamais dirigé une entreprise, prend la tête du mastodonte Pôle emploi et de ses quelque 45 500 salariés. Un établissement public ô combien sensible, né de la fusion de l’Anpe et des Assedic à la fin de l’année 2008. Ce qui l’attend ? « Beaucoup d’ennuis ! » résume son prédécesseur, Christian Charpy, qui s’avoue « soulagé de faire autre chose » tout en assurant clore « une des expériences professionnelles les plus excitantes de [sa] vie ». Difficile pour un haut fonctionnaire de trouver job plus exposé. La persistance du chômage ? C’est lui ! Les mauvaises conditions de travail des agents ? Aussi ! La piètre qualité du service rendu ? Encore !

Les trois premières années de Pôle emploi ont été particulièrement tumultueuses. Conçu en période d’embellie économique, le projet de fusion a été mis en musique en pleine explosion du chômage. Un combat sur deux fronts intenable. « La montée très forte de la charge de travail a percuté les chantiers que nous mettions en place. On ne pouvait pas, par exemple, envoyer les salariés massivement en formation, dans le cadre du projet de métier unique, car il fallait gérer en priorité les demandes d’inscription et d’indemnisation », témoigne Moïse Rashid, l’ex-DRH, qui a lui aussi fait ses valises. Pour couronner le tout, les dirigeants ont dû composer avec les incessantes immixtions gouvernementales. En particulier celles de Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’État à l’Emploi, sévèrement égratigné par Christian Charpy dans son livre bilan, la Tête de l’emploi. « Il se prenait pour le DG. Il nous a tout fait, jusqu’à annoncer qu’on allait prêter des véhicules aux demandeurs d’emploi », se souvient Philippe Sabater, numéro deux du SNU.

Toujours en construction. Le nouveau patron hérite d’une maison toujours en construction. Mais dont les travaux ont quand même sacrément avancé, malgré la guérilla incessante des syndicats. Les systèmes informatiques ont été intégrés, la comptabilité refondue, les horaires de travail harmonisés, la convention collective réécrite… « On est tous partis la fleur au fusil, sans avoir mesuré l’ampleur du chantier. Au vu du chemin parcouru, en très peu de temps, on peut dire que c’est une réussite », affirme un directeur régional. Un optimisme tempéré par les partenaires sociaux. « La fusion est faite. Si on annonçait à nos collègues qu’on veut revenir en arrière, ils nous prendraient pour des fous. Mais il y a encore beaucoup de choses qui coincent », observe la leader cédétiste, Bernie Billey. « On a tous été embarqués contre notre gré. Il faudra des années pour que les salariés cessent de dire qu’ils sont des ex-ANPE ou des ex-Assedic. Pour l’instant, le sentiment d’appartenance à une seule entité n’existe pas », renchérit Sébastien Socias, de FO.

Parmi les chantiers à la traîne figure la réorganisation du réseau, avec la création de guichets uniques. Le schéma cible d’implantation, dont l’élaboration a pris énormément de retard, n’a été adopté qu’en septembre 2010 par le conseil d’administration. Malgré les effets d’annonce, des centaines de milliers de demandeurs d’emploi se baladent encore entre plusieurs antennes Pôle emploi en fonction de leurs besoins. « Il reste 300 à 350 réimplantations à faire. Dans 90 % des cas, les travaux sont engagés », précise Christian Charpy. Une interminable opération de relogement dont l’achèvement n’est pas prévu avant la fin de l’année 2013. « On a vraiment galéré sur la mise en place des sites mixtes. On a voulu avancer trop rapidement, ce qui a crispé les relations sociales. La fin du processus s’annonce compliqué car le nouveau référentiel immobilier, qui définit notamment le nombre de mètres carrés par agent, est plus contraignant que l’ancien », prévient un cadre dirigeant du réseau.

Autre projet non tenu, l’instauration d’un conseiller unique, capable de traiter à la fois les questions d’indemnisation et de placement des demandeurs d’emploi. « On s’est très vite rendu compte que les conditions, tant sociales qu’économiques, n’étaient pas réunies. D’un côté, les agents craignaient de perdre leur identité professionnelle ; de l’autre, la montée du chômage nous obligeait à gérer l’urgence. On a trouvé un moyen terme en développant un socle commun de compétences pour tous les conseillers », explique l’ex-DRH, Moïse Rashid. Un rapprochement ultralight des deux filières qui s’exprime au travers de l’instauration de l’entretien d’inscription et de diagnostic (EID).

Fin mars, la totalité des nouveaux inscrits – contre 76 % aujourd’hui – seront reçus, lors de leur première visite, par un conseiller unique, formé aux rudiments de l’indemnisation et du placement. « Dans les cas les plus simples, on renseigne immédiatement le demandeur d’emploi sur ses droits à indemnisation. Mais la plupart du temps on se contente de vérifier qu’il ne manque aucune pièce. Puis on lui explique notre fonctionnement et on élabore son projet de retour à l’emploi », témoigne une conseillère du Val-de-Marne. Le concept du conseiller unique s’arrête avec ce premier entretien. L’instruction du dossier d’indemnisation est ensuite gérée par un professionnel de la liquidation, l’accompagnement du demandeur d’emploi par un spécialiste du placement. Dans l’écrasante majorité des cas, le premier est issu des Assedic, le second de l’ANPE. Une division des tâches qui ne devrait changer qu’à la marge. Actuellement, quelque 8 % des agents bénéficient d’une véritable double compétence, leur permettant tout à la fois de travailler, en back-office, au calcul des droits à l’assurance chômage ou d’épauler, en front-office, les usagers dans leurs recherches. Une proportion qui, à terme, pourrait atteindre 20 à 25 % à l’horizon 2013. Mais pas davantage.

Division des tâches. Si Jean Bassères n’a plus à essuyer les plâtres de la fusion, il va devoir s’atteler à gérer la surcharge persistante de l’établissement. Car les perspectives économiques laissent augurer un nouvel afflux de demandeurs d’emploi et une sérieuse augmentation du chômage. De quoi alourdir encore les portefeuilles surchargés des conseillers qui, selon les agences, oscillent entre 100 et 350 personnes. Des volumes qui rendent impossible le maintien d’un accompagnement individualisé de tous les chômeurs. Instauré par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, en 2005, le suivi mensuel personnalisé (SMP) des demandeurs à partir du quatrième mois de chômage n’a pas résisté à la crise. « Le SMP ? On est au bord du mensonge organisé. Aucun agent n’est en mesure de recevoir individuellement tous les demandeurs d’emploi de son portefeuille », assure Colette Pronost, la secrétaire générale du SNU. Des propos confirmés par la direction générale, qui annonce un taux moyen de réalisation du SMP d’environ 40 %. « On a donné un cadre aux adaptations possibles du suivi mensuel. Il peut parfois se faire au téléphone ou en groupe, à condition qu’il y ait alternance avec des entretiens individuels en agence », explique Bruno Lucas, directeur général adjoint « clients, services et partenariats ». Voire par échange de mails.

L’incapacité de Pôle emploi à assurer le SMP a été prise en compte dans sa nouvelle feuille de route, la convention tripartite État-Unedic-Pôle emploi, qui ­définit ses objectifs et ses moyens pour trois ans. Le SMP a disparu des textes, tout comme la trentaine d’indicateurs qui prétendaient mesurer les performances de l’établissement. Une bonne nouvelle pour les syndicats. « Les agents mettaient des croix dans des cases. Ils se débrouillaient pour tenir les critères, parfois en dépit du bon sens. On était dans une logique administrative pure, entre Ubu et Kafka », confie Sébastien Socias (CGT-FO). Un constat que ne renie pas l’ancien DG. « Mesurer la production de Pôle emploi s’avère très difficile. À défaut de pouvoir juger notre contribution au retour à l’emploi des individus, qui dépend beaucoup de la conjoncture, on en vient à mesurer l’activité. Les agents ont donc le sentiment, à juste raison, qu’on regarde davantage les tableaux d’indicateurs que la qualité des prestations », admet Christian Charpy.

Cette pression du reporting est d’autant plus mal vécue par les salariés que les offres d’emploi se font rares. Convoquer des demandeurs sans rien avoir à leur proposer, sinon des formations pour les faire patienter, s’avère particulièrement déprimant. Et parfois dangereux. Dans les agences, les relations avec les usagers sont de plus en plus tendues, et les agressions, verbales ou physiques, se multiplient. Pour preuve, des affiches à destination du public ont fleuri dans les bureaux, avec ces quelques mots : « Les agents de Pôle emploi sont à votre service. Un comportement agressif à leur égard est inadmissible. Toute agression ou menace verbale constitue une infraction. La direction de Pôle emploi poursuivra pénalement l’auteur d’actes malveillants ». Des mises en garde qui n’ont guère de raison de disparaître en ces temps de ­marasme économique…

Davantage ancrée dans la réalité que la précédente, la nouvelle convention tripartite propose d’adapter les modalités de suivi et d’accompagnement des demandeurs en fonction de leurs besoins et de leur distance à l’emploi. Restent obligatoires, pour tous les chômeurs, un « suivi régulier » et un « bilan approfondi » neuf mois après leur inscription en catégorie A ou B. « C’est un grand soulagement. On officialise une pratique qui s’était déjà mise en place », commente Bernie Billey, chef de file de la CFDT. Le texte prévoit, aussi, la possibilité d’un « accompagnement renforcé » immédiat pour les chômeurs potentiellement à risque. « Le conseil d’administration va travailler sur des scénarios opérationnels pour déterminer quelles populations pourront bénéficier d’une prise en charge précoce », précise Bruno Lucas. Une personnalisation des services qui va, également, s’appliquer aux entreprises, que les conseillers, débordés, ont le plus grand mal à visiter.

Plutôt que d’adapter son offre de services à ses effectifs, Pôle emploi pourrait aussi embaucher. En juin, un rapport de l’Inspection générale des finances, alors dirigée par un certain… Jean Bassères, mettait en lumière le bien faible encadrement des chômeurs français par rapport à leurs homologues allemands et britanniques. « On ne va pas manquer de lui rappeler son ­excellent rapport, qui montrait que Pôle emploi est en sous-effectif. Qu’il le mette en pratique ! » prévient le SNU. Sauf que les finances de l’organisme, déficitaire à hauteur de 181 millions d’euros en 2010, rendent impossible tout plan de recrutement. La convention tripartite prévoit, « sous réserve des crédits inscrits dans la loi de finances », un strict maintien de la dotation actuelle jusqu’en 2014, à laquelle s’ajoute une contribution de l’Unedic à hauteur de 10 % des cotisations encaissées. Soit, pour 2012, 1,36 milliard d’euros au titre de l’État et 3 milliards en provenance du régime d’assurance chômage.

Mobilités en perspective. Pour améliorer la qualité des prestations de Pôle emploi sans augmenter les coûts, le nouveau DG dispose néanmoins de deux leviers. Le premier : mieux articuler dans les territoires les interventions de l’établissement avec celles des autres acteurs du service public de l’emploi. La multiplicité des structures – maisons de l’emploi, missions locales, plans locaux pour l’insertion et l’emploi… – génère doublons et complexité qu’une meilleure coordination pourrait largement réduire. Second levier : optimiser l’organisation interne. Un objectif assigné à Jean Bassères par la nouvelle convention, qui prévoit le redéploiement de 2000 équivalents temps plein, notamment issus des fonctions supports et de la ligne managériale, vers l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Des mobilités en perspective susceptibles de générer de nouveaux risques psycho­sociaux en interne…

Auteur

  • Stéphane Béchaux