Dans sa vigoureuse introduction à ce nouvel ouvrage de la République des idées, Pierre Rosanvallon pressent comme « une troublante atmosphère de retour au XIXe siècle » dans la société d’aujourd’hui. Selon l’historien, on assisterait actuellement à une déconstruction de ce qui « fait société » au nom d’une fausse conception de l’individualisme. Ce sera le fil conducteur de ce recueil qui lance un cri d’alarme face à la grande mutation que nous vivons depuis le milieu des années 1970. Une crise multiforme dont les diverses facettes ont le même effet catastrophique : celui d’un délitement du lien social. Apportant l’analyse la plus stimulante des changements sociaux en cours, Robert Castel souligne l’ambiguïté profonde de la promotion forcenée des valeurs individualistes, rappelant que le vrai triomphe de l’individualisme, tel qu’on a pu le connaître dans les années 1960, reposait sur l’armature fournie aux plus faibles par l’État providence et par les droits collectifs du travail. « Il a fallu désindividualiser les individus pour qu’ils deviennent des individus à part entière », souligne le directeur d’études de l’EHESS. Mais durant les années 1970 s’est produit une « bifucartion » dans la trajectoire de l’individu moderne, qui a conduit à l’émergence d’un « individu par défaut » en bien plus mauvaise posture dans une société qui peut être très dure pour les « perdants ». L’ouvrage revient également sur la solitude et les discriminations. Christian Baudelot décrit la remise en cause de la méritocratie par le retour des rentiers. En conclusion, François Dubet estime que « l’affirmation de l’individu appelle un retour de la société », une tâche qu’il assigne à la gauche, celle « qui voit le monde à partir des conditions imposées aux plus faibles ».
Refaire société, collectif. Éditions du Seuil, coll. « La République des idées ». 92 pages, 11,50 euros.
