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Vie des entreprises

Crise de nerfs dans le secteur bancaire

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.12.2011 | Sabine Germain

Après trois années de crise, outre les tensions avec les clients, la pression des objectifs génère chez les salariés une souffrance peu prise en compte. Et les suppressions d’emplois font leur apparition…

Il y a tout ce qu’on dit sur les ban­ques. Et puis il y a la vérité. » Les 20 et 21 octobre, la Fédération bancaire française (FBF) s’est offert une pleine page de publicité dans la presse nationale et régionale pour répondre aux rumeurs courant sur le secteur bancaire et financier. Message : les banques font bien leur métier et ne sont pas menacées par la crise de la dette.

Changement de ton dix jours plus tard, lors de l’ouverture des négociations salariales de branche, le 3 novembre : « L’Association française des banques (AFB) a dressé un tableau apocalyptique du secteur pour justifier sa proposition de revalorisation de 1,5 % des seuls minima de branche, qui sont très en deçà des salaires réels, explique Régis Dos Santos, président national du Syndicat national de la banque et du crédit (SNB, affilié à la CFE-CGC). Je ne saurais dire si c’est de l’indécence, de la provocation ou de l’irresponsabilité : comment peut-on encore parler de gel des salaires alors qu’en 2010 la rémunération globale des dirigeants des banques françaises a augmenté de 44,8 % ? » (selon une étude réalisée par le cabinet d’analyse financière AlphaValue).

La question de l’écart salarial cristallise toutes les rancœurs : « Avec une échelle de 1 à 400, la banque est le secteur d’activité dans lequel les écarts salariaux sont les plus importants », commente ainsi Luc Mathieu, secrétaire général de la CFDT Banques, l’autre grande organisation syndicale de la branche (à égalité avec le SNB, avec environ 27 % des voix). Ce n’est pas nouveau : « En 2009, BNP Paribas avait provisionné 1 milliard d’euros de bonus pour ses 3 000 traders, mais seulement 100 millions d’euros d’augmentation pour le petit peuple des 30 000 salariés. »

50 % d’augmentation pour six dirigeants. Mais cela semble de plus en plus indécent : épinglé l’an passé pour avoir augmenté la rémunération globale de ses six cadres dirigeants de 50 %, le Crédit mutuel Arkéa a voulu jouer cette année la carte de la discrétion en créant une société anonyme, Arkéa SCD (Société des cadres de direction), ayant pour seule vocation de loger la rémunération de ses 126 cadres dirigeants. Pour la discrétion, c’est raté : la création de cette structure a débouché sur un mouvement social de onze jours, début octobre, ainsi que sur une action des organisations syndicales au pénal pour délit d’entrave.

L’épisode a été d’autant plus marquant que la branche n’a pas connu de mouvements sociaux de grande ampleur depuis le début de la crise.

« Les salariés savent faire la part des choses entre les réalités du secteur bancaire et les rumeurs colportées par tous les apprentis économistes du café du commerce », sourit Régis Dos Santos (SNB). « Sauf exception, il n’y a pas de menace sur l’emploi et pas d’inquiétude caractérisée quant à la pérennité des ban­ques », ajoute Luc Mathieu (CFDT). La preuve : alors que la crise financière a débuté en 2007, le solde de créations d’emplois de la branche n’a été négatif qu’en 2009 (avec 5 000 destructions d’emplois). Et le solde sera nul en 2011 et, vraisemblablement, en 2012 : « En France, la banque reste l’un des plus gros recruteurs du marché du fait du papy-boom, commente Luc Mathieu. Mais en Europe, nous devrions enregistrer 70000 destructions net d’emplois, dont 30 000 pour le seul réseau HSBC. »

Suppressions de postes.La branche n’échappera toutefois pas à quelques plans sociaux dans les établissements les plus affectés par la crise. Chez Dexia, bien sûr : le démembrement de Dexia Crédit local (DCL) ne devrait pas épargner ses 1 300 salariés. Mais aussi dans la plupart des banques d’investissement et de financement : BNP Paribas vient d’annoncer la suppression de 1 396 emplois dans cette activité (dont 373 en France), la Société générale et le Crédit agricole devraient supprimer un millier de postes chacun. Les activités d’investissement et de financement ne sont pas seulement affectées par la crise : elles sont directement touchées par les nouvelles normes prudentielles (Bâle 111), obligeant les banques à renforcer leurs fonds propres. « L’Observatoire des métiers de la banque lance une étude sur l’impact qu’auront à moyen terme ces nouvelles normes sur l’emploi », explique Jean-Claude Guéry, directeur des affaires sociales de l’Association française des banques.

Réductions d’effectifs pour amortir le coût du renforcement des fonds propres ? Recentrage sur la banque de réseau ? Réponse mi-2012. En attendant, Jean-Claude Guéry a une certitude : « Après vingt ans d’une révolution informatique qui a entièrement refaçonné leur organisation, le nouveau défi des banques est d’ordre réglementaire. »

Le défi concernant leur image est tout aussi important : considérées com­me responsables de la crise, la banque et la finance suscitent une véritable défiance dans l’opinion publique. « En juin dernier, la dernière enquête d’image a fait apparaître que 58 % des Français ont une opinion favorable des banques », tempère Jean-Claude Guéry. « Mais il ne se passe pas une journée sans que j’entende l’expression “banquier voleur” », rétorque Emmanuelle, conseillère clientèle chez BNP Paribas. « Depuis l’affaire Kerviel, en 2008, j’évite de dire aux gens que je rencontre pour qui je travaille. Le festival de bonnes blagues qui s’ensuit ne me fait plus vraiment rire », ajoute pour sa part Richard, conseil en gestion de patrimoine à la Société générale.

« Si l’on excepte le désastre du Crédit lyonnais il y a vingt ans, les banques françaises n’ont jamais fait beaucoup de vagues, rappelle Pierre-Antoine Pontoizeau, directeur au sein du cabinet de conseil Eurogroup Consulting. Aux yeux des salariés, c’était un secteur sûr, socialement protégé, dans lequel tous les parents rêvaient de voir travailler leurs enfants. Le climat de défiance actuel est d’autant plus difficile à vivre. Les salariés du front office ont eu le temps de s’y habituer : entre l’affaire Kerviel et la crise des subprimes, ils ont commencé à se faire agresser dès 2008. Aujourd’hui – et c’est nouveau – le back office se sent également menacé. »

Les maladies psychiques sont le premier motif de consultation dans les établissements financiers

La montée des incivilités de la part des clients est sensible. Au point d’amener la branche à signer un accord sur ce thème en décembre 2009. « Ce phénomène d’incivilités a augmenté en 2008, souligne Jean-Claude Guéry. De nos jours, les clients sont surtout en demande d’informations sur la valorisation de leur épargne. »

Là encore, les conseillers clientèle sont en première ligne : l’actualité financière galope à un tel rythme qu’ils ont parfois du mal à répondre aux questions de leurs clients. « Les banques se sont vraiment organisées pour les soutenir, indique Pierre-Antoine Pontoizeau. Elles diffusent périodiquement des argumentaires pour répondre aux questions les plus courantes et rassurer les clients quant à la pérennité de leurs dépôts. » Régis Dos Santos  (SNB) confirme… bien qu’il ne soit pas toujours convaincu par la pertinence de certains argumentaires : « Les conseillers clientèle ne sont pas tous docteurs en économie ! Certaines banques leur ont remis des rapports de 12 pages beaucoup trop difficiles à décrypter. Une page de questions/réponses régulièrement mise à jour en fonction de l’actualité serait bien plus utile ! »

Répondre aux questions des clients, les rassurer, écouter leurs doléances, cela prend beaucoup de temps aux conseillers clientèle. « Au point d’empiéter sur leur activité commerciale proprement dite, observe Luc Mathieu (CFDT). Or leurs objectifs n’ont pas baissé, alors que la rémunération variable peut, dans certaines banques, représenter plus de 20 % du salaire d’un conseiller clientèle. » En période de crise, la pression des objectifs prend une dimension quasi pathogène : « Quand un manager demande à ses commerciaux, comme je l’ai vu récemment, de faire “mieux que toutes les autres banques réunies”, il génère forcément de la souffrance, commente Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet de conseil Technologia. Parce que ce sont des objectifs irréalistes. Et parce qu’ils placent les conseillers dans une situation de conflit d’éthique, les obligeant à faire du chiffre en plaçant des produits auprès des clients les plus fragiles. »

Management brutal. La pression des objectifs est, à ses yeux, le principal danger guettant les salariés de la branche : « Contaminées par la brutalité des marchés financiers, les banques ont adopté des méthodes de management elles aussi brutales. » Avec un résultat concret : dans le premier rapport scientifique du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles, publié le 4 octobre, les maladies psychiques liées à l’anxiété et à la dépression apparaissent comme le deuxième motif de consultation (derrière les maladies respiratoires) dans les entreprises françaises, mais comme le premier dans les établissements financiers, avec un taux de consultation dix fois supérieur à la moyenne des autres secteurs.

Plutôt réactives sur le front des incivilités, les banques semblent moins pressées de s’emparer de la question des risques psychosociaux. « Nous n’avons pas négocié d’accord de branche sur ce thème, car le stress nous semble relever de l’organisation et de la culture managériale des entreprises », explique Jean-Claude Guéry. Que les banques s’en emparent, mais vite ! Il y a véritablement urgence.

1 396

C’est le nombre de suppressions d’emplois (dont 373 en France) annoncées par BNP Paribas mi-novembre.

Des « primes dividendes » décevantes

Les négociations sur la « prime dividendes », qui se sont achevées le 31 octobre, auraient pu donner l’occasion aux banques de montrer qu’elles étaient prêtes à mieux partager leurs profits. Résultat mitigé : avec une prime de 200 euros à la Société générale, 300 euros chez Rothschild, 500 euros chez HSBC, 690 euros chez BNP Paribas… mais zéro euro chez BPCE (non éligible à ce dispositif destiné aux seules entreprises de plus de 50 salariés dont les dividendes ont augmenté en 2011), les banques se situent, certes, dans la moyenne des grandes entreprises (autour de 300 euros).

Les discussions, toutefois, ont été particulièrement tendues. La preuve chez BNP Paribas, dont la première offre à 200 euros a fait bondir les partenaires sociaux, qui n’ont pas manqué de rappeler qu’en mai dernier le directeur général, Baudouin Prot, s’était vu accorder un bonus de 1,67 million d’euros au titre de l’exercice 2010 (en hausse de 14 % par rapport à l’année précédente). Les 690 euros de prime concédés aux dernières heures de la négociation placent la banque dans la fourchette haute des grandes entreprises. Avec toutefois une sérieuse restriction : la banque refusant de négocier un accord de groupe, cette prime ne concerne que les salariés du périmètre BNP Paribas SA, à l’exclusion des filiales, qui ont dû mener leurs propres négociations.

Auteur

  • Sabine Germain